Fluvoxamine : un antidépresseur générique semble très prometteur contre la COVID-19 de stade précoce

Des équipes de recherche d’Australie, du Brésil, du Canada et des États-Unis ont conçu et mené une étude randomisée et contrôlée contre placebo sur la fluvoxamine. Aux fins de cette étude portant le nom de Together, on donnait le médicament à des personnes atteintes de COVID-19 de stade précoce à raison de 100 mg, deux fois par jour. Les participant·e·s avaient au moins une affection sous-jacente qui augmentait leur risque de détérioration. Les équipes de recherche ont réparti au hasard 3 238 personnes pour recevoir une des interventions suivantes :

  • fluvoxamine : 739 personnes
  • placebo : 733 personnes
  • autres médicaments expérimentaux : 1 766 personnes

Même si l’étude Together met à l’essai diverses interventions, l’analyse la plus récente porte principalement sur une comparaison des personnes recevant la fluvoxamine ou le placebo. Les équipes ont trouvé que l’état des personnes traitées par fluvoxamine était significativement moins susceptible de se détériorer que celui des personnes du groupe placebo; en termes concrets, précisons que celles-là étaient moins susceptibles d’être hospitalisées ou admises à un service des urgences pour un séjour prolongé. Together est une étude bien conçue, et ses résultats pourraient avoir des implications pour la prise en charge médicale des personnes souffrant de COVID-19 de stade précoce.

Détails de l’étude

L’étude Together a commencé à la mi-janvier 2021. Le recrutement des participant·e·s a eu lieu dans 11 cliniques du Brésil.

Les participant·e·s étaient des adultes chez qui s’étaient déclarés récemment des symptômes caractéristiques de la COVID-19 aiguë. Des tests de dépistage ont révélé la présence du SRAS-CoV-2. L’ensemble des participant·e·s avaient au moins une caractéristique ou une affection sous-jacente associée à un risque accru de complications liées à la COVID-19. Les facteurs et affections sous-jacents incluaient les suivants :

  • diabète de type 2
  • hypertension pulmonaire nécessitant un traitement
  • maladie cardiaque
  • maladie pulmonaire
  • obésité
  • tabagisme
  • âge supérieur à 50 ans

De plus, certaines personnes faisaient l’objet d’interventions médicales qui affaiblissaient leur système immunitaire, dont les suivantes :

  • prise de médicaments immunosuppresseurs à la suite d’une greffe d’organe
  • insuffisance rénale grave ou besoin de dialyse
  • usage de corticostéroïdes
  • traitement contre le cancer en cours

Aucune personne figurant dans cette étude n’avait été vaccinée contre la COVID-19.

À propos des résultats clés des essais cliniques

De nombreux essais cliniques sont conçus pour évaluer les effets exercés par des médicaments sur une infection ou un processus pathologique. Lors de la conception d’un essai clinique, des staticien·ne·s et des scientifiques se rencontrent pour déterminer les résultats clés ou « critères d’évaluation » que l’essai cherchera à mesurer.

À titre d’exemple, notons que certains essais cliniques évaluent la durée de survie des personnes inscrites après qu’elles ont reçu une intervention particulière, soit le médicament A ou le médicament B. Dans un tel cas, le critère d’évaluation est la durée de survie. D’autres essais évaluent le nombre de personnes qui survivent après avoir reçu telle ou telle intervention. Dans ce dernier cas, le critère d’évaluation réside dans les proportions de survivant·e·s.

Étude Together

Dans l’étude Together, le principal critère d’évaluation était la proportion de personnes ayant besoin de l’une des interventions suivantes :

  • séjour prolongé (plus de six heures) dans le service des urgences d’un hôpital
  • hospitalisation suite à l’aggravation des symptômes de la COVID-19 et/ou de ses complications dans les 28 jours suivant l’admission à l’étude

Selon l’équipe de recherche, « tous les participant·e·s ont reçu la norme de soins en matière de COVID-19 » dans des établissements locaux de santé publique (à moins d’avoir été hospitalisé·e·s). Les soins en question incluaient des médicaments pour réduire la fièvre et, si une pneumonie bactérienne était soupçonnée, la prescription d’antibiotiques.

Les participant·e·s avaient le profil moyen suivant au moment de leur admission à l’étude :

  • âge : 50 ans
  • 58 % de femmes, 42 % d’hommes
  • principaux groupes ethnoraciaux : races/ethnies mixtes – 95 %; Blancs – 1 %; Noirs – 1 %
  • affections sous-jacentes les plus courantes : obésité, diabète de type 2 et hypertension

Résultats

En août 2021, le comité de surveillance des données et de la sécurité indépendant de cette étude a recommandé l’arrêt du recrutement et de la randomisation des participant·e·s, c’est-à-dire la sélection aléatoire des personnes destinées à recevoir la fluvoxamine. (Notons cependant que des sous-études de Together se poursuivent pour évaluer d’autres traitements potentiels). Cette décision a été prise parce que l’effet de la fluvoxamine s’est révélé statistiquement supérieur à celui du placebo. Autrement dit, les personnes traitées par fluvoxamine étaient moins à risque de passer un long séjour à l’urgence ou d’être hospitalisées pour la COVID-19. À ce propos, notons que les admissions à l’urgence de longue durée et les hospitalisations ont eu lieu dans les proportions suivantes :

  • fluvoxamine : 11 %
  • placebo : 16 %

La fluvoxamine a procuré les mêmes bienfaits sans égard aux facteurs suivants :

  • âge
  • sexe
  • nombre de jours écoulés depuis l’apparition des symptômes de la COVID-19
  • affections sous-jacentes susceptibles d’augmenter le risque de COVID-19 grave
  • présence d’autres affections médicales
  • tabagisme

Les taux de décès ont été les suivants :

  • fluvoxamine : 2 %
  • placebo : 3 %

La fluvoxamine n’a eu aucun impact sur les phénomènes suivants :

  • clairance du SRAS-CoV-2 après une semaine
  • nombre de jours passés à l’hôpital
  • risque de décès
  • nombre de jours passés sous ventilation
  • temps nécessaire pour se rétablir de la COVID-19

Vaccination

Lorsque cette étude a commencé, les vaccins contre la COVID-19 n’étaient pas disponibles au Brésil. À mesure que l’étude progressait, la distribution de vaccins avait lieu. Selon l’équipe de recherche, « seulement 6 % des participant·e·s disaient avoir reçu au moins une dose d’un vaccin contre la COVID-19 à la fin de l’essai clinique ». De l’avis de l’équipe, cela aurait eu un « effet minime » sur les résultats.

Effets indésirables et observance thérapeutique

Une analyse statistique n’a révélé aucune différence entre la gravité des effets indésirables signalés par les personnes traitées par fluvoxamine et celles du groupe placebo. Notons cependant que davantage de personnes sous fluvoxamine (11 %) que sous placebo (8 %) ont cessé prématurément de prendre leur traitement à cause de problèmes de tolérance.

De plus, selon l’équipe de recherche, les personnes qui faisaient preuve d’une observance « optimale » du traitement à la fluvoxamine étaient significativement moins susceptibles de connaître une détérioration de leur état à cause de la COVID-19.

Autres études

Les résultats de l’essai Together font écho à ceux d’une étude randomisée de moins grande envergure menée antérieurement aux États-Unis, lors de laquelle on a utilisé une dose plus élevée de fluvoxamine, soit 100 mg trois fois par jour pendant 15 jours consécutifs. De façon générale, le risque de détérioration était plus faible pour les participante·s à cette étude que lors de l’étude brésilienne.

En France, l’équipe d’une étude de plus grande envergure a examiné les dossiers hospitaliers de 7 230 adultes qui avaient contracté la COVID-19. Dans ce groupe, l’équipe a constaté que 345 personnes avaient commencé un traitement par antidépresseurs dans les 48 heures suivant leur hospitalisation. L’équipe a trouvé que le risque de complications graves ou de décès lié à la COVID-19 avait diminué significativement chez ces 345 personnes. Notons que la plupart de celles-ci prenaient des antidépresseurs semblables à la fluvoxamine.

Avantages et inconvénients de la fluvoxamine

La fluvoxamine offre au moins les avantages suivants :

  • données d’innocuité probantes amassées depuis longtemps avant l’arrivée de la COVID-19
  • administration sous forme de comprimé
  • coût relativement faible
  • largement accessible

Notons toutefois que la fluvoxamine, comme de nombreux antidépresseurs, peut interagir avec d’autres médicaments. De nombreuses personnes courant un risque élevé de COVID-19 souffrent d’affections sous-jacentes qui nécessitent un traitement. Si la fluvoxamine était prescrite à des personnes recevant déjà d’autres médicaments, une consultation auprès d’un·e pharmacien·ne serait nécessaire pour réduire le risque d’interactions médicamenteuses.

À l’avenir

Les résultats de l’étude Together sont très enthousiasmants. Dans l’histoire relativement courte de la pandémie de COVID-19, il est peu habituel qu’un médicament conçu à une fin différente ait été repositionné avec succès pour traiter le SRAS-CoV-2 dans un essai clinique. Peut-être d’autres essais cliniques seront-ils menés pour tester des combinaisons de fluvoxamine et d’autres antiviraux oraux émergents pour le traitement de la COVID-19 de stade précoce, comme le molnupiravir ou Paxlovid.

Voici une question importante pour l’avenir : Peut-on attribuer l’effet de la fluvoxamine dans l’étude Together à ce médicament particulier, ou est-ce qu’un résultat semblable serait observé sous l’effet d’antidépresseurs s’apparentant à la fluvoxamine sur le plan chimique? Pour répondre à cette question, des essais cliniques de grande envergure seraient nécessaires.

À retenir

Selon l’équipe de recherche de l’étude Together, plus de 2 800 essais cliniques randomisés enregistrés ont été menés pour évaluer des interventions potentielles contre la COVID-19. Cependant, les résultats de seulement 300 d’entre eux ont été publiés. Selon d’autres équipes, de nombreux essais sur la COVID-19 n’étaient pas bien conçus, ce qui rend difficile l’interprétation claire de leurs résultats. Dans une situation où les ressources sont limitées et où le temps presse, la mise sur pied d’essais cliniques mal conçus n’est pas une bonne pratique.

L’essai Together devrait servir d’inspiration à d’autres scientifiques en montrant qu’il est possible de mener un essai clinique rigoureusement conçu qui permette de tirer des conclusions solides, et ce, même en plein cœur d’une crise sanitaire mondiale.

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

  1. Reis G, Moreira-Silva XDS, Silva CM, et al. Effect of early treatment with fluvoxamine on risk of emergency care and hospitalization among patients with COVID-19: the Together randomized platform clinical trial. Lancet Global Health. 2021; sous presse.
  2. Berwanger O. Fluvoxamine for outpatients with COVID-19: where do we stand? Lancet Global Health. 2021; sous presse.
  3. Mehta HB, Ehrhardt S, Moore TJ, et al. Characteristics of registered clinical trials assessing treatments for COVID-19: a cross-sectional analysis. BMJ Open. 2020;10(6):e039978.
  4. Bauchner H, Fontanarosa PB. Randomized clinical trials and COVID-19: managing expectations. JAMA. 2020 Jun 9;323(22):2262-2263.
  5. Oskotsky T, Maric I, Tang A, et al. Mortality Risk Among Patients With COVID-19 Prescribed Selective Serotonin Reuptake Inhibitor Antidepressants. JAMA Network Open. 2021 Nov 1;4(11):e2133090.  
  6. Hoertel N. Do the Selective Serotonin Reuptake Inhibitor Antidepressants Fluoxetine and Fluvoxamine Reduce Mortality Among Patients With COVID-19? JAMA Network Open. 2021 Nov 1;4(11):e2136510.