Evusheld : facteurs à considérer

Comme nous l’avons mentionné plus tôt dans ce numéro de TraitementActualités, une association de deux anticorps conçus pour s’attaquer au SARS-CoV-2, vendue sous le nom de marque Evusheld, a été approuvée au Canada et aux États-Unis. Lors d’un essai clinique d’envergure nommé Provent, Evusheld a réduit significativement le risque de contracter la COVID-19 chez des personnes non vaccinées. La question se pose alors : de quelle manière Evusheld devrait-il être déployé? Pour répondre à cette question, il vaudra la peine de prendre en considération les facteurs suivants.

Immunosuppression

Le principal essai clinique à tester Evusheld a porté sur des personnes susceptibles de connaître une faible réponse immunologique à l’infection au SARS-CoV-2 ou aux vaccins conçus pour combattre celle-ci. Selon la compagnie AstraZeneca, fabricant d’Evusheld, il est probable que de telles personnes appartiennent aux populations suivantes ou qu’elles présentent les facteurs de risque indiqués ci-dessous :

  • personnes âgées de 60 ans ou plus
  • personnes obèses
  • immunosuppression (nous reviendrons sur ce point plus loin)
  • antécédents de réactions indésirables aux vaccins (en général)
  • insuffisance cardiaque congestive
  • maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC)
  • insuffisance rénale chronique
  • insuffisance hépatique chronique

Au Canada, Evusheld est conçu pour l’usage chez des adultes et des adolescent·e­­·s (12 ans et plus). Pour maximiser l’efficacité d’Evusheld quant à la réduction du risque d’infection par le SARS-CoV-2 et à la prévention de la COVID-19, la monographie de produit stipule que les utilisateurs et utilisatrices potentiel·le·s ne devraient pas avoir été exposé·e·s récemment à des personnes infectées par le virus. Selon AstraZeneca, les candidat·e·s à ce traitement devraient satisfaire les critères suivants :

  • être « immunovulnérables et peu susceptibles d’avoir une réponse immunitaire satisfaisante à la vaccination contre la COVID-19 »
  • être quelqu’un « chez qui la vaccination contre la COVID-19 n’est pas recommandée »

En pratique, les médecins vont probablement restreindre l’usage d’Evusheld aux personnes immunodéprimées. Il s’agit généralement de personnes qui prennent des médicaments pour affaiblir leur système immunitaire, telles les suivantes :

  • personnes ayant reçu une greffe d’organe
  • certaines personnes recevant des traitements contre la polyarthrite rhumatoïde, la maladie de Crohn et la colite, les cas graves de psoriasis et d’autres maladies inflammatoires

VIH

Evusheld n’a pas été testé chez des personnes vivant avec le VIH. Il n’empêche que, selon des recherches menées au Canada et dans d’autres pays à revenu élevé dotés de systèmes de santé universels, les personnes qui suivent un traitement puissant contre le VIH (TAR) et qui ont une charge virale indétectable et un compte de CD4+ au moins modestement élevé connaissent généralement une bonne réponse aux vaccins anti-COVID-19. De telles personnes ne semblent pas courir de risques élevés de complications graves, d’hospitalisation ou de décès associés à la COVID-19.

Effets secondaires possibles

On a constaté un très faible déséquilibre entre les effets indésirables d’ordre cardiovasculaire survenus durant l’étude Provent, que voici :

  • Evusheld : 0,7 % (23 personnes)
  • placebo : 0,3 % (5 personnes)

Rappelons que deux fois plus de personnes ont reçu Evusheld que le placebo durant cette étude.

Les manifestations cardiovasculaires qui se sont produites durant l’étude incluaient les suivantes :

  • rythmes cardiaques anormaux
  • crise cardiaque
  • douleur cardiaque
  • coronaropathie (comme ce problème évolue sur de nombreuses années, il est extrêmement improbable que l’exposition à Evusheld l’ait causé)

L’équipe de recherche a également constaté un nombre légèrement plus élevé de problèmes neurologiques chez les personnes recevant Evusheld, dont certains semblaient liés à des maladies cardiovasculaires (comme un AVC). Dans l’ensemble, moins de 1 % des personnes traitées par Evusheld ont éprouvé de tels problèmes.

Tous les participant·e·s à cette étude qui ont éprouvé des effets indésirables d’ordre cardiovasculaire ou neurovasculaire avaient soit des antécédents soit des facteurs de risque associés à de telles manifestations lors de leur admission à l’étude.

Evusheld a également été testé dans le cadre d’une autre étude appelée Storm Chaser dont les résultats n’ont pas encore été publiés. Personne n’a présenté d’effet indésirable d’ordre cardiovasculaire durant cette étude. Notons cependant que les participant·e·s à Storm Chaser étaient plus jeunes que ceux et celles de l’étude Provent, et tendaient à présenter moins de facteurs de risque cardiovasculaires.

Camille Kotton, M.D., de la faculté de médecine de l’Université Harvard, a commenté ainsi les résultats de l’étude Provent : « Dans l’ensemble, le bienfait d’une protection additionnelle pour les patient·e·s immunodéprimé­·e·s semble l’emporter sur le risque éventuel d’évènements cardiaques ».

Les médecins pourraient trouver utile de peser les risques et les bienfaits éventuels d’Evusheld au cas par cas pour leurs patient·e·s présentant des facteurs de risques cardiovasculaires.

Le problème des variants

Le SARS-CoV-2 continue d’infecter de nombreuses personnes et de produire de nouveaux variants. Ceux-ci présentent des modifications (mutations) dans leur constitution génétique, ainsi que de subtils changements dans la structure du virus. L’ensemble de ces modifications peut aider certains variants à éluder plus aisément les anticorps et d’autres mesures prises par le système immunitaire pour contenir le virus. Elles peuvent également aider le virus à éluder les anticorps monoclonaux utilisés pour prévenir la COVID-19.

À la fin février 2022, la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis a recommandé que la dose d’Evusheld soit doublée dans des cas où on tentait de prévenir l’infection par les variants BA.1 et BA.1.1 du SARS-CoV-2, lesquels font partie de la famille Omicron.

Le variant Omicron a engendré plusieurs autres sous-variants, tels les BA.2, 3, 4 et 5 (et d’autres encore). Dans les mois à venir, de nouveaux sous-variants ou des variants jamais vus encore pourraient voir le jour et commencer à se propager.

Des scientifiques de l’Institut Pasteur de Paris et d’autres centres de recherche français ont évalué des anticorps dans des échantillons de sang prélevés auprès de personnes traitées par Evusheld et d’autres produits. Les équipes ont extrait des anticorps des échantillons de sang et les ont testés contre divers variants du SARS-CoV-2.

Les équipes françaises ont constaté que les anticorps d’Evusheld dans ces échantillons de sang étaient capables de s’attaquer au variant BA.1 chez 19 personnes sur 29 et au variant BA.2 chez 29 personnes sur 29.

Les participant·e·s en question avaient reçu au moins trois doses d’un vaccin à ARNm (habituellement celui de Pfizer-BioNTech). Toutes ces personnes avaient reçu une greffe d’organe ou avaient une maladie auto-immune (trouble qui survient lorsque le système immunitaire s’attaque à des parties de son propre corps). Pour cette raison, elles prenaient toutes des médicaments conçus pour affaiblir partiellement leur système immunitaire.

Sur 29 personnes traitées par Evusheld, quatre ont présenté la COVID-19. Dans trois cas, l’infection était attribuable au variant Omicron, et les symptômes étaient légers. Ces cas se sont produits de 15 à 21 jours après les injections d’Evusheld.

Une quatrième personne a contracté le sous-variant BA.1 et a présenté de graves symptômes de la COVID-19 trois semaines après avoir reçu Evusheld. Cette personne a été hospitalisée.

L’équipe de recherche n’a pas précisé les conditions dans lesquelles les participant·e·s ont contracté l’infection, et comme cette étude n’était pas un essai clinique randomisé, il faut interpréter les résultats avec prudence. Il n’empêche que le rapport de l’Institut Pasteur permet de croire que 25 personnes sur 29 ont vu leur risque de contracter la COVID-19 diminuer grâce à Evusheld.

Prolonger l’effet potentiel d’Evusheld

Dans l’étude Provent, Evusheld a été utilisé à titre de prophylaxie pré-exposition (PrEP) contre le SARS-CoV-2. À en croire les résultats provisoires d’une autre étude appelée Tackle, en doublant la dose d’Evusheld pour passer de 300 mg à 600 mg, il serait possible de réduire le risque de progression vers le stade grave de la maladie chez les personnes traitées tôt dans le cours de l’infection au SARS-CoV-2. Il se pourrait donc qu’AstraZeneca décide de demander l’approbation des agences de réglementation pour utiliser Evusheld de cette manière.

À l’avenir

L’étude menée à l’Institut Pasteur sert à souligner la complexité de la pandémie actuelle. Les scientifiques peuvent mettre au point des vaccins, des médicaments et des anticorps monoclonaux contre le SARS-CoV-2, et ceux-ci sont efficaces dans une certaine mesure pour prévenir les complications graves de la COVID-19 ou la mort. Cependant, à mesure que le virus continuera de muter, il est probable qu’un large éventail d’interventions de deuxième génération — de meilleurs médicaments, vaccins et anticorps monoclonaux — seront nécessaires.

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

  1. Levin MJ, Ustianowski A, De Wit S et al. Intramuscular AZD7442 (Tixagevimab-Cilgavimab) for prevention of COVID-19. New England Journal of Medicine. 2022 Jun 9;386(23):2188-2200. 
  2. Takashita E, Kinoshita N, Yamayoshi S et al. Efficacy of antiviral agents against the SARS-CoV-2 Omicron subvariant BA.2. New England Journal of Medicine. 2022 Apr 14;386(15):1475-1477.
  3. Bruel T, Hadjadj J, Maes P et al. Serum neutralization of SARS-CoV-2 Omicron sublineages BA.1 and BA.2 in patients receiving monoclonal antibodies. Nature Medicine. 2022; sous presse.
  4. Kotton CN. Belt and Suspenders: Vaccines and tixagevimab/cilgavimab for prevention of COVID-19 in immunocompromised patients. Annals of Internal Medicine. 2022; sous presse.
  5. Loo YM, McTamney PM, Arends RH et al. The SARS-CoV-2 monoclonal antibody combination, AZD7442, is protective in nonhuman primates and has an extended half-life in humans. Science Translational Medicine. 2022 Mar 9;14(635):eabl8124.