On utilise des doses extrêmement élevées de ceftriaxone contre la gonorrhée en Chine

En 2019, des médecins travaillant dans un hôpital de Hangzhou, en Chine, ont mené une étude de six mois dont l’objectif consistait à dépister des cas de gonorrhée pharmacorésistante. Durant la période en question, l’équipe a analysé 70 échantillons ou frottis provenant de personnes atteintes de gonorrhée. Parmi ces 70 personnes, sept (10 %) présentaient une forte résistance à la ceftriaxone, et 37 % d’entre elles avaient acquis une résistance au médicament céfixime. Ce dernier se prend par voie orale, mais il n’est pas le traitement privilégié pour la gonorrhée de nos jours dans de nombreux pays à cause du risque de résistance.

Avant de se présenter à l’hôpital pour se faire soigner, les sept patient·e·s (six hommes, une femme) avaient reçu des dérivés de la pénicilline (appelés céphalosporines) en guise de traitement, mais sans succès. Ces antibiotiques avaient tous une structure semblable à celle de la ceftriaxone, ce qui explique le degré élevé de résistance à celle-ci.

Pour surmonter le problème de la forte résistance à la ceftriaxone, les médecins ont traité quatre des sept personnes avec une dose élevée de ce médicament, soit 2 grammes par voie intraveineuse pendant un ou deux jours. Trois personnes ont guéri subséquemment. La quatrième personne a reçu un deuxième traitement par ceftriaxone, mais n’est pas retournée à l’hôpital pour vérifier qu’elle était guérie. Les autres patient·e·s ont reçu d’autres antibiotiques. Une personne s’est fait prescrire un traitement de 12 jours par céfuroxime (Ceftin) et a guéri. Deux autres ne sont pas retournées à l’hôpital pour vérifier que les antibiotiques prescrits avaient guéri la gonorrhée.

Notons que la souche de gonorrhée dont ces sept personnes étaient infectées a également été découverte en Europe, au Japon, en Amérique du Nord et dans d’autres régions de la Chine.

Cette étude est importante pour les raisons suivantes, entre autres :

  • Elle documente le fait que, dans certaines régions de la Chine, des médecins prescrivent des doses plus élevées de ceftriaxone que celles utilisées en Amérique du Nord ou en Europe pour le traitement de la gonorrhée.
  • Chez certaines personnes, le traitement a inclus plus d’une seule dose élevée de ceftriaxone.
  • L’étude a révélé que les souches de bactéries résistantes de la gonorrhée pouvaient se propager d’un continent à l’autre.

Le recours à une dose élevée de ceftriaxone à Hangzhou n’est pas une anomalie, comme on pourra le constater ci-dessous.

Examen de dossiers médicaux à Pékin

Dans une autre étude, des médecins de Pékin ont passé en revue des dossiers médicaux obtenus dans sept hôpitaux situés dans cinq provinces. Leur étude s’est déroulée entre 2013 et 2017. L’équipe s’est concentrée sur 1 686 personnes chez qui on avait diagnostiqué un cas de gonorrhée. En moyenne, du début à la fin de l’étude, 10 % des échantillons contenaient des bactéries résistantes à la ceftriaxone, selon les tests de laboratoire effectués. Un total de 1 401 personnes ont reçu de la ceftriaxone par voie intraveineuse comme traitement. La plupart d’entre elles ont reçu une dose de 1 000 mg ou plus, en une seule dose. Les doses couramment administrées incluaient les suivantes :

  • 2 000 mg
  • 3 000 mg
  • 4 000 mg
  • 6 000 mg

Toutes ces doses étaient administrées par voie intraveineuse. Aucun cas d’échec thérapeutique n’a été signalé durant la période de l’étude. Les médecins ont attribué l’absence d’échecs thérapeutiques aux doses extrêmement élevées utilisées. Selon les médecins de Pékin, les doses de ceftriaxone utilisées dans leur étude étaient plus élevées que celles recommandées dans les lignes directrices chinoises pour le traitement régulier des infections transmissibles sexuellement. Les médecins ont donné les raisons suivantes pour l’usage de doses très élevées de ceftriaxone :

  • La ceftriaxone fabriquée pour le marché chinois est principalement offerte en doses de 1 000 mg et 2 000 mg.
  • « La plupart des clinicien·ne·s donnent l’impression que la ceftriaxone produite [en Chine] est moins puissante que le médicament fabriqué dans d’autres pays, ce qui aurait pu inciter les médecins à prescrire des doses plus élevées lorsque la version de la ceftriaxone produite au pays était utilisée ».
  • « Les patient·e·s qui avaient reçu auparavant un diagnostic de N. gonorrhoeae ou d’autres infections transmissibles sexuellement se faisaient prescrire une dose plus élevée de ceftriaxone que les personnes présentant une infection primaire dans cette étude ».
  • « Les patient·e·s qui utilisaient déjà des antibiotiques pour leur infection [au moment de consulter à l’hôpital] se faisaient prescrire une dose plus élevée de ceftriaxone que les personnes qui ne prenaient pas d’antibiotique lors de la consultation initiale. Il est probable que les médecins considéraient ces patient·e·s comme en situation d’échec thérapeutique clinique, d’où la prescription d’une dose plus élevée ».

Les médecins de Pékin ont souligné que l’innocuité de l’usage de doses tellement élevées de ceftriaxone était inconnue. Outre la gonorrhée, notons que la ceftriaxone est utilisée pour le traitement d’infections bactériennes graves de l’abdomen, des os, du cerveau, des poumons, de la peau, des voies urinaires et d’autres. Au Canada, les renseignements posologiques se rapportant à la ceftriaxone stipulent ceci à l’heure actuelle : « L’expérience est limitée avec des posologies quotidiennes de 3 à 4 g administrées en une dose unique ou en deux doses égales. La posologie quotidienne totale ne doit pas dépasser 4 g ».

Une autre conséquence de l’administration de doses très élevées comme celles utilisées en Chine réside dans leur effet sur l’équilibre des bactéries intestinales. Il est plausible que les doses trop élevées de ceftriaxone (ou d’autres antibiotiques) causent la croissance excessive de bactéries susceptibles de provoquer de graves infections chez des gens. Les médecins n’ont toutefois pas été en mesure d’évaluer cette possibilité dans leur étude.

Historiquement, les souches de gonorrhée ou d’autres infections transmissibles sexuellement qui ont acquis une résistance aux antibiotiques n’ont pas eu tendance à rester dans une seule région du monde, mais se sont propagées partout sur la planète. Il s’ensuit que les souches de gonorrhée qui s’habitueraient éventuellement aux doses extrêmement élevées de ceftriaxone utilisées dans certaines parties de la Chine pourraient se propager et devenir plus difficiles à traiter dans les pays où des doses beaucoup moins élevées de ce médicament sont utilisées à l’heure actuelle.

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

  1. Yan J, Chen Y, Yang F, et al. High percentage of the ceftriaxone-resistant Neisseria gonorrhoeae FC428 clone among isolates from a single hospital in Hangzhou, China. Journal of Antimicrobial Chemotherapy. 2021 Mar 12;76(4):936-939. 
  2. Han Y, Yin Y, Dai X, et al. Widespread use of high-dose ceftriaxone therapy for uncomplicated gonorrhea without reported ceftriaxone treatment failure: Results from 5 years of multicenter surveillance data in China. Clinical Infectious Diseases. 2020 Jan 1;70(1):99-105. 
  3. Sandoz Canada. Ceftriaxone sodique pour injection BP. Monographie de produit. 6 janvier 2022.
  4. Baker RE, Mahmud AS, Miller IF, et al. Infectious disease in an era of global change. Nature Reviews Microbiology. 2022 Apr;20(4):193-205. 
  5. Lewis DA. Global resistance of Neisseria gonorrhoeae: when theory becomes reality. Current Opinion in Infectious Diseases. 2014 Feb;27(1):62-7.