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CATIE
  • À mesure que le nombre de personnes suivant un traitement contre le VIH augmente, les chercheurs explorent des façons de réduire les coûts
  • Les formulations à comprimé unique peuvent être remplacées par des régimes incluant quelques comprimés de médicaments génériques moins chers
  • Une clinique de l’Alberta prévoit des économies de 4,3 millions de dollars grâce à la « désimplification » d’un régime thérapeutique particulier

Le fait de commencer et de poursuivre un traitement contre le VIH (TAR) permet à la plupart des personnes d’avoir une très faible quantité de VIH dans leur sang. Couramment décrite comme indétectable, cette faible quantité de virus donne lieu à une amélioration des mesures de la santé et à la possibilité d’une espérance de vie quasi normale pour de nombreuses personnes vivant avec le VIH au Canada et dans les autres pays à revenu élevé. De plus, nombre d’études ont révélé que les personnes qui atteignent et maintiennent une charge virale indétectable ne transmettent pas le VIH à leurs partenaires sexuels.

Ce bienfait double du TAR entraîne une transformation tellement énorme que les principales lignes directrices sur le traitement du VIH recommandent aux médecins et aux infirmières d’offrir le TAR aux patients dès que l’infection au VIH est diagnostiquée.

Maintien de coûts soutenables

À mesure que le nombre de personnes séropositives sous TAR augmente (rappelons que le TAR dure toute la vie), le coût de fournir le traitement augmente pour les régimes d’assurances publics et privés.

Plusieurs équipes de recherche dans les pays à revenu élevé se préoccupent des coûts courants et à long terme du traitement du VIH dans le contexte actuel des budgets de soins de santé largement stagnants. Des chercheurs de la Southern Alberta Clinic de Calgary ont exploré des façons d’économiser de l’argent. Dans un article publié dans la revue HIV Medicine, ils ont écrit que les avantages à long terme du TAR par rapport aux coûts étaient « différés et les économies futures ne sont visibles dans aucun budget. L’augmentation des coûts immédiats soulève la question de la viabilité financière, compte tenu des modèles de soins actuels, du maintien de la suppression du VIH à vie pour des populations nombreuses infectées par le VIH dans les pays à revenu élevé. Les systèmes de santé, surtout les systèmes à payeur unique, subissent de plus en plus de pressions pour mitiger les coûts croissants. Les trois quarts des coûts médicaux directs immédiats et à long terme de l’infection au VIH sont la conséquence du coût du TAR ».

Par conséquent, les chercheurs soutiennent que l’on pourrait réaliser des économies en explorant l’usage de certains médicaments génériques. Ils affirment ceci : « étant donné l’expiration récente ou imminente des brevets de plusieurs agents centraux utilisés pour le TAR, l’usage plus répandu de [médicaments anti-VIH] génériques a acquis une pertinence immédiate pour les décideurs de politiques, les détenteurs d’assurances, les médecins prescripteurs et les patients; certains pays [à revenu élevé] ont commencé à incorporer des médicaments génériques dans leurs politiques de santé relatives au VIH afin de réduire les coûts ».

Désimplification

Au cours des 12 dernières années environ, plusieurs compagnies pharmaceutiques ont introduit des formulations à comprimé unique (FCU), c’est-à-dire des régimes anti-VIH complets dans un seul comprimé. Ces produits sont largement utilisés parce qu’ils sont pratiques. Cependant, les chercheurs albertains maintiennent qu’« une mesure immédiate et logique consiste à désimplifier les FCU de marque en les séparant en leurs composantes génériques à comprimés multiples et leurs composantes brevetées, afin de générer des économies substantielles ». À titre d’exemple, si la Southern Alberta Clinic substituait un traitement générique à la FCU particulière de 600 patients, la clinique pourrait économiser quelque 4,3 millions de dollars canadiens, selon l’estimation des chercheurs.

Au lieu d’imposer immédiatement le changement pour des régimes à comprimés multiples, les chercheurs ont créé et validé des sondages puis ont demandé à un pharmacien d’encourager des gens (médecins et patients) à les remplir en ligne afin de connaître leur opinion sur le remplacement d’une FCU par ses diverses composantes sous forme de comprimés individuels. Tous les médecins sondés avaient l’impression que la désimplification pourrait s’effectuer de façon sûre sans causer d’impact sur la santé des patients. Quarante-huit pour cent des patients étaient disposés à changer pour réduire les coûts, 27 % ne voulaient pas changer et 25 % n’en étaient pas certains. Il semble donc que la désimplification ne soit pas acceptable pour tous les patients. L’équipe de la Southern Alberta Clinic prévoit mener d’autres recherches pour surveiller « les impacts médicaux et économiques des stratégies de désimplification ».

Détails de l’étude

Les chercheurs ont analysé des données publiques sur le coût des médicaments anti-VIH dispensés par la pharmacie de la clinique aux patients sous TAR. La clinique compte quelque 1 800 patients, dont 1 673 suivant un TAR. En 2016, environ 62 % des patients sous TAR prenaient une FCU, et 607 personnes utilisaient la FCU Triumeq. Triumeq contient les trois médicaments suivants :

  • dolutégravir
  • abacavir
  • 3TC

Le dolutégravir est encore protégé par un brevet, mais le brevet de la coformulation abacavir + 3TC a expiré et cette double combinaison existe sous forme de générique. Ainsi, un patient dont le régime était désimplifié remplacerait son comprimé unique de Triumeq par deux comprimés (un comprimé de dolutégravir et un comprimé contenant la combinaison abacavir-3TC), une fois par jour. Les chercheurs ont choisi Triumeq parce que les autres FCS « n’offraient pas d’options de désimplification aussi claires ».

Résultats : économies

Les chercheurs ont calculé que leur clinique avait dépensé 26,2 millions de dollars canadiens en frais de TAR en 2016. Triumeq tout seul a consumé près de 32 % de ce budget. Les chercheurs ont ensuite calculé les économies qui suivraient si des proportions différentes des utilisateurs actuels de Triumeq changeaient pour la combinaison de dolutégravir et de l’abacavir-3TC générique. Voici les trois scénarios :

  • si 100 % des patients changeaient : 4,3 millions d’économies
  • si 80 % des patients changeaient : 3,5 millions d’économies
  • si 60 % des patients changeaient : 2,6 millions d’économies

Réponses des médecins

Un total de 13 médecins (mélange de spécialistes des maladies infectieuses, de la médecine interne et de la médecine familiale) ont prescrit des régimes TAR aux patients de la clinique, et ils ont tous répondu au sondage. Les chercheurs ont affirmé que tous les médecins « se sentaient à l’aise, en principe, de discuter et d’offrir, pour des raisons liées aux coûts, le remplacement d’un comprimé de Triumeq par deux comprimés (un dolutégravir et un abacavir-3TC) ». Selon les estimations des médecins, entre 25 % et 99 % de leurs patients seraient disposés à faire ce changement.

Selon les chercheurs, les principales préoccupations des médecins à l’égard de la désimplification étaient les suivantes :

  • « réduction de l’observance thérapeutique »
  • « préférence perçue des patients »
  • « fardeau pharmaceutique croissant pour les patients vulnérables »

Les chercheurs ont souligné qu’aucun des médecins ne s’inquiétait de la possibilité d’une « baisse de la puissance ou de la tolérance » à cause de la désimplification.

Lorsque les chercheurs ont demandé aux médecins si les patients seraient disposés à changer de régime « si les économies étaient expliquées », les médecins ont prédit que leurs patients répondraient comme suit :

  • oui : 31 %
  • non : 8 %
  • peut-être : 54 %

(La somme des chiffres n’est pas 100 parce que certains médecins n’ont pas répondu à cette question.)

Réponses des patients

Un total de 221 (36 %) patients recevant Triumeq ont rempli le sondage, et 85 % d’entre eux croyaient que la clinique devrait offrir systématiquement la désimplification. Quatorze pour cent des répondants étaient contre l’idée, et deux participants ont refusé de répondre.

Lorsque les chercheurs ont demandé aux patients « s’ils changeraient eux-mêmes » pour un régime désimplifié, les réponses ont été les suivantes :

  • oui : 48 %
  • non : 27 %
  • peut-être : 26 %

(La somme n’est pas 100 parce que les chiffres ont été arrondis.)

En général, les patients qui répondaient « oui » étaient quelque peu plus âgés, vivaient avec le VIH depuis plus longtemps et prenaient davantage de médicaments (pour d’autres problèmes de santé) que les patients qui répondaient « non ».

À retenir

Les chercheurs albertains ont fourni des calculs indiquant que la clinique économiserait environ 18 % du budget de son programme VIH alloué au TAR, soit quelque 4 millions $ annuellement. Ils ont fait valoir que « la question de la désimplification pourrait devenir plus pertinente encore » à mesure que le nombre de médicaments anti-VIH générique augmenterait.

Des chercheurs aux Pays-Bas se sont également intéressés à la question de la désimplification. Lors d’un sondage réalisé il y a plusieurs années auprès de leurs patients, les chercheurs ont trouvé que 47 % d’entre eux étaient disposés à remplacer une FCU par la prise simultanée de trois comprimés. Un total de 26 % des répondants ont dit « peut-être » et 27 % ont dit « non ». Les chercheurs ont constaté que les immigrants aux Pays-Bas étaient plus susceptibles de dire « non » au changement. Selon les chercheurs, cette population avait probablement des préoccupations concernant le dévoilement de leur statut VIH et « les difficultés découlant de la nécessité de cacher plusieurs flacons de médicaments ». Avant de mettre la désimplification en œuvre à grande échelle, les chercheurs néerlandais laissent entendre qu’il serait utile d’évaluer l’efficacité des médicaments génériques contre celle des médicaments de marque, les économies réalisées et les préférences des patients.

Compter les comprimés

Pendant la décennie qui a suivi l’introduction du TAR, de nombreuses personnes devaient prendre un nombre considérable de comprimés chaque jour. De plus, à l’époque, il fallait prendre certaines formulations de médicaments anti-VIH deux ou même trois fois par jour. Cependant, de nos jours, les personnes séropositives prennent davantage de médicaments non liés au VIH pour des affections associées au vieillissement à mesure qu’elles prennent de l’âge, ont souligné les chercheurs de la clinique albertaine.

Désimplification : pas idéale pour tout le monde

La séparation des FCU en leurs composantes individuelles ne conviendra pas à tout le monde.

Il est probable que certaines populations ne profiteront pas de la désimplification, au moins pour un certain temps, telles les suivantes (il pourrait y en avoir d’autres) :

Populations vulnérables

Selon les chercheurs, « les populations vulnérables vivant dans un milieu ne convenant pas à l’entreposage sécuritaire des médicaments » bénéficieraient sans doute de l’usage d’une FCU.

Voyageurs

Les personnes qui voyagent pourraient préférer la simplicité des FCU, ne serait-ce que pour le moindre nombre de flacons à transporter.

Personnes âgées

Les données sur les personnes âgées et la désimplification sont moins simples à interpréter. Par exemple, pour les personnes aux facultés neurocognitives affaiblies, organiser un plus grand nombre de comprimés pourrait causer de la confusion. En revanche, comme les FCU sont généralement plus grosses que leurs composantes individuelles, certaines personnes âgées pourraient avoir moins de difficulté à avaler les comprimés plus petits. Les chercheurs ont souligné que « la déglutition, un processus complexe nécessitant la coordination de nerfs et de muscles, est affectée par le vieillissement ». En effet, avant la présente étude, le pharmacien de la clinique avait reçu quelques demandes de désimplification de la part de patients qui voulaient prendre des régimes à comprimés multiples parce que ces derniers étaient plus petits et plus faciles à avaler.

Observance thérapeutique

Les personnes qui éprouvent des problèmes d’observance continueront sans doute de profiter de l’usage d’une FCU.

Quatre avenirs

Selon les chercheurs de Calgary, la disponibilité d’agents anti-VIH « centraux » donne aux assureurs publics et privés au moins les quatre options suivantes :

1. « Le système peut continuer de payer le TAR au rythme et aux prix de marché actuels. L’utilisation du TAR et des FCU serait à la discrétion des médecins et fondée souvent sur les lignes directrices (qui ne donnent guère de conseils sur les coûts ou l’usage des formulations). »

2. « La désimplification obligatoire des FCU lorsqu’il existe des médicaments génériques. Cela pourrait compromettre l’observance et provoquer le ressentiment [de certains patients], entraînant ainsi potentiellement des résultats moins favorables [pour la santé]. »

3. « Continuer de prescrire les FCU aux [patients ayant des problèmes d’observance] et à ceux à risque de non-observance, et utiliser des formulations à comprimés multiples avec options génériques chez d’autres [patients]. »

4. « Prescrire des régimes à comprimés génériques multiples aux patients qui commencent un TAR, et encourager les patients utilisant une FCU à envisager la désimplification. »

Pas seulement en Alberta

Presque simultanément avec la publication du rapport de la Southern Alberta Clinic, des chercheurs aux États-Unis ont commenté ainsi la question de la désimplification dans le New England Journal of Medicine :

« L’usage plus répandu du TAR générique aux États-Unis pourrait offrir un certain soulagement aux programmes gouvernementaux qui sont déjà aux prises avec des pressions budgétaires sévères et qui servent la plupart des personnes vivant avec le VIH et celles les plus à risque de contracter l’infection. » Les chercheurs américains ont également mentionné l’option de la désimplification de Triumeq en faveur du dolutégravir de marque plus l’abacavir-3TC générique. Ils ont trouvé qu’un tel changement réduirait les coûts d’environ 25 %.

Austérité continue

Tant et aussi longtemps que l’austérité dicte les budgets de santé dans les pays à revenu élevé, la pression pour réduire les coûts des médicaments sur ordonnance persistera. Par conséquent, la désimplification et d’autres mesures pourraient susciter de plus en plus l’intérêt des intervenants qui paient les traitements du VIH et d’autres maladies.

—Sean R. Hosein

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