Changements dans la densité minérale osseuse d'hommes séronégatifs, dont certains prenaient du ténofovir

Des chercheurs ont mené un essai clinique contrôlé contre placebo du nom d'iPrEX pour évaluer l'innocuité et l'efficacité de la prise quotidienne du Truvada (combinaison à dosages fixes de deux médicaments dans une seule pilule, soit le ténofovir et le FTC) pour réduire le risque de transmission du VIH parmi les hommes gais, bisexuels et les femmes transgenres. Dans l'ensemble, le Truvada réduisait le risque de transmission d'environ 44 % lorsqu'il faisait partie d'un programme de prévention exhaustif (dépistage régulier et traitement des infections transmissibles sexuellement, counseling en matière de prévention du VIH, etc.). Pour en savoir plus sur l'étude iPrEX, consultez le ressource suivante de CATIE :

Le ténofovir est l'un des deux médicaments que contient le Truvada. Au cours de la dernière décennie, on a signalé des cas de densité minérale osseuse (DMO) inférieure à la normale parmi certaines personnes séropositives recevant du ténofovir. Intrigués par ces rapports, des chercheurs de San Francisco affiliés à l'étude d'iPrEX ont effectué des analyses de la densité minérale osseuse d'un sous-groupe de participants à l'étude iPrEX avant et après leur exposition au ténofovir. Tous les membres du sous-groupe étaient des hommes qui avaient des rapports sexuels avec d'autres hommes (HARSAH). L'équipe de recherche a souligné qu'environ 10 % des participants avaient des os plus minces que la normale. Une faible densité minérale osseuse était associée à la consommation de drogues ou d'alcool avant que les participants aient commencé à prendre du Truvada. Une fois inscrits à l'étude, environ 13 % des participants recevant du ténofovir et 6 % des participants sous placebo ont vu leur densité minérale osseuse diminuer de plus de 5 %.

Détails de l'étude

Pour évaluer la densité minérale osseuse, on a surtout recours à un genre de radiographie de faible dose appelée DEXA (absorptiométrie à rayons X en double énergie). On a effectué des examens DEXA au début de l'étude et de nouveau 12 et 24 mois plus tard.

Le personnel de l'étude a également interviewé les participants afin de recueillir d'autres informations se rapportant à leur santé. En tout, des données portant sur 210 HARSAH ont été utilisées.

Comprendre les résultats DEXA

Selon les résultats de l'examen DEXA, on attribue un score T ou Z à la densité osseuse de la personne évaluée. Le score T compare la densité osseuse de la personne à celle d'une jeune population de sexe et de race/ethnie semblables. Le score Z compare la densité osseuse de la personne évaluée à celle d'autres personnes qui lui ressemblent sur les plans de l'âge, du poids, de la race et du sexe.

Lorsque les scores (ou DMO) sont précédés d'un signe négatif, ils dénotent une densité osseuse inférieure à la normale. Par exemple, un score entre -1 et -2,5 indique la présence d'ostéopénie, et un score inférieur à -2,5 révèle la présence d'ostéoporose.

Résultats – avant le Truvada

À leur grande surprise, les chercheurs ont constaté qu'environ 10 % des participants (20 hommes) avaient subi des pertes sérieuses de densité minérale osseuse, surtout dans la colonne vertébrale mais aussi dans la hanche et la cuisse, même avant d'avoir été exposés au Truvada.

L'équipe de recherche s'était attendue à constater des pertes osseuses graves chez à peu près 5 hommes sur 210, soit 2 %.

Les chercheurs ont effectué d'autres analyses de sang auprès de 16 hommes sur les 20 présentant une densité minérale osseuse étonnamment faible. Ils ont constaté que deux hommes avaient un taux de vitamine D extrêmement faible, alors que deux autres avaient un taux de testostérone très faible. Rappelons que chacun de ces déficits est un facteur de risque d'ostéopénie et d'ostéoporose. Ces analyses n'expliquent pas toutefois les données obtenues auprès de la majorité des hommes, alors l'équipe a effectué des analyses statistiques du rapport entre les comportements et la réduction de la densité minérale osseuse. Elle a déterminé que le risque d'amincissement osseux était plus élevé chez les hommes ayant les comportements suivants :

  • prise d'amphétamines (speed, crystal meth)
  • inhalation de poppers (amylnitrate) ou de colle

En revanche, les hommes qui disaient prendre des suppléments de vitamine D et de calcium étaient considérablement moins susceptibles d'avoir une faible densité minérale osseuse.

Résultats – ténofovir

Dans l'ensemble, les participants qui prenaient du ténofovir ont connu une diminution statistiquement significative de leur densité minérale osseuse, soit une moyenne de 1 %, dans la hanche ou la colonne vertébrale.

Les pertes osseuses étaient plus importantes encore chez certains participants, comme suit :

  • 36 % des hommes sous ténofovir et 20 % sous placebo ont perdu plus de 3 % de leur DMO à l'endroit où le fémur (os de la cuisse) rencontre le bassin
  • 14 % des hommes sous ténofovir et 3 % sous placebo ont perdu plus de 3 % de leur DMO dans les hanches

Ces différences sont significatives du point de vue statistique, c'est-à-dire non attribuables au hasard seulement.

Résultats – fractures

Vu que la réduction de la densité osseuse est associée à un risque accru de fractures, les chercheurs ont évalué les cas d'os fracturés, qui se répartissaient comme suit :

  • groupe Truvada – huit fractures chez six personnes
  • groupe placebo – quatre fractures chez quatre personnes

Dans tous les cas, les fractures ont été causées par des traumas (accidents ou violence) et non par le ténofovir.

L'étude iPrEX sur les os

Lors de cette analyse de la santé des os, environ 10 % des HARSAH séronégatifs avaient une densité minérale osseuse réduite avant d'être exposés au Truvada. Ce taux est environ cinq fois plus élevé que ce à quoi on s'attendrait normalement. Ce résultat souligne le besoin de mener d'autres études auprès des HARSAH séronégatifs afin de mieux comprendre les facteurs associés à la réduction de la densité minérale osseuse.

Dans l'ensemble, le ténofovir a eu un faible effet sur la densité minérale osseuse et n'était pas associé à une augmentation statistiquement significative du risque de fractures. Il vaut toutefois la peine de noter que chez un sous-groupe substantiel d'hommes recevant du ténofovir, on a détecté des pertes de plus de 3 % de la densité minérale osseuse au cours de l'étude.

Les résultats de l'étude iPrEX laissent croire que la diminution de la densité minérale osseuse pourrait être un problème non reconnu chez d'autres hommes courant un risque élevé d'infection par le VIH. Une étude récente néerlandaise semble faire écho à cette constatation.

L'étude néerlandaise sur les os

Lors de l'étude néerlandaise, des chercheurs d'Amsterdam ont évalué un groupe de 33 HARSAH chez qui l'infection au VIH avait été détectée très tôt dans le cadre d'une étude. Tous les hommes avaient été séronégatifs six mois avant leur test de VIH le plus récent. Des examens DEXA effectués entre 21 et 45 jours après la séroconversion de ces hommes révélaient des taux élevés d'ostéopénie (45 %) et d'ostéoporose (6 %). Comme les tests de sang n'ont pas révélé d'augmentation des taux de protéines (ou marqueurs) associées à l'inflammation, il est invraisemblable que l'inflammation causée par le VIH fût à l'origine d'une si grande perte de densité osseuse survenue au cours d'une si courte période suivant l'infection par le VIH. Il est certain que les charges virales élevées observées lors du stade précoce de l'infection au VIH auraient pu jouer un rôle dans l'amincissement des os. Mais il est aussi possible que certains de ces hommes avaient une faible densité minérale osseuse avant de contracter le VIH. En effet, certains d'entre eux avaient un poids corporel inférieur au niveau idéal, ce qui est un facteur associé à la réduction de la densité minérale osseuse.

Il faudra mener d'autres études auprès des hommes à risque élevé d'infection par le VIH afin de comprendre pourquoi ils affichent une incidence de faible densité minérale osseuse qui dépasse les niveaux attendus. Des études semblables devront aussi être menées auprès des femmes.

— Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

  1. Liu AY, Vittinghoff E, Sellmeyer DE, et al. Bone mineral density in HIV-negative men participating in a tenofovir pre-exposure prophylaxis randomized clinical trial in San Francisco. PLoS One. 2011;6(8):e23688.
  2. Ofotokun I, McIntosh E, Weitzmann MN. HIV: inflammation and bone. Current HIV/AIDS Reports. 2012 Mar;9(1):16-25.
  3. McComsey GA, Kitch D, Daar ES, et al. Bone mineral density and fractures in antiretroviral-naive persons randomized to receive abacavir-lamivudine or tenofovir disoproxil fumarate-emtricitabine along with efavirenz or atazanavir-ritonavir: AIDS Clinical Trials Group A5224s, a substudy of ACTG A5202. Journal of Infectious Diseases. 2011 Jun 15;203(12):1791-801.
  4. Yin MT, Overton ET. Increasing clarity on bone loss associated with antiretroviral initiation. Journal of Infectious Diseases. 2011 Jun 15;203(12):1705-7.
  5. Bech A, Van Bentum P, Nabbe K, et al. Fibroblast growth factor 23 in hypophosphataemic HIV-positive adults on tenofovir. HIV Medicine. 2012; in press.
  6. Grigsby IF, Pham L, Mansky LM, et al. Tenofovir treatment of primary osteoblasts alters gene expression profiles: implications for bone mineral density loss. Biochemical and Biophysical Research Communications. 2010 Mar 26;394(1):48-53.
  7. Havens PL, Stephensen CB, Hazra R, et al. Vitamin D3 decreases parathyroid hormone in HIV-infected youth being treated with tenofovir: a randomized, placebo-controlled trial. Clinical Infectious Diseases. 2012 Apr;54(7):1013-1025.
  8. Martin A, Bloch M, Amin J, et al. Simplification of antiretroviral therapy with tenofovir-emtricitabine or abacavir-Lamivudine: a randomized, 96-week trial. Clinical Infectious Diseases. 2009 Nov 15;49(10):1591-601.
  9. McComsey GA, Tebas P, Shane E, et al. Bone disease in HIV infection: a practical review and recommendations for HIV care providers. Clinical Infectious Diseases. 2010 Oct 15;51(8):937-46.
  10. Yin MT, Zhang CA, McMahon DJ, et al. Higher rates of bone loss in postmenopausal HIV-infected women: a longitudinal study. Journal of Clinical Endocrinology and Metabolism. 2012 Feb;97(2):554-62.