Une équipe de recherche australienne constate l’efficacité du traitement comme prévention (TasP) chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes

Les traitements contre le VIH (TAR) procurent au moins deux bienfaits importants. Sur le plan individuel, s’il est utilisé comme il se doit, le TAR réduit la quantité de VIH dans le sang jusqu’à un niveau inférieur au seuil de détection des tests de dépistage de routine, et ce, chez la vaste majorité des personnes. Un tel niveau de virus est qualifié couramment d’« indétectable ». Cette inhibition du VIH réduit l’inflammation et atténue les lésions causées par le virus dans l’organisme. Au fil du temps, le système immunitaire parvient à se rebâtir à un tel point que le risque d’infections et de cancers liés au sida devient extrêmement faible. Le TAR est tellement puissant que les scientifiques prévoient de plus en plus une espérance de vie quasi normale pour de nombreuses personnes utilisant ce genre de traitement.

Outre les bienfaits pour l’individu, le TAR et l’inhibition de la charge virale ont une incidence importante sur la transmission sexuelle du VIH. Il y a près d’une décennie, on a mené des essais cliniques rigoureusement conçus auprès de couples dont un·e des partenaires était séropositif·ve et l’autre, séronégatif·ve. Après l’amorce du TAR et l’atteinte et le maintien subséquents d’une charge virale inhibée chez la personne séropositive, les deux partenaires passaient régulièrement des tests de dépistage du VIH et avaient des relations sexuelles sans condom. L’équipe de recherche n’a recensé aucun nouveau cas de transmission du VIH attribuable à des partenaires dont la charge virale était inhibée. Ce résultat a été obtenu auprès d’hommes gais, bisexuels et autres hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (hommes gbHARSAH), ainsi qu’auprès de couples hétérosexuels.

Les résultats de ces essais cliniques ont donné lieu à l’expression « I=I », une équation signifiant indétectable égale intransmissible. I=I est un élément important des campagnes visant la prévention du VIH et des efforts pour réduire la stigmatisation dont le VIH fait l’objet depuis des décennies.

Arrêter la propagation à grande échelle

Les scientifiques s’intéressent à déployer des interventions à la grandeur d’une ville, d’un pays ou d’une région afin de freiner la propagation du VIH. Un élément essentiel des campagnes de prévention du VIH consiste à faciliter l’accès au dépistage du VIH et à accélérer l’aiguillage vers des soins des personnes ayant récemment reçu un diagnostic afin qu’elles se fassent offrir un traitement. Une fois les soins et le traitement en cours, la vaste majorité des patient·e·s atteignent et maintiennent une charge virale inhibée. Le recours au traitement (et à une charge virale indétectable) pour faciliter la prévention du VIH relève d’une stratégie appelée « traitement comme prévention » ou TasP.

Étude australienne

En Australie, une équipe de recherche a mené une étude d’envergure sur le TasP auprès de plus de 100 000 hommes gbHARSAH. Il s’agissait de 90 304 hommes séronégatifs et de 11 468 hommes séropositifs. L’étude s’est déroulée de janvier 2010 à décembre 2019 dans deux grands États australiens, la Nouvelle-Galles du Sud et Victoria.

Au cours de l’étude, le pourcentage d’hommes séropositifs dont la charge virale était inhibée est passé de 69 % à 88 %. Durant cette période, le taux de nouvelles infections par le VIH a chuté de près de trois fois. Selon les estimations de l’équipe de recherche, chaque augmentation de 1 % de la proportion de personnes ayant une charge virale inhibée correspondait à une baisse de 6 % des nouvelles infections par le VIH.

La prophylaxie pré-exposition au VIH (PrEP) a été introduite en Australie en 2016. Selon les estimations de l’équipe de recherche, environ 18 % des hommes gbHARSAH séronégatifs y avaient recours cette année-là. En 2019, 36 % des hommes gbHARSAH utilisaient la PrEP, selon les estimations. Cependant, selon l’équipe de recherche, l’effet du TasP avait déjà été observé avant l’arrivée de la PrEP. Les résultats de cette étude australienne sont très encourageants, et l’équipe de recherche recommande le déploiement conjoint du TasP et de la PrEP à titre de stratégie de prévention du VIH exhaustive.

Détails de l’étude

L’équipe de recherche a recueilli des données dépersonnalisées auprès de cliniques de santé sexuelle, de cabinets de médecins, de sites communautaires de dépistage du VIH, de cliniques hospitalières et d’autres endroits où des services étaient offerts à des personnes séropositives ou à risque de contracter le VIH.

Selon l’équipe de recherche, elle s’est concentrée sur les hommes cisgenres parce que, même si les données des cliniques indiquaient si une personne était transgenre, elles ne précisaient pas s’il s’agissait d’un homme trans ou d’une femme trans.

La plupart des hommes étaient d’ascendance européenne, et un grand nombre d’entre eux avaient dans le passé reçu un diagnostic d’une infection du rectum transmissible sexuellement.

Même si l’équipe de recherche a inclus plus de 90 000 hommes séronégatifs dans son étude, elle a centré son analyse sur 59 234 hommes qui étaient séronégatifs initialement et pour lesquels elle disposait des résultats d’au moins deux tests de dépistage du VIH effectués durant les dix années de l’étude.

Résultats

En tout, 1 201 nouveaux cas de VIH ont été diagnostiqués durant l’étude (il s’agit d’environ 2 % des 59 234 hommes séronégatifs initialement). Il n’empêche que le taux de nouvelles infections par le VIH a chuté globalement de 66 % sur une décennie.

Voici la répartition des baisses des nouveaux cas de VIH selon le groupe d’âge :

  • 30 à 39 ans : baisse de 89 %
  • 16 à 29 ans : baisse de 63 %
  • 40 ans et plus : baisse de 49 %

Comme nous l’avons mentionné plus tôt, la proportion d’hommes qui avaient une charge virale inhibée sous l’effet d’un TAR a augmenté considérablement au cours de l’étude. Il y avait une association statistique entre l’augmentation du nombre d’hommes sous TAR ayant une charge virale inhibée et une baisse du risque de transmission du VIH chez les hommes séronégatifs.

Selon l’équipe de recherche, il s’est produit une augmentation générale de l’amorce du TAR et de l’inhibition virale dans tous les groupes d’âge durant cette étude.

À retenir

La Nouvelle-Galles du Sud et Victoria sont les États les plus peuplés d’Australie, et la population d’hommes gbHARSAH y est concentrée dans des zones urbaines. Au cours de cette étude, les taux d’utilisation du TAR et d’inhibition virale ont augmenté, et il s’est produit conséquemment une baisse significative de la propagation du VIH. Notons aussi que la baisse des nouvelles infections par le VIH s’est produite avant l’introduction de la PrEP en Australie. Après l’arrivée de celle-ci dans le pays en 2016, le nombre de nouvelles infections par le VIH a continué de diminuer, ce qui laisse croire que les effets préventifs du TasP et de la PrEP sont complémentaires.

L’équipe de recherche a cependant remarqué que la vitesse du déclin des nouvelles infections par le VIH s’est stabilisée de façon durable entre 2017 et 2019. Selon l’équipe, il est possible que la stabilisation des taux d’infection se soit produite parce que le recours au TasP et à la PrEP avait atteint un point de saturation parmi les hommes gbHARSAH. L’équipe a aussi souligné qu’une étude antérieure avait révélé que les immigrés gbHARSAH en Australie affichaient des taux moins élevés de diagnostic du VIH, de traitement et d’inhibition virale.

Les résultats de cette étude donnent à penser que le TasP et la PrEP n’étaient pas utilisés suffisamment par les hommes gbHARSAH qui ont immigré en Australie. Ainsi, selon l’équipe de recherche, un meilleur accès des immigrés gbHARSAH au TasP et à la PrEP sera nécessaire si l’on souhaite réaliser le plein potentiel de ces interventions en Australie.

Notons qu’une situation semblable a été observée aux Pays-Bas. Dans ce pays, une étude récente a révélé que les jeunes hommes gbHARSAH nés à l’extérieur de l’Europe occidentale étaient plus à risque de contracter le VIH que les hommes gbHARSAH nés en Europe occidentale.

Selon l’équipe de recherche, une autre étude a permis de constater que l’usage de condoms « avait décliné considérablement » entre 2010 et 2019 chez les hommes gbHARSAH de la Nouvelle-Galles du Sud et de Victoria.

Il importe de soulever un autre point aussi, à savoir que des initiatives qui avaient lieu en dehors de l’étude ont sans doute renforcé l’impact du TasP. Selon l’équipe de recherche, des gouvernements, des cliniques et des organismes communautaires « ont travaillé pour supprimer les restrictions sur la prescription du TAR, accorder des droits de dispensation aux pharmacies communautaires, réduire les coûts du traitement pour les patient·e·s et renseigner les personnes à risque sur les bienfaits individuels et préventifs du traitement précoce et ininterrompu du VIH. De plus, on a entrepris une gamme d’initiatives de dépistage [visant] les hommes gbHARSAH… »

Comme cette étude australienne n’était pas un essai clinique randomisé, ses résultats ne peuvent être considérés comme définitifs. Ils sont toutefois très encourageants et font écho aux données scientifiques se rapportant aux effets du traitement du VIH sur le risque de transmission et à l’incidence de la PrEP dans les contextes bien dotés de ressources.

Il est probable que les résultats obtenus en Australie sont extrapolables à d’autres pays à revenu élevé où l’épidémie du VIH est concentrée dans la population gbHARSAH. Cependant, pour que le TasP soit efficace dans ces autres pays, il faudra une augmentation durable semblable (à celle observée en Australie) de l’accessibilité du dépistage du VIH, des soins, du traitement et de la PrEP.

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

  1. Callander D, McManus H, Gray RT et al. HIV treatment-as-prevention and its effect on incidence of HIV among cisgender gay, bisexual, and other men who have sex with men in Australia: a 10-year longitudinal cohort study. Lancet HIV. 2023 Jun;10(6):e385-e393. 
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