Une étude menée à l’Université Yale révèle un lien entre les cancers de la tête et du cou et un faible taux de survie chez les personnes séropositives

Nombre d’études ont révélé que les personnes séropositives étaient plus à risque de présenter des cancers de la tête et du cou. Cette catégorie de cancers inclut les tumeurs touchant les lèvres, la bouche, la gorge et le larynx (site des cordes vocales); il arrive aussi que les sinus soient touchés, quoique moins fréquemment. En ce qui concerne les cancers de la tête et du cou, les facteurs de risque incluent l’exposition excessive au soleil (un danger pour les lèvres), l’usage d’alcool et de tabac et les co-infections virales comme celle au virus du papillome humain (VPH) ou au virus Epstein-Barr (VEB).

Les produits chimiques présents dans la fumée de tabac et d’autres substances, ainsi que l’infection au VPH ou au VEB, peuvent faire en sorte que les cellules tapissant les parties du corps mentionnées précédemment se développent anormalement. Au fil du temps, certaines de ces cellules recommencent à se développer normalement. Néanmoins, d’autres cellules risquent de continuer à se développer anormalement et de se transformer finalement en états précancéreux et en cancers.

Idéalement, les cellules du système immunitaire jouent le rôle d’une patrouille qui est sans cesse à la recherche de cellules précancéreuses et cancéreuses dans les tissus. Lorsqu’elles en trouvent, ces patrouilles de cellules immunitaires détruisent habituellement les cellules dangereuses.

Même si un traitement contre le VIH (TAR) est en cours, un certain degré de dysfonction immunitaire persiste et des états précancéreux et des cancers peuvent apparaître.

Le vaccin Gardasil-9 réduit énormément le risque de cancers liés au VPH. Cependant, ce vaccin est administré idéalement à des personnes relativement jeunes qui n’ont pas encore eu de partenaires sexuel·le·s, ou très peu. De nombreuses personnes séropositives plus âgées n’ont jamais eu l’occasion de se faire vacciner contre le VPH quand elles étaient plus jeunes.

Un vaccin conçu pour réduire le risque de complications liées au VEB est en cours de développement.

Université Yale

Une équipe de recherche du Yale New Haven Hospital a mené une étude sur les cancers de la tête et du cou. Pour ce faire, elle a examiné des données recueillies entre 2002 et 2018 auprès de personnes séropositives et de personnes séronégatives.

L’équipe a constaté que, à la suite d’un diagnostic de cancer de la tête ou du cou (appelé cancer tout court pour le reste de cette section), les personnes séropositives survivaient moins longtemps (trois ans) que les personnes séronégatives atteintes de la même sorte de cancer (huit ans). Des facteurs sociodémographiques et d’autres ne pouvaient expliquer cette durée de survie plus courte. Une analyse statistique a toutefois indiqué un lien avec le VIH.

Peut-être que le système immunitaire des personnes séropositives inscrites à cette étude ne fonctionnait pas de façon optimale. Il est également possible que l’équipe de l’Université Yale n’ait pas tenu compte de facteurs non mesurés en analysant les données.

L’équipe de Yale souhaite la tenue d’études de plus grande envergure pour confirmer ses résultats. Elle a également affirmé que les personnes séropositives atteintes d’un cancer devraient avoir plus souvent l’occasion de participer à des essais cliniques de médicaments conçus pour optimiser l’activité anticancéreuse du système immunitaire.

Détails de l’étude

L’équipe de recherche de Yale a examiné des bases de données portant sur des personnes atteintes de cancer qui avaient été soignées dans la clinique de l’université. L’équipe a apparié les données se rapportant à chaque personne séropositive à celles recueillies auprès d’au moins trois personnes séronégatives ayant un profil semblable en ce qui concerne le sexe, l’âge, le genre de cancer, le stade du cancer et le site du cancer au moment du diagnostic.

L’étude a porté sur 2 894 personnes séronégatives et 48 personnes séropositives.

L’équipe de recherche a analysé de petits échantillons de tumeurs pour déterminer s’ils contenaient des protéines du VPH.

Les participant·e·s séropositif·ve·s avaient le profil moyen suivant au moment du diagnostic de cancer :

  • 55 ans
  • 36 hommes, 12 femmes
  • principaux groupes ethnoraciaux  : Noir·e·s – 44 %; Blanc·he·s – 42 %; Hispaniques – 7 %
  • usage actuel ou antérieur de tabac  : 89 %
  • consommation actuelle ou antérieure d’alcool  : 75 %
  • TAR en cours : 88 %
  • charge virale : 20 copies/ml; six personnes avaient une charge virale supérieure à 200 copies/ml
  • compte de CD4+ : 341 cellules/mm3
  • compte de CD4+ le plus faible depuis toujours : 270 cellules/mm3
  • rapport CD4/CD8 : 0,5
  • temps écoulé depuis le diagnostic de VIH : 16 ans
  • co-infection au virus de l’hépatite C (VHC) : 66 %

Résultats

L’équipe de recherche a constaté des similarités importantes entre les personnes séropositives et les personnes séronégatives, dont les suivantes :

  • sites des tumeurs (le plus souvent la bouche ou la gorge)
  • durée de la période écoulée entre le diagnostic de cancer et l’amorce d’un traitement anticancéreux
  • genre de traitement anticancéreux prescrit

Après le diagnostic, la durée de survie fut la suivante chez les deux groupes :

  • personnes séropositives : 34 mois
  • personnes séronégatives : 94 mois

Lorsque l’équipe de recherche s’est concentrée sur les personnes présentant le moins de tumeurs et celles aux dimensions les plus faibles, elle a constaté une durée de survie plus longue chez les personnes séropositives, soit 74 mois, mais elle était encore inférieure à celle des personnes séronégatives (114 mois).

Quelle que soit la durée de survie après le diagnostic que l’équipe de recherche a considérée (que ce soit deux, huit ou dix ans après), celle-ci était toujours inférieure chez les personnes séropositives, comparativement aux personnes séronégatives.

À la lumière de ces résultats, l’équipe de l’étude a effectué des analyses statistiques dans l’espoir de découvrir des facteurs qui expliqueraient la durée de survie inférieure chez les personnes séropositives. L’équipe a pu écarter plusieurs facteurs déterminés au moment du diagnostic de cancer, que voici :

  • compte de CD4+ actuel
  • charge virale actuelle
  • âge
  • stade du cancer
  • facteurs socioéconomiques
  • usage de tabac
  • genre d’assurance maladie

Problème immunitaire

Les cellules du système immunitaire ont un rôle important à jouer pour neutraliser les cellules anormales, et plus particulièrement les cellules tumorales. Les cellules CD8+ comptent parmi ces groupes de cellules importants. Il s’agit de lymphocytes T dotés de la capacité de tuer des cellules infectées par un virus, ainsi que des cellules tumorales. L’équipe de recherche a analysé des échantillons de tumeurs prélevés auprès des participant·e·s. Elle a constaté un nombre plus faible de cellules CD8+ dans les échantillons des personnes séropositives que dans les échantillons des personnes séronégatives.

En général, l’équipe de recherche a signalé que les personnes séropositives présentaient un cancer dès un âge considérablement plus jeune (55 ans) que les personnes séronégatives (62 ans). Ce résultat est frappant, car, de façon générale, le risque de cancer augmente avec l’âge à mesure que le système immunitaire s’affaiblit graduellement.

Ces deux facteurs, soit le nombre plus faible de lymphocytes T CD8+ dans les tumeurs et l’âge plus jeune des personnes séropositives lors du diagnostic du cancer, ont poussé l’équipe de recherche à soutenir que la présence du VIH était un enjeu majeur. Ce virus nuisait au système immunitaire des personnes faisant l’objet d’un diagnostic de cancer.

L’infection au VIH provoque l’inflammation et l’activation chronique du système immunitaire. Ces problèmes s’atténuent considérablement sous l’effet du TAR, c’est-à-dire l’atteinte et le maintien d’une charge virale inhibée. Cependant, les taux d’inflammation et d’activation immunitaire demeurent élevés par rapport aux personnes séronégatives. Nombre de scientifiques croient que l’exposition prolongée à l’activation immunitaire et à l’inflammation excessives peut dégrader lentement le système immunitaire. Cela ne veut pas dire que toutes les personnes séropositives, ou même la plupart d’entre elles, finissent par présenter un cancer. La recherche laisse toutefois entendre que l’activation immunitaire et l’inflammation chroniques risquent potentiellement d’augmenter le risque de cancer et d’accroître la probabilité des problèmes suivants :

  • maladies cardiovasculaires
  • diabète de type 2
  • insuffisance rénale chronique
  • stéatose hépatique non liée à l’alcool
  • maladies où le système immunitaire s’attaque à l’organisme (telle l’arthrite)
  • troubles neurodégénératifs

À retenir

Cette étude menée à l’Université Yale est un bon premier pas en ce qui concerne l’exploration de l’impact du VIH sur la survie des personnes atteintes de cancer. D’autres études ont permis de constater que les personnes séropositives couraient des risques accrus de cancer de nos jours. Cela ne veut pas dire que la plupart des personnes séropositives présenteront nécessairement un cancer, mais leur risque global de cancer augmente.

Comme l’étude menée à Yale a porté sur un nombre relativement faible de personnes, il est possible que l’équipe n’ait pas pris en compte des facteurs sous-jacents qui auraient contribué à la survie réduite des personnes séropositives.

L’équipe de recherche de Yale a besoin de coopérer avec d’autres scientifiques se spécialisant dans le cancer pour établir une base de données de plus grande envergure (où figureraient beaucoup plus de participant·e·s) afin de confirmer ses résultats. Une telle étude coûtera cher et se déroulera sur de nombreuses années, et l’équipe de recherche devra disputer des fonds de recherche limités avec d’autres.

Ressources

Société canadienne du cancer

Cancer – Gouvernement du Canada

Cancer – Gouvernement du Québec

Risque de deuxième cancer chez les personnes séropositives ayant survécu à un lymphome hodgkinienNouvelles CATIE

Une équipe de recherche française étudie les deuxièmes cancers touchant des personnes séropositives ayant survécu à un premierNouvelles CATIE

Une étude ontarienne examine les tendances en matière de cancer chez les personnes vivant avec le VIHNouvelles CATIE

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

  1. Salahuddin S, Cohen O, Wu et al. HIV is associated with poor overall survival among head and neck cancer patients. Clinical Infectious Diseases. 2023; sous presse.
  2. Lopez Angel CJ, Pham EA et al. Signatures of immune dysfunction in HIV and HCV infection share features with chronic inflammation in aging and persist after viral reduction or elimination. Proceedings of the National Academy of Sciences U S A. 2021 Apr 6;118(14): e2022928118. 
  3. Furman D, Campisi J, Verdin E et al. Chronic inflammation in the etiology of disease across the life span. Nature Medicine. 2019 Dec;25(12):1822-1832. 
  4. Martin GE, Sen DR, Pace M et al. Epigenetic features of HIV-induced T-cell exhaustion persist despite early antiretroviral therapy. Frontiers in Immunology. 2021 Jun 4; 12:647688. 
  5. Chaudhary O, Trotta D, Wang K et al. Patients with HIV-associated cancers have evidence of increased T cell dysfunction and exhaustion prior to cancer diagnosis. Journal for ImmunoTherapy of Cancer. 2022 Apr;10(4):e004564.