Une étude ontarienne sur le VIH ne trouve pas de lien entre les antécédents de syphilis et les lésions cérébrales

Avant l’avènement des traitements efficaces contre le VIH (TAR), les personnes vivant avec ce virus avaient le système immunitaire affaibli. Elles risquaient conséquemment de subir des dommages au cerveau et aux tissus environnants et de présenter de graves infections causées par divers microbes. Le VIH lui-même pouvait nuire au cerveau et causer des problèmes de mémoire et une détérioration de la fonction cérébrale. Dans les cas extrêmes, les lésions cérébrales liées au VIH causaient des changements de personnalité.

La liste de facteurs pouvant causer des lésions cérébrales inclut la neurosyphilis. Cette maladie survient lorsque le microbe responsable de la syphilis (type de tréponème) se propage jusqu’au cerveau.

Les premiers traitements efficaces contre le VIH ont vu le jour en 1996. Lorsqu’une personne prend son TAR en respectant toutes les consignes, ce dernier réduit énormément la quantité de VIH dans son sang et la maintient ainsi, ce qui permet de neutraliser le virus. Cette neutralisation du VIH donne au système immunitaire l’occasion de se réparer. Le TAR est tellement puissant que les scientifiques prévoient une espérance de vie quasi normale pour de nombreuses personnes suivant ce genre de traitement.

Syphilis et cerveau

Une équipe de recherche ontarienne a voulu évaluer les effets que les antécédents de syphilis continuaient d’exercer sur diverses facultés cérébrales chez les personnes séropositives, dont la mémoire, la vivacité d’esprit, la faculté d’apprendre, le traitement de l’information et d’autres fonctions cognitives supérieures. On appelle les tests utilisés pour évaluer ces fonctions cognitives des tests neuropsychologiques.

L’équipe de recherche a analysé des données recueillies auprès de 1 288 personnes séropositives qui avaient passé une évaluation neuropsychologique. L’équipe a également analysé des données inscrites aux dossiers médicaux des participant·e·s, notamment celles se rapportant à 271 personnes qui avaient reçu un diagnostic de syphilis.

L’équipe de recherche n’a trouvé aucun lien entre un diagnostic de syphilis et des répercussions quelconques sur les évaluations neuropsychologiques. Notons que les épisodes antérieurs de syphilis avaient tous été traités.

Même si son étude ne portait pas spécifiquement sur le sujet, l’équipe de recherche a constaté que près de 40 % des participant·e·s souffraient de dépression. Comme cette affection peut nuire à la mémoire et à l’acuité d’esprit, l’équipe l’a prise en considération lors de l’analyse des résultats. Le fait qu’un nombre si élevé de personnes souffraient de dépression souligne l’importance de dépister les problèmes de santé mentale chez les personnes séropositives et d’offrir un traitement à celles qui en ont besoin.

Cette étude met en lumière l’importance de commencer et de poursuivre fidèlement son TAR, ainsi que celle du dépistage et du traitement de la syphilis.

À propos de la syphilis

La syphilis est une maladie causée par la bactérie Treponema pallidum. Elle se transmet lors des relations sexuelles et par le partage de matériel servant à l’injection de drogues. L’infection par T. pallidum peut causer initialement une lésion indolore qui apparaît dans ou sur les organes génitaux, l’anus, la bouche ou la gorge. Il arrive que cette lésion passe inaperçue, surtout si elle se trouve à l’intérieur du corps. Or, peu de temps après l’infection, les bactéries qui causent la syphilis se propagent et risquent de pénétrer dans les yeux, le cerveau, les os, le cœur et les vaisseaux sanguins, le foie, les reins et d’autres organes vitaux. Notons que la syphilis peut également nuire au fœtus durant la grossesse. Les symptômes de la syphilis sont nombreux, et certains d’entre eux sont initialement légers ou ressemblent à ceux d’autres maladies. La bonne nouvelle est qu’il est possible de détecter la syphilis à l’aide d’un test sanguin simple et qu’il suffit d’un seul cycle de traitement pour guérir la plupart des personnes. Comme il est toutefois possible de contracter à nouveau la syphilis (par les voies déjà mentionnées), il est important de se faire tester régulièrement pour cette maladie.

Détails de l’étude

Les 1 288 participant·e·s avaient le profil moyen suivant lors de leur admission à l’étude :

  • âge : 44 ans
  • principaux groupes ethnoraciaux : Blanc·he·s – 54 %; Noir·e·s – 26 %
  • diagnostic de dépression : 37 %
  • TAR en cours : 81 %
  • utilisation de drogues : 18 %; l’équipe de recherche a défini cette catégorie comme l’usage de n’importe laquelle des substances suivantes dans les six mois précédents : méthamphétamine, cocaïne/crack, opioïdes, tranquillisants et « drogues de raves »
  • compte de CD4+ le plus faible depuis toujours : 190 cellules/mm3
  • compte de CD4+ actuel : 450 cellules/mm3
  • temps écoulé depuis le diagnostic de syphilis : 3,4 ans
  • nombre d’épisodes de syphilis : aucun – 83 %; un – 14 %; deux ou plus – 3 %

La collecte de données a eu lieu de janvier 2008 à décembre 2017, et l’équipe de recherche a centré son analyse sur 271 personnes qui avaient reçu un diagnostic de syphilis.

La participation à l’étude a duré deux ans en moyenne.

Résultats

On a recensé 366 épisodes de syphilis chez 271 personnes au cours de la période à l’étude.

L’équipe de recherche n’a constaté aucune incidence des antécédents de syphilis sur les évaluations neuropsychologiques.

Accent sur la neurosyphilis

Vingt-trois personnes ont fait l’objet d’un diagnostic de neurosyphilis durant l’étude.

Selon l’équipe de recherche, les facteurs suivants étaient plus susceptibles d’être présents chez les personnes ayant reçu un diagnostic de neurosyphilis que chez les personnes n’ayant jamais eu cette maladie :

  • utilisation de drogues au cours des six derniers mois : 60 % contre 27 % (l’équipe n’a pas publié de détails sur les modes d’administration des drogues)
  • charge virale détectable (plus de 50 copies/ml) : 60 % contre 31 %
  • infection au VIH de plus longue durée : 12 ans contre 5 ans

Malgré ces différences, les antécédents de syphilis n’ont pas eu de répercussions sur les évaluations neuropsychologiques.

À retenir

Avant l’avènement du TAR, la neurosyphilis semble avoir été plus courante chez les personnes séropositives. De plus, la neurosyphilis était associée à une série de complications cérébrales chez cette population avant l’ère du TAR. Il reste que cette étude n’a pas révélé d’incidence importante de la syphilis sur le fonctionnement du cerveau. L’équipe de recherche a proposé plusieurs explications à ce phénomène :

  • La dépression, maladie courante chez les participant·e·s, a eu un impact plus important sur la fonction cognitive que la syphilis.
  • Il est possible que cette étude n’ait pas inscrit de personnes éprouvant des problèmes de mémoire et de fonction cérébrale causés par la syphilis.
  • Les évaluations neuropsychologiques utilisées aux fins de cette étude prenaient une trentaine de minutes à accomplir, mais il aurait été possible d’effectuer des évaluations plus exhaustives d’une durée de deux heures. De telles évaluations auraient peut-être détecté des changements subtils attribuables à la syphilis (ou à d’autres facteurs). Notons cependant qu’il pourrait être difficile de recruter et de retenir des participant·e·s dans une étude utilisant des évaluations plus complexes et de plus longue durée.
  • Au cours de la période de cette étude, des traitements plus efficaces contre le VIH ont été introduits, notamment une classe de médicaments appelés inhibiteurs de l’intégrase, et les schémas thérapeutiques ont été simplifiés. Il se peut que ces changements aient permis une meilleure maîtrise du VIH (la simplification des traitements favorisant l’observance thérapeutique) et un meilleur renforcement du système immunitaire.
  • Il est possible que davantage de personnes aient commencé le TAR plus tôt dans le cours de l’infection au VIH, ce qui leur aurait permis de mieux préserver leurs fonctions neurocognitives. À ce propos, l’équipe de recherche a affirmé que les personnes inscrites à l’étude « avaient généralement un bon fonctionnement neurocognitif (quoique moins bon que la normale dans la population générale) ».
  • Selon l’équipe de recherche, il est possible que tout impact de la syphilis sur la santé cérébrale « soit minimisé par les bienfaits du TAR moderne ».
  • Cette étude a porté sur des personnes relativement jeunes; les résultats seraient peut-être différents chez des personnes plus âgées.
  • Grâce à la fréquence des tests de dépistage, il est possible que les médecins et le personnel infirmier aient détecté et traité rapidement la syphilis chez les participant·e·s à cette étude. Il se peut que ces facteurs aient minimisé les lésions neurologiques éventuelles causées par la syphilis.

Dépression et infections transmissibles sexuellement (ITS)

Comme nous l’avons mentionné plus tôt, une forte proportion des personnes inscrites à cette étude étaient en dépression. Cette équipe de recherche a souligné que des études antérieures avaient trouvé un lien entre la dépression et des diagnostics d’ITS récents. Selon l’équipe, ce résultat (taux élevés de dépression) souligne l’importance de dépister les troubles de santé mentale chez les personnes sélectionnées pour des études futures sur le fonctionnement neurocognitif.

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCE :

Christensen BL, Tavangar F, Kroch AE et al. Previous syphilis not associated with neurocognitive outcomes in people living with human immunodeficiency virus in Ontario, Canada. Sexually Transmitted Diseases. 2023 Jan 1;50(1):34-41.