Enseignements tirés d’un cas d’infection par le VIH survenu lors d’une prophylaxie à longue durée d’action par cabotégravir

Le cabotégravir à longue durée d’action (cab LDA, nom commercial Apretude) est approuvé aux États-Unis et dans l’Union européenne. Le cab LDA est utilisé à titre de prophylaxie pré-exposition (PrEP) pour réduire le risque d’infection par le VIH.

Lors d’essais cliniques d’envergure, les infections par le VIH étaient relativement rares chez les personnes recevant le cab LDA dont les injections se faisaient dans les délais prévus et dont les taux sanguins de cabotégravir étaient suffisamment élevés. Lors des essais en question, environ 0,3 % des personnes inscrites ont contracté le VIH, mais les raisons ne sont pas claires.

Diagnostic du VIH

L’équipe de recherche a constaté que le taux de VIH était initialement très faible chez les personnes recevant le cab LDA qui ont contracté l’infection. Par conséquent, la production d’anticorps contre le VIH par le système immunitaire était retardée considérablement, soit de plusieurs mois après le moment de l’infection. Le retardement de la réponse des anticorps à l’infection par le VIH peut causer un retard dans le diagnostic de l’infection lorsque des tests de dépistage de routine sont utilisés, c’est-à-dire des tests reposant sur la détection d’anticorps ou de protéines virales. Si l’infection par le VIH se prolonge de manière non détectée chez des personnes utilisant le cab LDA, le virus peut acquérir la capacité de résister au cabotégravir et à d’autres médicaments dotés d’une structure semblable, c’est-à-dire les inhibiteurs de l’intégrase.

Les inhibiteurs de l’intégrase couramment utilisés pour le traitement des personnes atteintes du VIH incluent les suivants :

  • bictégravir (ingrédient de Biktarvy)
  • dolutégravir (Tivicay et ingrédient de Dovato, Juluca et Triumeq)
  • raltégravir

Les schémas thérapeutiques contenant le bictégravir ou le dolutégravir sont très efficaces, généralement bien tolérés et peu susceptibles d’interagir avec d’autres médicaments. Pour cette raison, il y a des conséquences lorsque le VIH acquiert une résistance à ces médicaments. Non seulement la résistance réduit le nombre d’options de traitement futures, mais elle peut aussi faire en sorte que les associations de traitements utilisées ultérieurement soient plus complexes.

Une équipe de recherche américaine a constaté que les infections par le VIH qui se produisent malgré le recours à une PrEP orale (ténofovir + FTC) peuvent causer des retards dans la production d’anticorps contre le VIH. Les retards de ce genre ont toutefois lieu moins souvent que sous l’effet du cab LDA. L’équipe de recherche a souligné que « la majorité écrasante des infections [survenant sous l’effet de l’association ténofovir + FTC] sont la conséquence d’une observance thérapeutique nulle ou très mauvaise ». Comme les personnes en question ont un taux faible, voire nul, de ténofovir + FTC dans le sang, le risque d’acquérir une résistance à leurs effets est très faible.

En 2021, les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) des États-Unis ont recommandé aux clinicien·ne·s l’utilisation conjointe de tests de dépistage d’anticorps et d’antigènes, ainsi que l’ajout, dans certaines situations, d’un test de la charge virale pour faciliter la détection d’une infection récente par le VIH chez des personnes utilisant la PrEP. On peut consulter les recommandations (en anglais seulement) des CDC ici :

HIV Guidelines - Preventing New HIV Infections

Rapport de cas

Une équipe de recherche américaine a récemment publié un rapport décrivant le premier cas d’infection par le VIH survenu chez une personne recevant le cab LDA en dehors d’un essai clinique.

Selon l’équipe de recherche, le cas d’infection en question concernait une jeune personne adulte « sexuellement diverse » à laquelle le sexe masculin avait été assigné à la naissance. Cette personne prenait l’association ténofovir alafénamide (TAF) + FTC à titre de PrEP quotidienne. Cette association se vend sous le nom de Descovy. Selon ce qu’elle a dévoilé à ses prestataires de soins, cette personne oubliait de prendre une dose de sa PrEP orale chaque semaine et souhaitait donc recevoir le cab LDA afin de faciliter son observance thérapeutique.

L’équipe de recherche a diagnostiqué une hypothyroïdie (faibles taux d’hormones thyroïdiennes) qui était mal maîtrisée par le traitement prescrit. Cette personne se donnait également des injections de testostérone « non supervisées ». Selon l’équipe de recherche, ces injections causaient fréquemment des [infections bactériennes de la peau et du tissu mou] aux points d’injection ».

Selon ses dires, la personne en question avait des relations sexuelles orales et anales sans condom avec 20 à 30 partenaires masculins cisgenres chaque mois. Elle avait également commencé à participer à des actes de fisting anal réceptif. Au cours des six mois précédents, elle avait fait l’objet de diagnostics de syphilis et aussi de mpox (également appelé variole simienne) dans la région anogénitale.

Le partenaire principal de cette personne était séropositif et avait une charge virale inhibée depuis deux ans grâce à un traitement associant le darunavir, le cobicistat et le dolutégravir.

Les médecins ont cessé de prescrire l’association TAF + FTC, et des injections de cab LDA ont commencé sans tarder, soit une injection de 600 mg dans la fesse gauche le premier jour et une deuxième injection 27 jours plus tard. À ces moments, les tests de dépistage d’anticorps et d’antigènes étaient négatifs, tout comme un test de la charge virale dont le seuil de détection inférieur était de 20 copies/ml.

Au jour 76, une maladie de nature grippale s’est déclarée, et un test de dépistage a révélé la présence du SRAS-CoV-2 (cause de la COVID-19). Les médecins ont prescrit un traitement de cinq jours par Paxlovid (nirmatrelvir + ritonavir), et les symptômes se sont résorbés rapidement.

Au jour 91, la troisième injection de cab LDA a été effectuée. Les tests de dépistage d’anticorps et d’antigènes étaient encore négatifs à ce moment-là. Un test de la charge virale a toutefois révélé une infection probable par le VIH, car la personne avait une charge virale de 30 copies/ml.

Au jour 100, d’autres tests d’anticorps et d’antigènes ont été effectués, mais cette fois les résultats étaient positifs. La charge virale se situait alors à 20 copies/ml. Plus tard ce même jour, les médecins ont prescrit l’association TAF + FTC (Descovy) pour renforcer le traitement par cab LDA déjà en cours.

Au jour 112, d’autres tests d’anticorps et d’antigènes ont donné des résultats négatifs, et aucune charge virale n’a été détectée. Cela ne veut pas dire toutefois que la personne ait guéri du VIH. En réalité, l’infection avait été détectée relativement tôt, et le traitement en cours continuait d’inhiber le virus. Comme la charge virale était trop faible pour détecter des souches de VIH résistantes, les médecins ont prescrit l’association darunavir + cobicistat + dolutégravir pour assurer l’inhibition continue de la charge virale. Notons qu’il s’agit du même traitement utilisé par le partenaire principal de la personne figurant dans ce rapport de cas.

Au jour 128, le taux de cabotégravir dans le sang demeurait relativement élevé chez cette personne.

Au jour 191, des tests sanguins ont à nouveau donné des résultats négatifs quant à la présence d’anticorps et d’antigènes, et la charge virale était indétectable.

Syndrome d’inhibition virale précoce à longue durée d’action (LEVI)

Selon l’équipe de recherche, on a observé chez cette personne plusieurs phénomènes qui étaient compatibles avec le syndrome d’inhibition virale précoce à longue durée d’action (LEVI), à savoir ses résultats de laboratoire, ses symptômes minimes de l’infection précoce par le VIH, et sa réactivité antigène/anticorps retardée ou « vacillante ». On a récemment décrit le syndrome LEVI en lien avec des personnes inscrites à des essais du cab LDA qui ont contracté le VIH. À titre de comparaison, notons que, chez les personnes ne suivant pas une PrEP à longue durée d’action, l’infection récente par le VIH est associée à un syndrome pseudo-grippal dont l’intensité des symptômes varie, et la séroconversion a lieu beaucoup plus tôt chez les personnes en question.

Selon l’équipe de recherche américaine, ses résultats « soulignent l’importance de dépister le VIH chez les patient·e·s utilisant des agents de PrEP à longue durée d’action au moyen de tests de recherche de l’ARN du VIH-1, plutôt que seulement par des tests de dépistage d’anticorps/antigènes de quatrième génération d’usage courant ». Et d’ajouter l’équipe : « Si l’algorithme standard en matière de dépistage du VIH avait été utilisé, ce cas serait peut-être resté non diagnostiqué pendant plusieurs semaines encore, ce qui aurait augmenté le risque de [résistance aux inhibiteurs de l’intégrase]. Les données d’essais cliniques portent à croire que lorsqu’un TAR [traitement antirétroviral] pleinement inhibiteur est amorcé précocement après la détection du syndrome LEVI, il est possible de prévenir [la résistance aux inhibiteurs de l’intégrase] ».

Pourquoi l’infection par le VIH s’est-elle produite?

L’équipe de recherche n’est pas certaine pourquoi cette personne a contracté le VIH. Une possibilité réside dans une interaction médicamenteuse entre Paxlovid et le cabotégravir qui aurait fait diminuer le taux de ce dernier dans le sang. Notons cependant qu’aucun tel cas n’avait été signalé antérieurement et qu’il n’existait pas de données à l’appui de cette hypothèse.

L’équipe de recherche a soulevé la possibilité que cette personne ait été exposée à une charge virale très élevée qui aurait annulé l’effet protecteur du cabotégravir. Étant donné les antécédents sexuels de la personne, l’équipe a laissé soupçonner la présence de lésions de la muqueuse anale survenues lors d’actes de fisting ou d’infections transmissibles sexuellement. Notons que la syphilis et la mpox peuvent causer des ulcérations sur la muqueuse délicate de l’anus, ce qui peut augmenter la quantité de VIH entrant dans le corps.

Selon l’équipe de recherche, « la transition entre l’association TAF + FTC et le cabotégravir à longue durée d’action, sans période de chevauchement, pourrait accroître la vulnérabilité [au VIH] ». Il est également possible que l’infection par le VIH soit survenue durant la période séparant la première et la deuxième injection de cab LDA. À ce propos, l’équipe de recherche a souligné que certaines personnes avaient en effet un faible taux de cabotégravir dans leur sang après leur première injection.

Selon l’équipe de recherche, « il pourrait être judicieux de discuter plus en détail » d’une période de chevauchement d’un mois entre l’usage de l’association ténofovir + FTC et la première injection de cab LDA.

Rappelons que lors des essais cliniques menés auprès de milliers de personnes, celles-ci prennent d’abord le cabotégravir sous forme orale (un comprimé de 30 mg par jour) pendant plusieurs semaines afin d’atteindre une concentration élevée et stable de ce médicament dans le sang. C’est après cette période que les injections de cab LDA commencent. Dans le cas de la personne figurant dans ce rapport, aucune phase d’induction orale n’a eu lieu.

Concentrations de cabotégravir

Selon des recherches menées par d’autres scientifiques, faute de phase d’induction orale (aucune prise de comprimé n’a lieu et les injections de cab LDA commencent directement), des concentrations élevées et protectrices de cabotégravir sont atteintes dans le sang environ trois jours après la première injection chez 90 % des patient·e·s. Une semaine après la première injection, ce pourcentage atteint les 95 %.

Le taux de cabotégravir dans le sang considéré comme protecteur repose sur des expériences menées sur des singes exposés à de fortes concentrations du VISH (virus de l’immunodéficience simienne-humaine). Ce virus est utilisé aux fins d’expériences sur des singes parce qu’il est infectieux et peut causer la maladie relativement rapidement.

La dose de cab LDA utilisée lors des études menées chez des humains était fondée sur les données recueillies auprès des singes afin qu’une protection maximale contre le VIH soit atteinte. D’où l’affirmation de l’équipe de recherche comme quoi les infections par le VIH étaient « rares » chez les personnes dont les injections étaient effectuées dans les délais prévus lors des essais cliniques. En guise de mise en contexte, notons que l’équipe de recherche a affirmé que, dans le cadre des essais cliniques, « à ce jour, nous avons cerné six infections [par le VIH] qui sont survenues malgré des injections de cabotégravir effectuées dans les temps ». De plus, l’équipe de recherche a souligné que ces six infections se sont produites chez « 2 282 participant·e·s sélectionné·e·s pour recevoir une PrEP à longue durée d’action (cab LDA) ». Cette proportion, soit six personnes sur 2 282, équivaut à 0,26 %.

Il est probable que le rapport de cas dont nous venons de rendre compte reflète un évènement très rare. Notons aussi que des cas d’infection semblables se sont également produits chez des personnes utilisant l’association TDF + FTC à titre de PrEP. Quoi qu’il en soit, les données recueillies à ce jour donnent à penser que la PrEP réduit le risque d’infection par le VIH de plus de 99 % lorsqu’elle est utilisée comme il se doit, et ce, qu’il s’agisse du cab LDA ou de l’association TDF + FTC.

À l’avenir

Selon l’équipe de recherche, ce cas « met en évidence les enjeux liés au diagnostic et à la prise en charge qui peuvent surgir lorsque la PrEP échoue. Les médecins prescrivant des agents de PrEP à longue durée d’action doivent être en mesure de reconnaître le syndrome LEVI et d’agir immédiatement pour prévenir une [résistance éventuelle aux inhibiteurs de l’intégrase] ». Et d’ajouter l’équipe, « l’avantage potentiel de l’inclusion de tests de détection de l’ARN du VIH-1 dans les algorithmes diagnostiques doit être pesé contre la possibilité que des résultats faux positifs entraînent des retards dans l’administration de la PrEP, ainsi que beaucoup de détresse émotionnelle pour le ou la patient·e et de la confusion et de la frustration pour l’équipe médicale ».

L’équipe de recherche demande que des partenariats « robustes » soient établis entre les centres médicaux universitaires et les prestataires de soins travaillant dans la communauté « afin d’assurer l’accès des prestataires à l’éducation et aux ressources ».

Comme nous l’avons mentionné à propos de ce cas, les résultats positifs intermittents aux tests de dépistage d’anticorps/antigènes et la très faible charge virale observée dans le contexte d’une PrEP à longue durée d’action, ainsi que le dépistage précoce du VIH, pourraient avoir des implications pour la recherche sur la guérison du VIH. Notons, à titre d’exemple, la possibilité que le bassin de cellules infectées dans le corps de cette personne soit relativement petit comparativement à ce qui s’observe typiquement chez une personne n’utilisant pas la PrEP qui contracte l’infection. Si cela est le cas, l’équipe de recherche laisse entendre que les tentatives de guérir le VIH pourraient avoir plus de chances de succès chez une personne recevant le cab LDA dont l’infection est détectée précocement que chez une personne n’ayant pas recours au cab LDA. Cette hypothèse doit être mise à l’épreuve dans le cadre d’essais cliniques.

—Sean R. Hosein

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