Le lénacapavir et le VIH multirésistant

Le lénacapavir est un médicament expérimental qui fait actuellement l’objet d’essais cliniques auprès de diverses populations, dont les suivantes :

  • personnes séropositives dont le VIH est partiellement ou intégralement résistant à d’autres traitements
  • personnes séronégatives qui s’en servent pour réduire leur risque de contracter le VIH

Le lénacapavir appartient à une nouvelle classe de médicaments contre le VIH appelés inhibiteurs de la capside. Aux fins des essais cliniques, le lénacapavir est offert sous forme de comprimés oraux ou sous forme d’un liquide injectable sous la peau (injection sous-cutanée). Lorsqu’une personne commence à utiliser le lénacapavir, elle en prend d’abord plusieurs doses orales pour une période de deux semaines. Après cette période, elle peut choisir d’utiliser la formulation liquide. Comme le lénacapavir est conçu pour se dégrader lentement, les injections sont nécessaires aux six mois seulement.

Options de traitement limitées

Des équipes de recherche des États-Unis et d’autres pays ont mené une étude contrôlée contre placebo de courte durée sur le lénacapavir auprès de 36 personnes dont le traitement anti-VIH en cours était en train d’échouer. Après 14 jours, les personnes qui prenaient le placebo et leur traitement non efficace ont remplacé ceux-ci par le lénacapavir et un schéma thérapeutique optimisé de base. (Ce dernier a été ajusté en fonction des résultats de tests de résistance du VIH afin d’en maximiser l’activité antivirale.) À la fin de la période initiale de 14 jours, les participant·e·s ont remplacé les comprimés de lénacapavir par le liquide injectable. Les autres participant·e·s qui, au début de l’étude, prenaient le lénacapavir oral avec leur traitement non efficace ont également remplacé ces derniers par le lénacapavir injectable et un schéma thérapeutique optimisé de base après 14 jours.

L’équipe de recherche a recruté subséquemment 36 autres personnes dont le traitement anti-VIH échouait et leur a prescrit un traitement associant le lénacapavir oral et un schéma thérapeutique optimisé de base pendant deux semaines. Après cette période, le lénacapavir oral a été remplacé par la version injectable du médicament.

Le suivi a duré un an.

Dans le volet contrôlé de l’étude, c’est-à-dire la partie où le placebo était utilisé, la charge virale en VIH a chuté des deux tiers ou plus (demi-log) chez 88 % des personnes sous lénacapavir et chez 17 % des personnes sous placebo.

Après six mois, environ 82 % des 72 participant·e·s avaient une charge virale supprimée (moins de 50 copies/ml) et un compte de CD4+ enrichi de 75 à 104 cellules/mm3.

Durant les six premiers mois, les effets secondaires étaient généralement légers ou modérés puis se résorbaient.

Nous présentons les résultats obtenus après un an plus loin dans cette section.

Détails de l’étude

L’équipe de recherche a recruté 72 participant·e·s, principalement aux États-Unis, mais également en Europe et en Asie. Leur profil moyen au début de l’étude était le suivant :

  • âge : 52 ans (de 23 à 78 ans)
  • 75 % d’hommes, 25 % de femmes
  • principaux groupes ethnoraciaux : Blanc·he·s – 41 %; Noir·e·s – 38 %; Asiatiques – 21 %
  • charge virale : 15 000 copies/ml; 14 personnes avaient une charge virale supérieure à 100 000 copies/ml
  • compte de CD4+ : 150 cellules/mm3; 16 personnes avaient un compte de CD4+ inférieur au seuil des 50 cellules/mm3, ce qui révèle une grave immunodéficience

Les quatre classes de médicaments couramment utilisées dans les schémas thérapeutiques de base étaient les suivantes :

  • inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI)
  • inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (INNTI)
  • inhibiteurs de la protéase
  • inhibiteurs de l’intégrase

Le VIH des participant·e·s avait acquis une résistance à deux médicaments ou davantage de chaque classe dans les proportions suivantes :

  • INTI : 99 %
  • INNTI : 97 %
  • inhibiteurs de la protéase : 81 %
  • inhibiteurs de l’intégrase : 69 %

Chez 33 personnes (46 %), le VIH était résistant à au moins deux médicaments de chacune des quatre classes. En effet, selon l’équipe de recherche, « un grand nombre de [participant·e·s] avaient épuisé la classe des inhibiteurs de l’intégrase (54 %) et celle des inhibiteurs de la protéase (42 %) ».

Les posologies suivantes ont été utilisées pour le lénacapavir dans cet essai clinique :

  • jour 1 : 600 mg par voie orale (deux comprimés de 300 mg)
  • jour 2 : 600 mg par voie orale
  • jour 8 : 300 mg par voie orale
  • jour 15 : deux injections sous-cutanées de 1,5 ml de la formulation liquide dans l’abdomen, pour une dose totale injectée de 927 mg

Résultats : les six premiers mois

Six mois après leur admission à l’étude, que les participant·e·s aient commencé immédiatement à prendre le lénacapavir ou le placebo, les proportions ayant une charge virale supprimée étaient semblables, soit 82 % à peu près. De plus, après six mois, les comptes de CD4+ avaient augmenté d’au moins 75 cellules/mm3.

Accent sur la résistance au lénacapavir

Des échantillons de sang de 19 participant·e·s ont été analysés subséquemment pour détecter la présence de souches du VIH ayant acquis une résistance au lénacapavir. L’équipe a procédé ainsi parce que la suppression virale n’avait pas été atteinte ou maintenue chez tout le monde et, comme le lénacapavir était un nouveau médicament, elle voulait éclairer le rôle qu’il aurait joué à cet égard. Chez ces 19 personnes, le VIH avait acquis une résistance partielle au lénacapavir chez huit d’entre elles. Malgré ce résultat, quatre de ces huit personnes ont réussi à supprimer de nouveau leur charge virale en continuant d’utiliser le lénacapavir.

Chez les quatre autres personnes (sur les huit ayant acquis une résistance partielle au lénacapavir), deux sont restées dans l’étude avec une charge virale détectable. Une personne est décédée à la 10e semaine de l’étude (voir l’explication plus loin) et l’autre personne a quitté l’étude à la quatrième semaine.

Chez les huit participant·e·s dont le VIH était partiellement résistant au lénacapavir, l’équipe de recherche a constaté que ce médicament était présent dans une concentration acceptable. Ce résultat laisse croire que les tissus sous-cutanés libéraient les quantités escomptées du lénacapavir dans le sang.

Selon l’équipe de recherche, quatre de ces huit personnes « faisaient preuve d’une mauvaise observance thérapeutique par rapport à leur schéma thérapeutique de base ». Cela explique sans doute pourquoi leur charge virale est devenue détectable durant l’étude.

Parmi les 11 autres participant·e·s dont les échantillons de sang ont été analysés, dont aucun·e n’avait acquis de résistance au lénacapavir, sept ont réussi à obtenir à nouveau la suppression de leur charge virale en continuant de participer à l’étude (et de prendre le lénacapavir).

Innocuité

Il importe de souligner que les personnes ayant un compte de CD4+ relativement faible et une charge virale détectable, c’est-à-dire la majorité des participant·e·s lors de leur admission à cette étude, ont tendance à présenter une immunodéficience, ainsi que des taux élevés d’inflammation et d’exposition aux protéines du VIH dans le sang. Par conséquent, ces personnes sont plus susceptibles d’éprouver des effets secondaires des médicaments et de souffrir de fatigue, d’infections légères ou graves et, dans certains cas, de cancer.

Les participant·e·s ont éprouvé les effets indésirables généraux suivants au cours de l’étude, entre autres :

  • nausées : 13 %
  • constipation : 11 %
  • diarrhée : 11 %

Une investigation a laissé croire que ces symptômes n’étaient pas liés au lénacapavir et qu’ils étaient légers pour la plupart.

Notons que la personne qui est décédée (voir plus haut) a commencé l’étude dans un état d’immunodéficience extrême, comme l’attestait son compte de CD4+ d’à peine 7 cellules/mm3. Il est probable que cette personne était faible physiquement. Elle avait déjà eu un lymphome non hodgkinien et est décédée des suites d’un cancer non spécifié à la 10e semaine de l’étude.

Réactions aux sites d’injection

Comme il arrive d’ordinaire avec les traitements injectables, la majorité des participant·e·s (63 %) ont éprouvé quelques effets secondaires aux sites des injections, dont les suivants :

  • douleur : 31 %
  • enflure : 31 %
  • rougeur : 25 %
  • formation d’un nodule : 24 %

La plupart de ces réactions étaient légères et se sont résorbées après quelques jours.

Une personne a quitté l’étude à cause d’un nodule qui s’est formé 10 semaines après sa deuxième injection de lénacapavir.

Résultats anormaux à des tests en laboratoire

Chez 28 % des participant·e·s, des analyses de laboratoire d’échantillons de sang ou d’urine ont révélé des anomalies inquiétantes. Cependant, les mesures particulièrement anormales de la santé rénale ont été temporaires et, dans la plupart des cas, se sont normalisées rapidement sans nécessiter d’autres interventions.

Chez certaines personnes, on a détecté un taux élevé de sucre dans le sang et l’urine. Ce problème était habituellement temporaire ou lié à la présence d’un diabète préexistant.

Résultats : un an plus tard

L’équipe de recherche a publié quelques résultats se rapportant à 35 personnes un an après le début de l’étude. Au commencement de celle-ci, ces personnes avaient été réparties au hasard pour recevoir le placebo ou le lénacapavir comme traitement d’appoint pendant 14 jours. L’équipe a fourni des données d’innocuité se rapportant à environ 70 personnes.

Voici les résultats d’ordre virologique :

  • 30 personnes ont obtenu la suppression de leur charge virale
  • 5 personnes ont vécu un échec virologique

Une analyse a révélé une tendance : plus le schéma thérapeutique de base contenait de médicaments pleinement actifs (aucune résistance du VIH à leurs effets) à la fin de la première année, plus la probabilité augmentait que la charge virale serait supprimée. Voici les proportions de personnes ayant une charge virale supprimée en fonction du nombre de médicaments actifs dans leur schéma thérapeutique de base :

  • aucun médicament actif : 4 personnes sur 6 (67 %) avaient une charge virale indétectable
  • un médicament actif : 11 personnes sur 14 (79 %) avaient une charge virale indétectable
  • deux médicaments actifs ou plus : 15 personnes sur 16 (94 %) avaient une charge virale indétectable

Le compte de CD4+ moyen s’est stabilisé avant la 36e semaine de l’étude et est resté ainsi pour le reste de l’année. Les participant·e·s ont connu en moyenne un gain de 83 cellules CD4+/mm3 avant la fin de l’année. Le lénacapavir a eu un impact impressionnant : après un an de traitement par lénacapavir et un schéma thérapeutique optimisé de base, 60 % des participant·e·s avaient un compte de CD4+ d’au moins 200 cellules/mm3.

Malheureusement, tout le monde n’a pas connu de si bons résultats. Rappelons à ce propos que de nombreuses personnes ont commencé l’étude dans un état d’immunodéficience grave et avaient peu d’options thérapeutiques.

Huit personnes avaient moins de 50 CD4+ cellules/mm3 quand elles ont commencé l’étude. À la 16e semaine, elles avaient toutes plus de 50 cellules CD4+/mm3. Cependant, après un an dans l’étude, une personne a vu son compte de CD4+ chuter sous la barre des 50 cellules. Cela s’est sans doute produit parce que son VIH acquérait une résistance croissante à son traitement.

Réactions aux sites d’injection

Au sixième mois de l’étude, les participant·e·s ont reçu leur deuxième injection de lénacapavir. L’équipe de recherche était alors en mesure d’évaluer les réactions à la deuxième injection. Dans la plupart des cas, l’équipe a constaté des réactions légères ou modérées aux sites d’injection après la deuxième dose. Voici quelques détails à ce sujet :

  • enflure : 13 %; durée moyenne : 12 jours
  • rougeur : 11 %; durée moyenne : 6 jours
  • douleur : 21 %; durée moyenne : 3 jours
  • nodule : 11 %; durée moyenne : 180 jours
  • durcissement de la peau : 10 %; durée moyenne : 118 jours

À retenir

Le lénacapavir s’est révélé très utile à de nombreuses personnes disposant de peu d’options thérapeutiques. La plupart des personnes traitées l’ont toléré.

À l’avenir

Si tout se passe bien dans cet essai clinique, il est probable que le lénacapavir sera approuvé dans de nombreux pays à revenu élevé au cours des 24 prochains mois pour le traitement de l’infection par un VIH multirésistant. L’approbation du lénacapavir pour la prévention du VIH prendra plus de temps, car les essais cliniques en question ont été interrompus à cause d’un problème lié aux fioles de verre contenant le liquide (voir la section précédente). Ce problème a été résolu, et les essais cliniques du lénacapavir sous forme injectable ont repris.

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

  1. Segal-Maurer S, DeJesus E, Stellbrink HJ et al. Capsid inhibition with lenacapavir in multidrug-resistant HIV-1 infection. New England Journal of Medicine. 2022 May 12;386(19):1793-1803.
  2. Marrazzo J. Lenacapavir for HIV-1 – Potential promise of a long-acting antiretroviral drug. New England Journal of Medicine. 2022 May 12;386(19):1848-1849. 
  3. Ogbuagu O, Segal-Maurer S, Brinson C et al. Long-acting lenacapavir in people with multidrug resistant HIV-1: Week 52 results. Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections, 12 au 16 février 2022.
  4. Gilead Sciences. FDA Lifts Clinical Hold on Investigational Lenacapavir for the Treatment and Prevention of HIV. Communiqué de presse. 16 mai 2022.