La prophylaxie post-exposition à la doxycycline aide à réduire le risque de certaines infections transmissibles sexuellement

Depuis une décennie, on assiste à une résurgence d’infections transmissibles sexuellement (ITS) courantes, y compris d’ITS bactériennes comme la syphilis, la gonorrhée et la chlamydiose.

Ces ITS peuvent causer de graves complications, dont les suivantes :

  • Syphilis : Les microbes qui causent cette ITS peuvent s’attaquer à des nerfs dans les yeux (causant la cécité) et les oreilles (causant une perte d’acuité auditive); la syphilis peut également nuire au cœur, au cerveau, aux reins et au foie.
  • Gonorrhée : Cette ITS cause souvent de la douleur et une gêne. Elle risque également de provoquer l’infertilité. Au cours des 50 dernières années, les microbes à l’origine de la gonorrhée ont acquis la capacité de résister à divers antibiotiques, et les options thérapeutiques sont conséquemment moins nombreuses de nos jours.
  • Chlamydiose : Cette ITS cause la maladie inflammatoire pelvienne et l’infertilité chez certaines femmes. Les complications de la chlamydiose sont moins courantes chez les hommes, mais elle peut provoquer de l’inflammation dans les testicules et la prostate dans certains cas.

Des équipes de recherche à San Francisco et à Seattle ont mené une étude sur l’antibiotique doxycycline pour déterminer si ce médicament pouvait réduire le risque de syphilis, de gonorrhée et de chlamydiose après une exposition sexuelle à celles-ci. Les participant·e·s étaient majoritairement des hommes gais, bisexuels et d’autres hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (hommes gbHARSAH), mais une faible proportion se composait de femmes transgenres, soit moins de 5 %.

Au début de l’étude, 501 participant·e·s ont passé des tests de dépistage d’ITS, et des traitements ont été donnés si cela s’avérait nécessaire. Une fois dans l’étude, les participant·e·s ont été réparti·e·s au hasard pour recevoir soit 200 mg de doxycycline (doxy-PPE) dans les 72 heures suivant une relation sexuelle sans condom, soit rien. Les participant·e·s retournaient aux cliniques de l’étude tous les trois mois pour se faire tester pour des ITS et répondre à un questionnaire sur leurs comportements sexuels, l’observance thérapeutique et les effets secondaires éventuels. Le suivi des participant·e·s a duré au moins un an.

Dans l’ensemble, la doxy-PPE a réduit des deux tiers le risque de syphilis, de gonorrhée et de chlamydiose. Ce résultat est significatif du point de vue statistique. La doxy-PPE a réduit très efficacement le risque d’ITS sans égard à la présence ou à l’absence du VIH.

Les participant·e·s ont fait preuve d’un taux élevé d’observance de la doxy-PPE (près de 86 %), ce qui semble indiquer un niveau de motivation élevé.

Détails de l’étude

L’équipe de recherche a rendu compte des résultats obtenus auprès de 501 participant·e·s réparti·e·s dans un rapport de 2 à 1 dans les deux groupes suivants :

  • Doxy-PPE : Ces personnes ont reçu des flacons de comprimés à libération retardée de la doxycycline (200 mg) avec l’instruction d’en prendre un dans les 72 heures suivant une relation sexuelle sans condom.
  • Soins standards : Ces personnes n’ont pas reçu de doxy-PPE.

Comme nous l’avons mentionné, les participant·e·s devaient se rendre aux cliniques de l’étude tous les trois mois. Les visites pouvaient être plus fréquentes si cela s’avérait nécessaire.

L’équipe de recherche a recruté 174 personnes séropositives et 327 personnes séronégatives. Celles-ci suivaient une prophylaxie pré-exposition (PrEP) pour réduire leur risque de contracter le VIH.

Les participant·e·s avaient le profil moyen suivant lors de leur admission à l’étude :

  • âge : 38 ans
  • 96 % étaient des hommes cisgenres; 4 % étaient des femmes transgenres ou des personnes possédant diverses identités de genre
  • principaux groupes ethnoraciaux : Blanc·he·s – 67 %; races multiples – 15 %; Asiatiques – 11 %; Noir·e·s – 7 %
  • ITS dans les six mois précédents : gonorrhée – 30 %; chlamydiose – 12 %; syphilis – 4 %
  • nombre de partenaires sexuel·le·s dans les trois mois précédents : 9
  • services sexuels contre de l’argent à tout moment dans le passé – 29 %
  • drogues couramment utilisées dans les trois mois précédents : marijuana – 48 %; nitrite d’amyle (poppers) – 45 %; ecstasy, GHB ou kétamine – 32 %; opioïdes – 3 %; stimulants (méthamphétamine, cocaïne ou crack) – 30 %

Caractéristiques liées au VIH

Parmi les participant·e·s qui avaient le VIH au début de l’étude, plus de 99 % suivaient un traitement antirétroviral (TAR), et 95 % des personnes sous TAR avaient une charge virale inhibée (moins de 50 copies/ml). Le compte de CD4+ moyen était de 700 cellules/mm3.

Chez neuf personnes séropositives, la charge virale était détectable au début de l’étude, soit 1 354 copies/ml en moyenne.

Cette étude s’est déroulée entre août 2020 et mai 2022.

Résultats : diagnostics d’ITS

Dans l’ensemble, le recours à la doxy-PPE a réduit de 66 % le risque d’ITS bactériennes (syphilis, gonorrhée ou chlamydiose).

Personnes sous PrEP

Parmi les personnes séronégatives sous PrEP, une ITS a été diagnostiquée lors de 11 % des consultations en clinique chez les personnes utilisant également la doxy-PPE, comparativement à 32 % des consultations chez les personnes ne recevant pas de doxy-PPE.

Personnes séropositives

Parmi les personnes atteintes du VIH, une ITS a été diagnostiquée lors de 12 % des consultations en clinique chez les personnes utilisant également la doxy-PPE, comparativement à 31 % des consultations chez les personnes ne recevant pas de doxy-PPE.

Résultats : ITS spécifiques

Gonorrhée

Parmi les personnes séronégatives sous PrEP, un diagnostic de gonorrhée a été posé chez 9 % des personnes utilisant la doxy-PPE, comparativement à 20 % des personnes ne recevant pas de doxy-PPE.

Parmi les personnes séropositives, un diagnostic de gonorrhée a été posé chez 9 % des personnes utilisant la doxy-PPE, comparativement à 20 % des personnes ne recevant pas de doxy-PPE.

Chlamydiose

Parmi les personnes séronégatives sous PrEP, un diagnostic de chlamydiose a été posé chez 1 % des personnes utilisant la doxy-PPE, comparativement à 12 % des personnes ne recevant pas de doxy-PPE.

Parmi les personnes séropositives, un diagnostic de chlamydiose a été posé chez 4 % des personnes utilisant la doxy-PPE, comparativement à 15 % des personnes ne recevant pas de doxy-PPE.

Syphilis

Parmi les personnes séronégatives sous PrEP, un diagnostic de syphilis a été posé chez 0,4 % des personnes utilisant la doxy-PPE, comparativement à 3 % des personnes ne recevant pas de doxy-PPE.

Parmi les personnes séropositives, un diagnostic de syphilis a été posé chez 1 % des personnes utilisant la doxy-PPE, comparativement à 2 % des personnes ne recevant pas de doxy-PPE.

Innocuité

De façon générale, la doxy-PPE a été bien tolérée. Seulement 2 % des personnes utilisant la doxy-PPE ont cessé de prendre celle-ci à cause d’effets secondaires ou pour d’autres raisons. Cela n’a rien d’étonnant parce que la doxycycline est utilisée pour le traitement de diverses infections bactériennes depuis des décennies, et elle a un bon profil d’innocuité.

Selon l’équipe de recherche, les effets indésirables suivants étaient probablement attribuables à l’usage de la doxycycline :

  • augmentation temporaire des taux sanguins d’enzymes hépatiques chez 2 personnes
  • diarrhées graves temporaires chez 3 personnes
  • maux de tête graves temporaires chez 2 personnes

On a constaté une perte de poids modeste (0,8 kg) chez les personnes recevant la doxy-PPE, ainsi qu’une perte de poids très modeste (0,2 kg) chez les personnes ne recevant pas cet antibiotique.

Lorsque la question leur a été posée, près de 90 % des participant·e·s ont affirmé que la doxy-PPE leur était acceptable ou très acceptable.

Résistance

Comme il arrive avec tout antibiotique, la possibilité que des bactéries, et plus particulièrement des ITS, acquièrent une résistance aux effets du médicament soulève des préoccupations. L’équipe de recherche a analysé des échantillons prélevés par frottis chez les participant·e·s à différents moments de l’étude. Elle a constaté que la résistance à l’antibiotique n’était pas courante et, à leur avis, ne constituait pas un problème sérieux.

Résistance de la gonorrhée

Pour de nombreuses raisons, l’équipe de recherche n’a été en mesure d’analyser qu’un nombre limité d’échantillons de bactéries gonococciques (17 % des participant·e·s). Au début de l’étude, une résistance à la doxycycline a été détectée dans quatre échantillons sur 15 (27 %). Durant l’étude, la répartition des cas de gonorrhée résistante a été la suivante :

  • personnes recevant la doxy-PPE : 38 % (5 échantillons sur 13)
  • personnes ne recevant pas de doxy-PPE : 12 % (2 échantillons sur 16)

S. aureus

Une autre bactérie qui suscite de l’intérêt s’appelle Staphylococcus aureus (S. aureus). Cette bactérie vit sur la peau et certaines surfaces muqueuses (tel l’intérieur du nez). La peau et la paroi interne du nez agissent comme des barrières qui empêchent la bactérie de pénétrer à l’intérieur du corps. Comme cette bactérie ne parvient que rarement à entrer dans le corps, le système immunitaire n’a pas acquis la capacité de la combattre et peut se trouver impuissant lorsque S. aureus se faufile dans le corps à travers des coupures ou des éraflures de la peau. Une fois dans le corps, S. aureus peut se propager aux tissus et, transporté par le sang, jusqu’à des organes vitaux comme le cœur et les poumons, où l’infection risque de devenir grave, voire mortelle dans certains cas.

Au début de l’étude, on a détecté S. aureus dans les échantillons de frottis de la cavité nasale chez 45 % des participant·e·s, et la bactérie était résistante à la doxycycline dans 12 % des cas.

Douze mois après le début de l’étude, 28 % des participant·e·s recevant la doxy-PPE avaient S. aureus dans leurs échantillons nasaux, comparativement à 47 % des participant·e·s ne recevant pas ce traitement.

Selon l’équipe de recherche, dans l’ensemble, on a détecté S. aureus chez 5 % des personnes utilisant la doxy-PPE et chez 4 % des personnes ne recevant pas l’antibiotique.

À retenir

Dans cette étude, le recours à la doxy-PPE s’est révélé très efficace pour minimiser l’apparition de la chlamydiose, de la gonorrhée et de la syphilis chez des hommes gbHARSAH et des femmes trans très motivé·e·s. De ce fait, nombre de médecins souhaiteront prescrire cet antibiotique à certains, voire à de nombreux patients gbHARSAH sexuellement actifs qui seront en mesure de prendre fidèlement la doxy-PPE.

En Californie, certains départements de la santé publique ont recommandé le recours à la doxy-PPE aux hommes gbHARSAH. Cependant, au moment de mettre sous presse, l’organisme Public Health England et la British Association for Sexual Health and HIV déconseillent l’usage de ce traitement de peur de favoriser l’émergence de souches plus nombreuses et plus répandues de bactéries résistantes à la doxycycline (et aux antibiotiques apparentés).

Comme nous l’avons mentionné plus tôt, il existe de nos jours moins d’options thérapeutiques pour combattre la gonorrhée à cause de l’émergence de résistance. Un suivi à long terme est nécessaire pour détecter toute résistance éventuelle de la gonorrhée (et d’autres bactéries) à la doxycyline, surtout auprès des hommes gbHARSAH. Un tel suivi est d’autant plus important que nombre d’expériences de laboratoire laissent croire que les bactéries qui résistent à la doxycycline sont également capables d’acquérir une résistance à des antibiotiques non apparentés comme la ceftriaxone.

Des études sont également nécessaires pour déterminer les effets à long terme de la doxycycline sur les bactéries qui vivent naturellement dans les intestins et qui sont essentielles à la santé humaine.

Rappelons finalement que la présente étude a porté sur des hommes gbHARSAH et 19 femmes trans (ou personnes affichant diverses identités de genre) très motivé·e·s. Des études sur la doxy-PPE doivent être conçues pour évaluer cette dernière chez d’autres populations courant un risque élevé d’ITS.

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

  1. Luetkemeyer AF, Donnell D, Dombrowski JC et al. Postexposure doxycycline to prevent bacterial sexually transmitted infections. New England Journal of Medicine. 2023 Apr 6;388(14):1296-1306.
  2. Vanbaelen T, Manoharan-Basil SS, Kenyon C. Doxycycline post-exposure prophylaxis could induce cross-resistance to other classes of antimicrobials in Neisseria gonorrhoeae: an in-silico analysis. Sexually Transmitted Diseases. 2023; sous presse.
  3. Mortimer TD, Grad YH. A genomic perspective on the near-term impact of doxycycline post-exposure prophylaxis on Neisseria gonorrhoeae antimicrobial resistance. Clinical Infectious Diseases. 2023; sous presse.
  4. Whiley DM, Tickner JA, Kundu RL et al. Selection of Neisseria gonorrhoeae ceftriaxone resistance using doxycycline post-exposure prophylaxis. Lancet Infectious Diseases. 2023; sous presse.
  5. Kong FYS, Kenyon C, Unemo M. Important considerations regarding the widespread use of doxycycline chemoprophylaxis against sexually transmitted infections. Journal of Antimicrobial Chemotherapy. 2023 Jul 5;78(7):1561-1568.