La préparation aux consultations améliore la satisfaction des patient·e·s et les soins

Au Canada et dans les autres pays à revenu élevé, l’accessibilité répandue des traitements puissants contre le VIH (TAR) a transformé les soins prodigués aux personnes séropositives. Pour un grand nombre de celles-ci, les soins ne sont plus centrés sur la prévention et le traitement d’infections potentiellement mortelles caractéristiques du sida. Le TAR est tellement puissant que les scientifiques prévoient une espérance de vie quasi normale pour de nombreuses personnes utilisant ce genre de traitement, et de nombreux rapports l’attestent.

De nos jours, pour de nombreuses personnes sous TAR, les rendez-vous médicaux sont axés dans une large mesure sur la prévention de problèmes découlant d’autres maladies chroniques, dont plusieurs se rapportent au vieillissement et à l’inflammation persistante. À mesure que les personnes sous TAR vieillissent, certaines d’entre elles se trouvent aux prises avec des problèmes qui ne les ont pas inquiétées outre mesure auparavant, tels que les troubles de santé mentale, la dépendance aux drogues, la violence dans les relations intimes, l’itinérance, la fatigue persistante, la fragilité et d’autres.

Résultats déclarés par les patient·e·s (RDP)

Pour aider leur personnel médical et leurs patient·e·s à mieux se préparer à leurs consultations, certains centres de traitement du cancer ont commencé à interroger les patient·e·s sur des aspects importants de leur santé et de leur bien-être avant leur prochain rendez-vous fixé. Les questionnaires utilisés se rapportent à une large gamme de sujets, dont la douleur, la santé générale, la qualité de vie, la santé mentale, etc. Les réponses aux questionnaires sont résumées puis envoyées à l’équipe médicale juste avant le rendez-vous avec le ou la patient­·e. On a constaté que l’analyse des réponses aux questionnaires (appelés résultats déclarés par les patient·e·s ou RDP) avait un impact positif sur la satisfaction des patient·e·s et sur leurs communications avec leurs équipes médicales dans le domaine du traitement du cancer.

Étant donné ce succès, on ferait bien d’adapter ces questionnaires aux personnes vivant avec le VIH et d’évaluer l’impact que leurs résultats ont sur elles et sur leurs interactions avec les professionnel·le·s de la santé et sur leurs soins.

Projet PROgress

Une équipe de recherche de l’Université du Washington a collaboré avec des équipes de recherche de cliniques situées en Floride et à Toronto pour concevoir et mettre sur pied une étude visant à évaluer la collecte et l’impact des RDP, autant sur les patient·e·s que sur les professionnel·le·s de la santé.

Le questionnaire servant à la collecte des RDP prenait environ neuf minutes à remplir sur une tablette électronique (iPad). Une fois le questionnaire rempli, les données étaient analysées à l’aide d’un logiciel puis résumées sur une seule page qui était envoyée aux professionnel·le·s de la santé juste avant leur rendez-vous avec un·e patient·e. Toute question importante à discuter était signalée par le logiciel lors de l’analyse des réponses au questionnaire.

L’équipe de recherche a constaté que les questionnaires de RDP accomplissaient ce qui suit :

  • amélioration de la communication entre patient·e·s et professionnel·le·s de la santé
  • augmentation du nombre de problèmes de santé et de comportement complexes repérés, documentés et pris en charge; les problèmes en question incluaient l’anxiété et les pensées se rapportant à l’automutilation

Le taux de satisfaction global par rapport au processus de collecte des RDP était élevé, tout comme la satisfaction à l’égard des discussions sur les problèmes soulevés. De plus, les patient·e·s (82 %) et les professionnel·le·s de la santé (82 %) ont trouvé que les questionnaires de RDP amélioraient la qualité des consultations.

À Toronto, le St. Michael’s Hospital a servi de site à l’étude PROgress. À la lumière des résultats prometteurs, l’équipe de recherche travaille en partenariat avec le Réseau ontarien de traitement du VIH (OHTN) pour peaufiner et étendre l’usage des RDP à d’autres cliniques dans la province.

Détails de l’étude

L’étude PROgress était complexe et comportait plusieurs phases différentes, dont la préparation, la mise en œuvre et la mise à l’essai chez 200 volontaires avant l’extension auprès d’une population plus nombreuse. Les détails complets de l’étude dépassent la portée de ce rapport, mais nous en avons résumé les éléments clés.

Forte de son expertise en matière de RDP, une équipe de recherche de l’Université de Washington à Seattle a offert aux personnels des cliniques VIH participantes une formation sur les moyens d’intégrer les RDP dans les activités quotidiennes de leur clinique.

Les questionnaires servant au programme de RDP étaient fondés sur des questionnaires précédemment validés largement utilisés et couvraient un grand éventail de sujets, dont les suivants : 

  • consommation d’alcool
  • utilisation de drogues
  • utilisation sexualisée de drogues (chemsex)
  • comportements sexuels
  • observance du TAR
  • symptômes physiques
  • utilisation de nicotine
  • identité de genre
  • orientation sexuelle
  • violence conjugale
  • logement
  • nutrition
  • dépression
  • anxiété
  • soins de santé en cours
  • capacité de payer les médicaments

L’équipe de recherche a examiné les dossiers médicaux des participant·e·s afin de déterminer quel impact les RDP auraient pu avoir. Elle a également demandé l’avis des patient·e·s et des professionnel·le·s de la santé quant à l’impact des RDP.

Résultats

Nous résumons ci-dessous quelques éléments évalués par l’équipe de recherche.

Portée : personnes vivant avec le VIH disposées à remplir des questionnaires de RDP

Sur 1 813 patient·e·s admissibles, 90 % (1 632 personnes) ont accepté de participer.

En ce qui concerne le refus ou l’incapacité de participer, les raisons données par 181 personnes étaient les suivantes :

  • barrière linguistique : 68 personnes
  • impression que les RDP étaient non nécessaires ou inutiles : 22 personnes
  • problème d’alphabétisme : 21 personnes
  • difficulté visuelle (y compris le manque de lunettes de lecture) : 11 personnes

Impact des RDP sur l’exercice clinique

Selon l’équipe de recherche, le signalement de questions importantes à discuter dans les résumés de RDP livrés aux professionnel·le·s de la santé « augmentait le nombre de problèmes de santé et de comportements complexes repérés, documentés et pris en charge ».

L’équipe a trouvé que les professionnel·le·s de la santé « étaient significativement plus susceptibles de documenter [la présence de pensées d’automutilation chez les patient·e·s] et l’anxiété, et étaient significativement plus susceptibles de diriger [des patient·e·s] vers des services de santé mentale pour l’anxiété » qu’avant l’introduction des questionnaires de RDP.

Après l’introduction des questionnaires de RDP, les professionnel·le·s de la santé étaient plus susceptibles de documenter les problèmes suivants :

  • insatisfaction à l’égard du TAR
  • dépression
  • expériences de détresse psychologique

Avis des professionnel·le·s de la santé

Onze professionnel·le·s de la santé ont été interrogé·e·s au sujet de l’impact des RDP. Selon l’équipe de recherche, « neuf d’entre eux et elles (82 %) étaient d’accord ou fortement d’accord que les RDP les aidaient à prioriser les points à discuter avec leurs patient·e·s, [qu’ils] déterminaient des sujets qui n’auraient pas été soulevés autrement, [qu’ils] stimulaient des discussions sur des sujets potentiellement sensibles et [qu’ils] amélioraient la qualité générale de la consultation ». Et d’ajouter l’équipe : « la plupart des professionnel·le·s (huit sur 11 ou 73 %) trouvaient que les RDP facilitaient la consultation ».

À la lumière des résultats de cette étude, 100 % des professionnel·le·s de la santé et des personnels des cliniques ont décidé de continuer à utiliser les RDP au-delà de la durée de l’étude.

Impact du processus de collecte des RDP sur la charge de travail en clinique

Les cliniques VIH sont des lieux occupés, et leurs personnels médicaux ont tendance à être prudents à l’idée d’introduire de nouveaux processus et procédures qui pourraient accroître leur charge de travail. Cependant, selon cette équipe de recherche, les professionnel·le·s de la santé avaient l’impression que les RDP « avaient un impact minime ou gérable sur la charge de travail et le temps des professionnel·le·s ». Quant à l’avis des autres membres du personnel des cliniques, les RDP apportaient une valeur ajoutée aux consultations, selon l’équipe de recherche. On a trouvé que les tâches additionnelles nécessaires à la collecte des RDP ajoutaient environ quatre minutes à chaque consultation. Ce temps additionnel incluait l’explication des procédures de la collecte et de l’analyse des RDP aux patient·e·s, la surveillance des patient·e·s pour savoir quand les questionnaires étaient remplis, la récupération des tablettes et la désinfection de celles-ci.

Avis des patient·e·s

Un sous-groupe de patient·e·s (200) a été interrogé au sujet de la collecte des RDP et de leur impact. Selon l’équipe de recherche, des majorités importantes se sont déclarées d’accord ou fortement d’accord avec les énoncés suivants :

Les questionnaires de RDP ont aidé les participant·e·s à : 

  • « considérer leur état de santé dans son ensemble » (88 %)
  • « se rappeler des préoccupations de santé à soulever » (80 %)
  • « discuter de sujets qui auraient pu être omis autrement » (76 %)
  • « discuter de sujets dont il était difficile de parler franchement » (71 %)
  • « décider de quels sujets parler » (67 %)

Les patient·e·s qui ont rempli des questionnaires de RDP ont exprimé un niveau de satisfaction élevé. Selon l’équipe de recherche, à en juger par les formulaires d’évaluation « la plupart des participant·e·s ont eu du plaisir à remplir le questionnaire et l’ont trouvé facile à utiliser, bien expliqué, compréhensible et utile quant à la description de leurs symptômes et comportements liés à la santé. De plus, le temps nécessaire pour [le remplir] a été qualifié de hautement acceptable ».

Selon l’équipe de recherche, 65 % des patient·e·s ont affirmé « avoir discuté du fardeau que constituaient leur médication anti-VIH et son impact sur leur vie ».

Questions relatives aux coûts

Le coût de la mise en œuvre de n’importe quelle intervention est un facteur important qu’il faut prendre en considération. Cette équipe de recherche a trouvé que le coût de la mise en œuvre du programme de RDP était relativement faible et incluait l’achat de tablettes (quatre pour la clinique en Floride et huit pour la clinique VIH du St. Michael’s Hospital à Toronto). Selon l’équipe, les coûts les plus importants se rapportaient aux « ressources humaines, y compris le temps nécessaire à la mise en œuvre, à la formation, à la surveillance et à l’évaluation. Une fois le programme de RDP établi, il prenait à peu près 9 % du temps de travail quotidien d’un·e employé·e à temps plein (estimation fondée sur une moyenne de 11 consultations par jour) ».

À retenir

Cette étude a permis de constater que le recours aux RDP était utile aux patient·e·s et aux professionnel·le·s de la santé. De plus, l’équipe de recherche a trouvé que les RDP attiraient l’attention des professionnel·le·s de la santé sur des problèmes « reconnus comme étant moins faciles à observer, sous-déclarés ou insuffisamment couverts lors des consultations ».

Selon l’équipe de recherche, les questionnaires de RDP ont révélé l’insatisfaction des patient·e·s à l’égard de leur TAR dans une proportion de 25 %. Cette étude s’est pourtant déroulée à un moment où il existait plusieurs options de traitement bien tolérées reposant sur un seul comprimé quotidien. Cette insatisfaction pourrait être attribuable à divers problèmes, comme la difficulté à avaler les comprimés, le stress lié à l’observance et des préoccupations concernant le risque que la prise de médicaments dévoile le statut VIH de la personne. Notons que des problèmes de ce genre ont été signalés lors d’une autre étude.

Surmonter les obstacles

Comme nous l’avons mentionné plus tôt, environ 10 % des personnes admissibles à l’étude PROgress ont refusé d’y participer à cause de divers obstacles, notamment des barrières linguistiques et des problèmes de vue. L’équipe de l’étude a souligné que de nombreuses questions figurant dans le questionnaire de RDP avaient été tirées d’autres questionnaires bien validés et largement utilisés.

Pour surmonter les barrières linguistiques, on pourrait utiliser des versions traduites des questionnaires, dont il en existe déjà.

Les personnes éprouvant des difficultés visuelles (qui sont impossibles à résoudre avec des lunettes de lecture) ou un problème d’analphabétisme peuvent se renseigner sur une option audio.

Comme cette étude s’est déroulée dans des cliniques communautaires, ses résultats s’appliqueraient sans doute plus largement que ceux des recherches publiées précédemment sur la mise sur pied d’un programme de RDP.

À l’avenir

Cette équipe de recherche compte évaluer l’impact à long terme des RDP. Des entrevues additionnelles auprès de professionnel·le·s de la santé et de patient·e·s ont déjà eu lieu et seront évaluées à cette fin. Selon l’équipe de recherche, le Réseau ontarien de traitement du VIH (OHTN) espère élargir la collecte et l’utilisation des RDP à de nombreuses cliniques VIH qui lui sont affiliées.

Les résultats de l’étude PROgress indiquent que le fait d’interroger les patient·e·s sur des sujets importants avant un rendez-vous avec un·e professionnel·le de la santé peut aider à maximiser l’impact et la qualité des consultations médicales.

Pour en savoir plus sur le projet PROgress, visitez : https://progresshivcare.org/ (en anglais seulement)

Cette recherche a été financée par ViiV Healthcare.

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCE :

Short D, Fredericksen RJ, Crane HM et al. Utility and impact of the implementation of same-day, self-administered electronic patient-reported outcomes assessments in routine HIV care in two North American clinics. AIDS and Behavior. 2022 Jul;26(7):2409-2424.