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Mise en contexte

Selon les estimations, 71 millions de personnes vivraient avec l’hépatite C dans le monde, et cette maladie serait à l’origine de presque 400 000 décès chaque année1,2. Au Canada et dans de nombreux autres pays, les communautés marginalisées, dont les personnes qui utilisent des drogues et les personnes incarcérées, sont touchées de façon disproportionnée par l’hépatite C. Le Canada figure au nombre de plusieurs pays qui se sont engagés à atteindre les cibles de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) visant l’élimination de l’hépatite C d’ici 20303.

La simplification des approches de dépistage et de traitement peut améliorer l’utilisation des soins contre l’hépatite C par les personnes qui en sont atteintes, surtout au sein des populations marginalisées. Cela inclut la décentralisation des lieux de dépistage et de traitement et le transfert des tâches liées aux soins de l’hépatite C des spécialistes vers les fournisseurs de soins primaires. Ces mesures peuvent aider à joindre les personnes qui rencontrent des obstacles au diagnostic et aux soins de l’hépatite C.  

Cet article résume les résultats d’une revue systématique et méta-analyse dont l’objectif consistait à déterminer l’efficacité de la décentralisation et du transfert des tâches comme moyens de mieux arrimer la population générale et des populations spécifiques (p. ex. les personnes qui utilisent des drogues) aux soins et de les guérir de l’hépatite C4.

Que sont la « décentralisation » et le « transfert des tâches » dans le contexte des soins contre l’hépatite C?

Ces dernières années, le traitement de l’hépatite C est devenu de plus en plus simple et efficace grâce à l’arrivée des antiviraux à action directe (AAD)5. Cette classe de médicaments permet d’obtenir des taux de guérison élevés grâce à un traitement de courte durée qui provoque peu d’effets secondaires et qui nécessite moins d’expertise spécialisée dans la plupart des cas. Ces caractéristiques ont ouvert la voie à la possibilité d’offrir le traitement dans de nouveaux contextes et de le faire superviser par des cliniciens de soins primaires plutôt que par des spécialistes.

Dans cet articlele terme décentralisation se rapporte à des programmes qui sont intégrés ou offerts dans des contextes communautaires, de soins primaires ou autres, plutôt que d’être « centralisés » dans un hôpital ou une clinique spécialisée. Nos exemples incluent les contextes de réduction des méfaits (dont les programmes de traitement de substitution aux opioïdes et les programmes de seringues et d’aiguilles), les cliniques de traitement du VIH et les prisons.

Les auteurs de la revue ont classé les études en fonction de l’ampleur de la décentralisation, comme suit :

  • Décentralisation complète : Le dépistage et le traitement sont offerts dans un contexte de soins primaires, communautaire (y compris les services de réduction des méfaits) ou carcéral.
  • Décentralisation partielle : Seul le dépistage se fait dans un contexte de soins primaires, communautaire ou carcéral. Pour le traitement, les patients sont dirigés vers un site spécialisé.
  • Absence de décentralisation : Le dépistage et le traitement sont offerts dans un site spécialisé.

Le terme transfert des tâches se rapporte à la prestation de soins par des cliniciens non spécialisés, tels les médecins de famille ou les infirmier·ère·s praticien·ne·s. Cette approche augmente le nombre de professionnels de la santé qui peuvent soigner des personnes atteintes d’hépatite C et permet à celles-ci d’entretenir une relation avec une personne familière à qui elles font confiance.

Quels genres d’études ont figuré dans la revue systématique?

Cette revue systématique s’est fondée sur les catégories d’études suivantes, ainsi que sur les résultats de celles-ci et les populations étudiées :

  • Catégories d’études : essais cliniques contrôlés avec répartition aléatoire, études sans répartition aléatoire, études d’observation et littérature grise
  • Résultats des études : étapes atteintes de la cascade des soins de l’hépatite C, y compris le recours aux tests de mesure des anticorps et de la charge virale (test de recherche de l’ARN), l’arrimage aux soins, la mise sous traitement, l’évaluation de la guérison et les taux de guérison
  • Populations : personnes qui utilisent des drogues, personnes incarcérées, personnes vivant avec le VIH et population générale

En tout, la revue a porté sur 142 articles contenant des données se rapportant à 489 996 participants aux études :

  • Quatre-vingts articles portaient principalement sur des personnes qui utilisaient des drogues, 20 autres sur des personnes incarcérées, cinq autres sur des personnes co-infectées par le VIH et 37 autres sur la population générale.
  • La plupart des études avaient été menées aux États-Unis (41), en Australie (27), au Royaume-Uni (18) et au Canada (17). Vingt articles (14 %) portaient sur des études menées dans des pays à revenu intermédiaire ou faible.

Les résultats se rapportant à l’arrimage aux soins, à la mise sous traitement et à la guérison sont présentés ci-dessous. Les auteurs de la revue ont constaté que les résultats se rapportant au dépistage étaient largement semblables dans tous les contextes et pour tous les fournisseurs de soins, alors ils n’ont pas prêté d’attention particulière à cette variable.

Les modèles de dépistage et de traitement complètement décentralisés étaient associés à des taux d’arrimage aux soins et de mise sous traitement plus élevés dans certaines populations.

Chez les personnes qui s’injectent des drogues, on a constaté un lien entre la décentralisation complète et une augmentation des taux d’arrimage aux soins et de mise sous traitement, mais les différences n’étaient pas significatives :

  • Modèles complètement décentralisés : taux d’arrimage aux soins et de mise sous traitement de 72 % et de 73 %, respectivement
  • Modèles partiellement décentralisés : taux d’arrimage aux soins et de mise sous traitement de 53 % et de 66 %, respectivement
  • Modèles sans décentralisation : taux d’arrimage aux soins et de mise sous traitement de 47 % et de 35 %, respectivement

Dans les prisons, la décentralisation complète, où le dépistage et le traitement étaient offerts intégralement à l’intérieur de l’établissement carcéral, était associée à une augmentation des taux d’arrimage aux soins et de mise sous traitement, mais les différences n’étaient pas significatives :

  • Modèles complètement décentralisés : taux d’arrimage aux soins et de mise sous traitement de 94 % et de 72 %, respectivement
  • Modèles partiellement décentralisés : taux d’arrimage aux soins et de mise sous traitement de 50 % et de 39 %, respectivement

En ce qui concerne les études se rapportant à la population générale, on a constaté peu de différences entre les taux d’arrimage aux soins et de mise sous traitement selon les niveaux de décentralisation. Comme les auteurs ont trouvé un nombre insuffisant d’études examinant l’arrimage aux soins et la mise sous traitement des personnes co-infectées par le VIH, ils n’ont pas été en mesure d’évaluer l’impact de la décentralisation sur cette population.

Les taux de guérison étaient extrêmement élevés, sans égard au genre de prestataire de soins ou au contexte

Le niveau de décentralisation et le contexte dans lequel le traitement était offert n’avaient pas d’impact sur les taux de guérison, lesquels étaient extrêmement élevés. Dans tous les cas, le taux de guérison était supérieur à 90 % avec le traitement par AAD. Il en était ainsi pour toutes les populations et tous les modèles de décentralisation.

Les taux de guérison étaient élevés et semblables, peu importe si le dépistage et le traitement étaient offerts par des spécialistes ou des non-spécialistes. Ce résultat indique que le transfert des tâches réussit parce que le traitement demeure très efficace même s’il est administré par un non-spécialiste comme un·e médecin de famille ou un·e infirmier·ère praticien·ne.

Stratégies pouvant favoriser la réussite de la décentralisation et le transfert des tâches

Même si elles n’ont pas constitué le centre d’intérêt de leur revue, les auteurs ont également pris en considération des stratégies supplémentaires fondées sur des données probantes qui étaient susceptibles de favoriser la réussite de la décentralisation et du transfert des tâches, dont les suivantes :

  • le dépistage au point de service ou rapide pour favoriser un diagnostic plus rapide
  • le dépistage par analyse de gouttes de sang séché pour étendre la portée du dépistage
  • la participation de personnes ayant un vécu semblable dans les programmes de pairs navigateurs de la santé
  • des interventions de proximité mobiles (p. ex. fourgonnette, visites aux sites, travail de rue) pour apporter directement les services aux gens
  • l’offre du dépistage et du traitement dans les pharmacies communautaires
  • le télémentorat pour fournir une formation clinique et un soutien à distance aux fournisseurs de soins primaires

Implications pour les prestataires de services au Canada

Cette revue systématique et méta-analyse met en évidence la pertinence de la décentralisation et du transfert des tâches comme approches cruciales de prestation des soins dans les contextes communautaires se rapportant aux soins de l’hépatite C. En particulier, ces approches permettent d’étendre la portée du traitement jusqu’aux populations marginalisées dont l’accès aux soins de santé est freiné par des obstacles considérables. L’intégration de ces approches dans les contextes où les gens accèdent déjà régulièrement aux services (p. ex. les centres de réduction des méfaits offrant le traitement de substitution aux opioïdes) peut augmenter la probabilité d’impliquer et de retenir les gens dans les soins. Cette étude révèle également la faisabilité d’offrir ces services dans les prisons et les centres de réduction des méfaits, où un personnel clinique non spécialisé peut prodiguer les soins et assurer l’obtention de taux de guérison extrêmement élevés.

Au Canada, les soins contre l’hépatite C continuent d’être supervisés majoritairement par des spécialistes, mais des modèles de décentralisation ayant recours à des fournisseurs de soins non spécialistes commencent à émerger. Pour accroître le nombre de prestataires pouvant surveiller le dépistage et le traitement, la première étape consisterait à multiplier les occasions de formation pour les fournisseurs de soins primaires. Cela pourrait inclure l’offre de programmes de télémentorat par des spécialistes afin que les fournisseurs de soins primaires puissent obtenir un soutien à distance.

Ces approches sont également essentielles pour parvenir à éliminer l’hépatite C au Canada. Les personnes qui utilisent des drogues et les personnes incarcérées sont des populations prioritaires en ce qui concerne la prévention et la guérison de l’hépatite C. Ces approches s’alignent bien avec les recommandations de l’OMS, lesquelles prônent la simplification des soins contre l’hépatite C comme moyen d’éliminer celle-ci6.

Qu’est-ce qu’une revue systématique et méta-analyse?

Les revues systématiques sont d’importants outils pour le développement éclairé de programmes fondés sur des données probantes. Une revue systématique est un résumé critique présentant les données qui existent sur un sujet particulier. On utilise un processus rigoureux pour repérer toutes les études publiées en lien avec une question de recherche. La qualité des études pertinentes peut être évaluée et leurs résultats peuvent être résumés, de manière à cerner et à décrire les principales conclusions et limites.

Une méta-analyse est une méthode qui consiste à regrouper les données sous forme de chiffres tirées de plusieurs études. Si les études faisant partie du corpus examiné en revue systématique contiennent des données sous forme de chiffres, ces données peuvent être combinées de manière stratégique afin de calculer des estimations groupées. Le fait de combiner des données dans des estimations groupées permet de présenter un meilleur tableau d’ensemble du sujet à l’étude.

Ressources connexes

Après le diagnostic : Ce que vous devez savoir si vous avez l’hépatite C

Guérir l’hépatite C : Ce qu’il vous faut savoir

Programme de traitement de l’hépatite C au Service de consommation et de traitement de Moss Park — Étude de cas

Références

  1. Organisation mondiale de la Santé. Stratégie mondiale du secteur de la santé contre l’hépatite virale 2016–2021. Genève : Organisation mondiale de la Santé; 2016. Disponible à l’adresse : https://apps.who.int/iris/handle/10665/250577
  2. Organisation mondiale de la Santé. Global hepatitis report, 2017. Genève : Organisation mondiale de la Santé; 2017. Disponible à l’adresse : https://www.who.int/publications/i/item/global-hepatitis-report-2017
  3. Réseau Canadien sur l’hépatite C. Modèle directeur pour guider les efforts d’élimination de l’hépatite C au Canada. Montréal : Réseau Canadien sur l’hépatite C; 2019. Disponible à l’adresse : https://www.canhepc.ca/sites/default/files/media/documents/modele_directeur_vhc_2019_05.pdf
  4. Oru E, Trickey A, Shirali R et al. Decentralisation, integration, and task-shifting in hepatitis C virus infection testing and treatment: a global systematic review and meta-analysis. The Lancet. 2021;9(4):E431-E445.
  5. CATIE. Hépatite C : Un guide détaillé. Toronto : CATIE; 2020. Disponible à l’adresse : https://www.catie.ca/fr/guides-pratiques/hepatitec-detaille/traitement/choisir-combinaison-medicaments-contre-hepatite-c-chroniq
  6. Organisation mondiale de la Santé. Guidelines for the care and treatment of persons diagnosed with chronic hepatitis C virus infection. Genève : Organisation mondiale de la Santé; 2018. Disponible à l’adresse : https://www.who.int/publications/i/item/9789241550345

À propos de l’auteur

Christopher Hoy est gestionnaire des programmes de santé communautaires liés à l’hépatite C chez CATIE. Il travaille à renforcer la capacité en programmation des prestataires de services de première ligne. Christopher a déjà travaillé en communications pour la santé publique et dans des rôles liés aux politiques. Il détient une maîtrise en santé publique.