Traitement à longue durée d’action du VIH : début d’un grand changement

En attendant l’arrivée d’un remède sûr, efficace et facile à administrer qui guérira le VIH, il sera essentiel de continuer à traiter ce dernier avec des associations de médicaments antirétroviraux (TAR). Depuis 35 ans, les traitements du VIH sont devenus plus efficaces et mieux tolérés. Le TAR s’est simplifié énormément aussi; de nos jours, il suffit à la personne moyenne qui commence le traitement de prendre un seul comprimé une seule fois par jour pour avoir un schéma thérapeutique complet. De plus, il existe maintenant un traitement injectable à longue durée d’action qui porte le nom de Cabenuva. Ce dernier contient deux médicaments : le cabotégravir et la rilpivirine.

Pourquoi des formulations à longue durée d’action?

De nombreuses personnes qui sont atteintes d’affections médicales chroniques, dont le VIH, doivent prendre des médicaments tous les jours. Face à une telle exigence, il arrive que certaines personnes oublient parfois de prendre leurs comprimés. Les personnes dont le quotidien est relativement compliqué ou qui éprouvent de nombreux autres problèmes peuvent avoir de la difficulté à prendre leurs comprimés régulièrement. Si ces personnes oublient des doses, les concentrations des médicaments anti-VIH dans leur corps risquent d’être sous-optimales. Si elles prennent leurs comprimés de manière intermittente, les concentrations des médicaments risquent de chuter de façon répétée, et le VIH peut saisir l’occasion pour s’adapter et déjouer les effets du traitement.

Autres enjeux

Lors d’un sondage réalisé auprès d’environ 2 400 personnes vivant avec le VIH, on a posé des questions se rapportant à la prise quotidienne de médicaments. Les personnes sondées vivaient en Amérique du Nord, en Amérique du Sud, en Europe, en Afrique du Sud et en Asie orientale. Selon l’équipe de recherche, une proportion significative des personnes ont signalé divers problèmes, dont les suivants :

  • 31 % avaient de la difficulté à avaler des comprimés tous les jours
  • 33 % se sentaient stressées à l’idée de devoir prendre des médicaments anti-VIH tous les jours
  • 35 % trouvaient que la nécessité de prendre des médicaments anti-VIH tous les jours leur faisait voir ceux-ci d’un mauvais œil et leur rappelait de mauvais souvenirs
  • 38 % s’inquiétaient de dévoiler involontairement leur statut VIH à autrui en étant obligées de prendre des médicaments anti-VIH tous les jours

Certaines personnes ont affirmé que le fait d’avoir à prendre un comprimé anti-VIH tous les jours leur donnait un sentiment de contrôle sur le virus et leur vie, mais tout le monde n’était pas de cet avis.

Le TAR à longue durée d’action a le potentiel d’alléger le fardeau psychosocial associé au fait de vivre avec le VIH. Un autre avantage potentiel de Cabenuva réside dans le fait qu’il contient deux médicaments au lieu de trois, qui est le nombre habituel. Comme le traitement du VIH doit durer toute la vie, Cabenuva pourrait offrir la possibilité de réduire les effets toxiques à long terme causés par la prise de médicaments pendant plusieurs décennies.

Approbation

Un grand changement s’est amorcé dans le traitement du VIH en 2020, en premier lieu au Canada, puis dans l’Union européenne et aux États-Unis. Les agences de réglementation ont approuvé le premier schéma thérapeutique injectable à longue durée d’action pour le traitement du VIH. Il s’agissait de Cabenuva, un médicament contenant à la fois le cabotégravir et la rilpivirine. Le cabotégravir appartient à la classe de médicaments appelés inhibiteurs de l’intégrase, et la rilpivirine appartient à celle des analogues non nucléosidiques (inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse ou INNTI).

Cabenuva a été conçu pour être utilisé dans le cadre d’une « stratégie de substitution ». Avant de commencer à prendre Cabenuva, les patient·e·s doivent déjà suivre un TAR oral et avoir une charge virale supprimée. En l’absence de tout obstacle éventuel, comme une résistance virale au cabotégravir ou à la rilpivirine, la présence de la souche A1 ou A6 du VIH (celles-ci sont moins sensibles à ces deux médicaments) ou d’autres problèmes, un traitement d’induction par voie orale peut être amorcé. Autrement dit, on peut remplacer les médicaments que la personne prend déjà par l’association de cabotégravir et de rilpivirine sous forme orale. La personne prend celle-ci pendant quatre semaines pour s’assurer que les médicaments sont bien tolérés et qu’il n’y a pas de problèmes. À la fin de cette période, elle substitue des formulations injectables du cabotégravir et de la rilpivirine aux versions orales. Les médicaments sont injectés profondément dans les muscles fessiers, le cabotégravir dans une fesse et la rilpivirine dans l’autre. Au début, les injections sont données une fois par mois pendant deux mois pour faire augmenter les concentrations de cabotégravir et de rilpivirine dans le sang. On pourra espacer les injections aux deux mois par la suite.

Les résultats d’un essai clinique récent (dont nous parlons en détail plus loin dans ce numéro de TraitementActualités) indiquent que les personnes suivant un traitement à base de dolutégravir oral peuvent se passer de la phase d’induction du cabotégravir et de la rilpivirine par voie orale et commencer directement par les injections de ces médicaments. Par conséquent, les autorités réglementaires de l’Union européenne ont rendu facultatif le traitement d’induction par voie orale. Les agences de réglementation canadienne et américaine sont en train d’envisager cette possibilité. Nous parlons davantage de la recherche sur les stratégies « directement au traitement injectable » plus loin.

Prévention du VIH

Aux États-Unis, le cabotégravir injectable à longue durée d’action a été approuvé pour réduire le risque de contracter le VIH. Le fait de prendre des médicaments à cette fin s’appelle la prophylaxie pré-exposition (PrEP). Le cabotégravir injectable se vend sous le nom de marque d’Apretude. Les autorités américaines ont stipulé que les patient·e·s pouvaient commencer à recevoir Apretude sans être obligé·e·s de passer par une phase d’induction de quatre semaines utilisant des comprimés de cabotégravir. Le médicament est injecté profondément dans les muscles des fesses une fois par mois pendant deux mois consécutifs, puis tous les deux mois par la suite.

ViiV Healthcare, fabricant du cabotégravir, a l’intention de demander l’homologation d’Apretude au Canada et dans l’Union européenne pour la prévention du VIH.

La situation actuelle

Même si un grand nombre de médecins et de personnes séropositives l’attendaient avec impatience depuis longtemps, l’homologation du TAR à longue durée d’action a été accueillie avec peu de bruit. Certes, le feu vert a été donné pendant qu’une pandémie mondiale d’une infection respiratoire, la COVID-19, faisait rage et qu’un grand nombre de personnes s’inquiétaient de préserver leur santé et leur bien-être. De plus, dans un premier temps, seuls des assureurs privés acceptaient de couvrir Cabenuva, mais ce dernier a récemment été ajouté à certaines listes de médicaments provinciales/territoriales au Canada (pour en savoir plus sur l’accès, consultez votre pharmacien·ne).

Programme de soutien aux patient·e·s

Au Canada, ViiV a établi un programme de soutien par des tiers pour aider les patient·e·s à naviguer l’assurance médicaments publique et privée et à prendre rendez-vous pour se faire injecter. Les patient·e·s doivent commencer par en discuter avec leur médecin pour déterminer si Cabenuva leur convient. Si oui, une discussion sur les modalités d’injection peut s’ensuivre. Si les deux conviennent que les injections devraient être administrées en dehors de la clinique, le/la médecin peut contacter ViiV pour inscrire le/la patient·e dans le programme de soutien. Ensuite, ce dernier prend contact avec le/la patient·e pour lui poser quelques questions et offrir des renseignements généraux sur Cabenuva. Il lui propose également de l’aide pour naviguer l’assurance médicaments privée ou encore les mécanismes de remboursement du système public de sa province ou de son territoire. Le programme assure la liaison avec la pharmacie et aide le/la patient·e à choisir un endroit pratique pour faire les injections (cela ne se fait pas au domicile des patient·e·s). Le programme compte également des sites où un personnel infirmier dévoué et compétent peut faire les injections intramusculaires.

Révolutionnaire mais imparfait

Le cabotégravir et la rilpivirine à longue durée d’action ont le potentiel d’être utilisés à grande échelle. L’arrivée des versions injectables marque une révolution parce qu’il suffit de les prendre tous les deux mois seulement. À titre de comparaison, notons qu’à l’introduction du TAR en 1996 et pour de nombreuses années par la suite, les traitements du VIH se prenaient uniquement sous forme orale, et il fallait prendre des comprimés deux sinon trois fois par jour. De plus, dans les premiers jours du TAR, de nombreuses personnes devaient prendre une poignée de comprimés tous les jours.

À l’avenir, il est probable que davantage de personnes choisiront de se faire injecter Cabenuva aux deux mois (et non tous les mois). Il reste que les traitements à longue durée d’action, comme toutes les formes de TAR, sont imparfaits et ne conviennent pas nécessairement à tout le monde.

Voici une liste de facteurs que les médecins et les patient·e·s devront prendre en considération avant d’utiliser des traitements comme Cabenuva et d’autres formulations de TAR à longue durée d’action en développement :

Virus de l’hépatite B (VHB)

Certaines personnes séropositives vivent avec la co-infection au VHB. Plusieurs associations de médicaments utilisées pour le traitement du VIH contiennent des antiviraux dont certains sont efficaces non seulement contre le VIH mais aussi contre le VHB. Cabenuva ne figure pas toutefois dans cette catégorie. Ainsi, les personnes co-infectées par le VHB devront prendre un traitement quotidien par voie orale (un ou plusieurs comprimés) pour combattre ce virus. Les associations couramment utilisées contre le VIH et le VHB incluent les suivantes :

  • TDF (fumarate de ténofovir disoproxil) + FTC
  • TDF + 3TC (lamivudine)
  • TAF (ténofovir alafénamide) + FTC

Grossesse

Cabenuva n’a pas été étudié auprès d’un grand nombre de personnes enceintes. Par conséquent, les médecins n’en connaissent pas les effets potentiels sur les risques de fausse couche ou d’anomalies congénitales. Un essai clinique chez des personnes enceintes se poursuit.

Concentrations résiduelles

Cabenuva est injecté profondément dans le tissu musculaire des fesses, et de là il est libéré graduellement dans la circulation. Même si les concentrations de cabotégravir et de rilpivirine diminuent avec le temps (d’où la nécessité d’injections régulières), ces médicaments peuvent rester longtemps dans le corps d’une personne, et ce, même si celle-ci a déjà cessé de les prendre. À titre d’exemple, notons que, lors des premières études sur le cabotégravir, les concentrations de ce dernier restaient faibles mais détectables pendant jusqu’à un an après la dernière injection effectuée. Dans le cas de la rilpivirine, les concentrations restaient faibles mais détectables pendant plus d’une année après la dernière injection.

Ces résultats se rapportant aux concentrations des médicaments ont des répercussions en ce qui concerne l’interruption éventuelle du traitement. Rappelons tout d’abord que les interruptions de traitement non supervisées sont généralement une mauvaise idée. De plus, chez les personnes utilisant Cabenuva, de telles interruptions comportent le risque que le VIH acquière une résistance non seulement au cabotégravir et à la rilpivirine, mais à des médicaments apparentés aussi. Un tel évènement pourrait réduire énormément les options de traitement futures de la personne concernée.

Risque d’interactions médicamenteuses

Dans l’information posologique se rapportant à Cabenuva, on dresse une liste relativement courte d’interactions médicamenteuses cliniquement significatives, comparativement aux médicaments anti-VIH plus anciens. Des interactions inattendues pourraient toutefois se produire lorsque Cabenuva sera utilisé plus largement. De telles interactions pourraient être difficiles à prendre en charge parce qu’il serait pratiquement impossible d’éliminer rapidement le cabotégravir et la rilpivirine du corps après les avoir injectés profondément dans un muscle. Il est donc essentiel de consulter un·e pharmacien·ne avant de commencer un traitement par Cabenuva. Si un tel traitement est déjà en cours, il sera important de consulter avant de commencer à prendre tout autre médicament sur ordonnance ou en vente libre ou tout supplément.

Est-ce qu’une seule dose convient à tout le monde?

À mesure que les humains vieillissent, leurs organes perdent de l’efficacité en ce qui concerne la dégradation des médicaments. Il est nécessaire que des personnes séropositives âgées fassent l’objet d’études pour déterminer si des doses différentes de Cabenuva leur sont indiquées. Notons que les mêmes doses de cabotégravir et de rilpivirine sont utilisées, peu importe le poids et l’indice de masse corporelle (IMC) de la personne. Des recherches sont également nécessaires pour déterminer si les personnes ayant un IMC élevé ont besoin de recevoir une dose plus élevée de cabotégravir ou de rilpivirine à longue durée d’action. Des médecins suisses prévoient prélever des échantillons de sang auprès d’une variété de personnes utilisant Cabenuva afin de tenter de répondre à certaines de ces questions.

Autres populations

Le cabotégravir et la rilpivirine à longue durée d’action ont principalement été testés chez des personnes très motivées qui n’avaient pas de problème de vie ou de santé qui pouvait compromettre leur assiduité. Ces personnes avaient une charge virale supprimée avant de commencer à prendre Cabenuva et leurs antécédents d’observance thérapeutique étaient bons. Les longs intervalles sans traitement que comporte le schéma posologique de Cabenuva pourraient également rendre ce dernier attrayant aux personnes dont la complexité de la vie a rendu difficile le respect de la prise quotidienne de comprimés. Le National Institute of Allergy and Infectious Diseases des États-Unis commandite actuellement un essai clinique appelé Latitude pour lequel il compte recruter des personnes qui ont eu de la difficulté à suivre fidèlement un TAR par voie orale.

Autres sites d’injection

À l’heure actuelle, Cabenuva est approuvé pour des injections intramusculaires profondes dans les fesses. De telles injections ne sont toutefois possibles qu’avec l’assistance d’un·e professionnel·le de la santé. Des études sont nécessaires pour explorer d’autres parties du corps comme sites d’injection potentiels, telle la cuisse. Si le muscle de la cuisse se révélait propice à recevoir le traitement injectable, il se pourrait que les personnes qui souhaitent s’auto-injecter Cabenuva aient l’option de le faire. Cette option serait bien pratique et enlèverait la nécessité de voir un·e professionnel·le de la santé pour se faire injecter le médicament.

À propos de l’injection

Cabenuva s’est généralement révélé sûr et efficace dans de nombreux essais cliniques. L’effet secondaire le plus courant est une réaction au site de l’injection. Les données d’essais cliniques laissent croire que les réactions aux sites d’injection incluent de la rougeur, de l’enflure et de la douleur. En général, ces effets secondaires sont légers et se résorbent après quelques jours sans qu’une intervention soit nécessaire. Chez de nombreuses personnes, les réactions aux sites d’injection se font plus rares et moins embêtantes au fil du temps.

Il y a lieu de supposer que les personnes qui voulaient participer aux essais cliniques de Cabenuva souhaitaient essayer un traitement à longue durée d’action et étaient donc disposées à en tolérer les éventuels effets déplaisants. En dehors des essais cliniques, les personnes qui voudraient recevoir Cabenuva seraient sans doute prêtes à subir des injections intramusculaires tous les mois ou tous les deux mois.

À l’avenir

Cabenuva est le premier schéma thérapeutique à longue durée d’action pour le VIH, mais plusieurs autres seront sans doute mis au point au cours des prochaines années. Le déploiement de Cabenuva sera suivi attentivement par les médecins, les patient·e·s, les scientifiques et les analystes politiques. Cette étroite surveillance aidera à éclairer les façons d’améliorer l’accès à Cabenuva et aux traitements anti-VIH à longue durée d’action du futur.

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

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