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Le Canada est confronté à une crise des surdoses et des intoxications. Le présent article jette un bref regard sur les données publiées par Santé Canada sur les méfaits associés aux opioïdes et aux stimulants et des données connexes provenant de deux provinces et faisant ressortir une tendance inquiétante dans la nature des décès par intoxication au pays. Il est essentiel de comprendre la crise des surdoses et des intoxications afin d’orienter la réponse des gouvernements et des programmes communautaires s’adressant aux personnes qui utilisent des drogues.

Remarque sur la terminologie

Les données de Santé Canada sur les décès par intoxication aux drogues se divisent en deux catégories : les décès causés par la prise d’opioïdes comme le fentanyl et ses analogues (p. ex. le carfentanil) et d’opioïdes autres que le fentanyl (p. ex. héroïne, morphine), et les décès causés par la prise de stimulants (p. ex. cocaïne, méthamphétamines). Ces catégories incluent les décès par intoxication (aussi appelés décès par empoisonnement aux drogues ou décès par surdose) où au moins une des substances consommées était un opioïde ou un stimulant. Les catégories ne sont pas mutuellement exclusives, puisque dans de nombreux décès signalés dans une catégorie, on rapporte aussi la prise de substances d’autres catégories. Aux fins du présent article, on désignera ces décès comme des décès par intoxication aux opioïdes ou par intoxication aux stimulants, lorsque le type de substance en cause est précisé dans les données.

Cela dit, il importe de noter que la crise des surdoses et des intoxications n’est pas due à des catégories ou des types particuliers de drogues. Elle est plutôt causée par les politiques d’interdiction des drogues, mises en place pour freiner la production, le transport, la vente et la possession de certaines drogues1,2. Cette interdiction incite les gens à produire et à vendre des drogues plus concentrées afin de réduire les coûts de production et de transport et d’augmenter les profits1; il en résulte que l’approvisionnement des drogues non réglementées est toxique et imprévisible3. Ainsi, le contenu et la puissance des drogues non réglementées ne sont souvent pas connus, et ces drogues peuvent contenir de nombreuses substances non prévues susceptibles d’entraîner un décès par intoxication.

Décès par intoxication aux opioïdes4

Au moins 21 174 personnes ont trouvé la mort entre 2016 et 2020 en raison d’une intoxication aux opioïdes. La vaste majorité de ces décès (p. ex. 96 % en 2020) n’étaient pas intentionnels, c’est-à-dire qu’il ne s’agissait pas de cas de suicide. Durant cette période, les décès par intoxication aux opioïdes ont atteint leur niveau maximal en 2020, avec 16,4 décès par 100 000 personnes (contre 6,8; 9,7; 11,0 et 9,6 décès par 100 000 personnes en 2016, 2017, 2018 et 2019, respectivement). En 2020, au Canada, environ 17 personnes par jour sont décédées des suites d’une intoxication aux opioïdes. Les drogues non réglementées représentaient la principale cause de ces décès : 84 % des décès par intoxication aux opioïdes cette année-là étaient liés à l’utilisation d’un « opioïde non pharmaceutique », c’est-à-dire une drogue non réglementée. Toujours en 2020, 77 % des personnes décédées par intoxication aux opioïdes étaient des hommes; la majorité de ces personnes étaient âgées de 20 à 49 ans (tout sexe confondu).

Les décès par intoxication aux opioïdes surviennent aux quatre coins du Canada, mais c’est l’ouest du pays (Colombie-Britannique et Alberta) qui rapporte le plus de décès. En 2020, les taux de décès par intoxication aux opioïdes dans ces deux provinces étaient respectivement de 32,6 et 25,6 par 100 000 personnes, soit bien au-dessus de la moyenne de 16,4 par 100 000 pour l’ensemble du pays. L’Ontario (15,6 par 100 000), la Saskatchewan (18,5 par 100 000) et le Yukon (14,5 par 100 000) affichaient des taux de décès près de la moyenne canadienne.

Les substances en cause dans ces décès par intoxication aux opioïdes incluent le fentanyl et ses analogues (comme le carfentanil) (82 %), les stimulants (52 %) et d’autres substances psychoactives (39 %)*. La diversité des types de drogues en cause dans les décès par intoxication aux opioïdes pourrait refléter tant une polytoxicomanie potentielle que le fait que le contenu de l’approvisionnement des drogues non réglementées est souvent inconnu.

Décès par intoxication aux stimulants4

On dispose de données sur les décès par intoxication aux stimulants provenant de quatre à six provinces et territoires entre 2018 et 2020**. La vaste majorité de ces décès (98 % en 2020) n’étaient pas intentionnels, c’est-à-dire qu’il ne s’agissait pas de cas de suicide. En 2020, l’Ontario affichait le taux le plus élevé jamais observé de décès par intoxication aux stimulants, soit 13,5 pour 100 000 personnes, suivi de la Saskatchewan (11,1 pour 100 000), la Colombie-Britannique (7,2 pour 100 000), la Nouvelle-Écosse (3,4 pour 100 000), les Territoires du Nord-Ouest (2,2 pour 100 000) et Terre-Neuve-et-Labrador (1,9 pour 100 000).

Les substances en cause dans les décès par intoxication aux stimulants incluent la cocaïne (68 %), les méthamphétamines (47 %), les opioïdes (84 %) et d’autres substances psychoactives (21 %). La diversité des types de drogues en cause dans les décès par intoxication aux stimulants pourrait refléter tant une polytoxicomanie potentielle que le fait que le contenu de l’approvisionnement des drogues non réglementées est souvent inconnu.

La pandémie de la COVID-19

Après la mise en place des mesures sanitaires visant à freiner la propagation de la COVID-19 au Canada (p. ex. la distanciation physique), on a signalé 5 148 décès par intoxication aux opioïdes (entre avril et décembre 2020), soit une augmentation de 89 % par rapport à la même période en 20194. La hausse des décès par intoxication observée pendant la pandémie pourrait être une conséquence imprévue des mesures prises pour réduire la transmission dans la communauté du virus causant la COVID-19. Ces conséquences incluent une toxicité et une imprévisibilité accrues de l’approvisionnement de drogues de rue en raison de la fermeture des frontières5,6, d’une diminution de la disponibilité et de l’accessibilité des services de réduction des méfaits et d’un sentiment accru d’isolement, de stress et d’anxiété, entre autres facteurs4.

Mode de consommation des drogues

Des données provinciales issues de certaines provinces indiquent que le fait de fumer des drogues participent à une proportion plus élevée de décès par intoxication que l’injection de drogues. Des données obtenues en Colombie-Britannique et en Ontario *** sont présentées ci-dessous. De telles données sont principalement réunies lors de l’observation de l’équipement trouvé sur les lieux de décès par surdose.#

En Colombie-Britannique, depuis 2017, fumer ^ est le principal mode de consommation de drogues entraînant le décès. Les décès par intoxication aux drogues fumées sont passés de 28 % de tous les décès par intoxication en 2016 à 40 % en 2019. Les décès par intoxication aux drogues injectables ont chuté, passant de 37 % de tous les décès par intoxication en 2016 à 25 % en 2019. Ces données indiquent que les décès par intoxication où on observe que les drogues ont été fumées sont plus fréquents que les décès où les éléments pointent vers une consommation par injection. La consommation intranasale et la consommation par voie orale ont été associées respectivement à 20 % et 10 % des décès par intoxication en 2019; dans 21 % des cas, le mode de consommation n’était pas connu7.

En Ontario, les données indiquent que les drogues fumées ont été la principale cause de décès par intoxication pendant la pandémie de la COVID-19. On a comparé les modes de consommation de substances menant au décès sur une période précédant la pandémie (16 mars au 21 décembre 2019) et sur la même période pendant la pandémie (16 mars au 31 décembre 2020). La proportion de décès par intoxication aux drogues fumées a augmenté de manière significative, passant de 23 % (avant la pandémie) à 34 % (pendant la pandémie). Pendant la même période, la proportion de décès par intoxication résultant d’une injection d’opioïdes a connu une baisse significative, passant de 18 % (avant la pandémie) à 14 % (pendant la pandémie)8.

Qu’est-ce que tout cela signifie pour les prestataires de services?

Au Canada, les décès par intoxication aux drogues atteignent des taux sans précédent, et quelques données indiquent que les drogues fumées sont associées à des taux plus importants de décès par intoxication que les drogues injectées. Par le passé, on présumait que les drogues injectées comportaient un risque plus élevé de méfait, étant donné que ces drogues jouaient un rôle dans la propagation d’infections transmises par le sang, comme le VIH et l’hépatite C. Ces données récentes font toutefois ressortir le méfait associé au fait de fumer des drogues et la nécessité pour les programmes de déterminer si et comment leurs services répondent aux besoins des personnes qui fument des drogues.

Diverses approches de réduction des méfaits doivent être élargies pour prévenir les décès par intoxication aux drogues au Canada, notamment en s’assurant que les sites de consommation supervisée et les sites de prévention des surdoses permettent différents modes de consommation de drogues (p. ex. par injection, en fumant), une mise à disposition accrue de matériel servant à fumer, en créant des initiatives de vérification des drogues ou de sensibilisation, en assurant un approvisionnement sécuritaire et en distribuant de la naloxone.  

Il existe un besoin criant de sites de consommation supervisée et de sites de prévention des surdoses où il est possible de fumer des drogues en présence d’intervenants formés pour réagir en cas de surdose; le Canada en compte actuellement très peu. En l’absence d’installations conçues pour permettre de fumer à l’intérieur, certains sites de prévention des surdoses ou sites de consommation supervisée ont prévu un accès à des espaces extérieurs où il est possible de fumer des drogues sous surveillance et où le personnel peut intervenir en cas d’intoxication.

Le nombre croissant de décès causés par l’approvisionnement de drogues non réglementées pointe vers l’importance potentielle des initiatives de vérification du contenu des drogues. Ces services peuvent aider à surveiller l’approvisionnement local et permettre aux organismes travaillant à la réduction des méfaits et aux personnes qui utilisent des drogues d’être mieux informés sur la variation du contenu et de la puissance des drogues de rue. Ces connaissances peuvent orienter les services, l’éducation et d’autres mesures de réduction des méfaits.

Il est également nécessaire de fournir des solutions de rechange légales et réglementées à l’approvisionnement de drogues de rue pour les personnes qui utilisent des drogues. À mesure que ces interventions, appelées approvisionnement sécuritaire, sont créées, évaluées et étendues dans les différentes régions du Canada, il est important qu’elles prennent en compte et incluent les personnes qui fument des drogues et les personnes qui utilisent des stimulants et d’autres drogues afin de veiller à répondre à leurs besoins.

Dans le cadre des efforts plus vastes visant à soutenir la santé des personnes qui utilisent des drogues, étant donné que de plus en plus de personnes fument leurs drogues, la distribution de matériel de réduction des méfaits devrait inclure du matériel approprié pour fumer (p. ex. tiges droites, pipes à récipient, poussoirs, grilles en cuivre, embouts buccaux, papier d’aluminium). Il est prouvé que ce matériel contribue à réduire les infections telles que le VIH et l’hépatite C chez les personnes qui utilisent des drogues et à prévenir les brûlures, les coupures et autres méfaits causés par l’usage de matériel de fortune pour fumer les drogues. Les organismes qui fournissent des services aux personnes qui utilisent des drogues doivent être conscients de la nature imprévisible de l’approvisionnement de drogues non réglementées et être prêts à fournir de l’information et des services en conséquence (p. ex. distribution de naloxone).

Limite des données

Les données présentées dans cet article sont basées sur les renseignements rapportés par Santé Canada et les gouvernements provinciaux et territoriaux sur les décès par intoxication aux drogues et comportent des limites. Premièrement, aucun chiffre ne peut rendre compte du parcours unique, des qualités, des difficultés et des forces de chaque personne décédée en raison des politiques d’interdiction, ni du profond sentiment de perte et de chagrin qui accompagne leur décès. Deuxièmement, les provinces et les territoires ont recours à diverses méthodes pour analyser et classer les décès et effectuer les tests toxicologiques, ce qui peut nuire à la capacité de comparer les données entre les provinces et les territoires. Troisièmement, les données sur les décès par intoxication aux opioïdes et les décès par intoxication aux stimulants ne s’excluent pas mutuellement, car les personnes peuvent consommer plusieurs substances et le contenu de l’approvisionnement de drogues de rue est souvent inconnu.

Ressources connexes

Recommandations de pratiques exemplaires pour les programmes canadiens de réduction des méfaits

Répondre à une surdose d’opioïdes, Répondre à une surconsommation ou à une surdose de stimulants

Fumer du crack de façon plus sécuritaire

Références

  1. Beletsky L, Davis CS. Today’s fentanyl crisis: Prohibition’s Iron Law, revisited. International Journal of Drug Policy. 2017;46:156-9. 
  2. Office of the Provincial Health Officer. Stopping the harm: decriminalization of people who use drugs in BC. Victoria (BC) : Office of the Provincial Health Officer; 2019. Disponible à l’adresse : https://www2.gov.bc.ca/assets/gov/health/about-bc-s-health-care-system/office-of-the-provincial-health-officer/reports-publications/special-reports/stopping-the-harm-report.pdf
  3. Crabtree A, Lostchuck E, Chong M et al. Toxicology and prescribed medication histories among people experiencing fatal illicit drug overdose in British Columbia, Canada. Canadian Medical Association Journal. 2020;192:967-72. 
  4. Comité consultatif spécial sur l’épidémie de surdoses d’opioïdes. Méfaits associés aux opioïdes et aux stimulants au Canada. Ottawa : Agence de la santé publique du Canada; juin 2021. Disponible à l’adresse : https://sante-infobase.canada.ca/mefaits-associes-aux-substances/opioides-stimulants
  5. BC Coroners Service. Illicit drug toxicity deaths in BC: January 1st, 2010 - January 31st, 2020. Victoria (BC): Ministry of Public Safety and Solicitor General; 2020. Disponible à l’adresse : https://www2.gov.bc.ca/assets/gov/birth-adoption-death-marriage-and-divorce/deaths/coroners-service/statistical/illicit-drug.pdf
  6. Bridges A. Drug users, advocates weigh in on why Sask. overdose deaths are at record high. CBC News. 14 septembre 2020. Disponible à l’adresse : https://www.cbc.ca/news/canada/saskatoon/overdose-deaths-record-interviews-addicts-saskatchewan-1.5723019
  7. Ministry of Public Health & Solicitor General. Illicit drug toxicity deaths in BC. Knowledge update: mode of consumption. Juin 2020. Disponible à l’adresse : https://www2.gov.bc.ca/assets/gov/birth-adoption-death-marriage-and-divorce/deaths/coroners-service/statistical/mode-of-consumption.pdf
  8. Gomes T, Murray R, Kolla G et al., au nom de l’Ontario Drug Policy Research Network, du Bureau du coroner en chef et de l’Agence ontarienne de protection et de promotion de la santé (Santé publique Ontario). Changing circumstances surrounding opioid-related deaths in Ontario during the COVID-19 pandemic. Toronto, Ont. : Ontario Drug Policy Research Network; 2021. (En anglais seulement.) Disponible à l’adresse : https://www.publichealthontario.ca/-/media/documents/c/2021/changing-circumstances-surrounding-opioid-related-deaths.pdf?la=en

* Le terme « autres substances psychoactives » fait référence à l’alcool, aux benzodiazépines, aux gabapentinoïdes et/ou aux autres substances psychédéliques et dissociatives.

** Les données étant limitées, nous ne disposons pas des taux pour l’ensemble du Canada.

*** Il se peut que d’autres régions aient des données à leur disposition. Veuillez par conséquent communiquer directement avec les gouvernements locaux, provinciaux ou territoriaux afin de vérifier.

# L’équipement peut inclure le matériel requis pour l’injection (c.-à-d. aiguille/seringue) ou le matériel requis pour fumer la drogue (c.-à-d. tiges, papier d’aluminium). Les limites à la collecte de données incluent le fait que le matériel présent peut refléter une utilisation antérieure ou par quelqu’un d’autre.

^ La C.-B. utilise le terme fumer, alors que l’Ontario parle d’inhalation. Les deux provinces font référence à des situations où des éléments montrant que les drogues ont été fumées (c.-à.d. présence de matériel pour fumer les drogues comme des tiges ou du papier d’aluminium) ont été trouvés sur place. Le présent article parle de fumer des drogues, par souci de simplification.

À propos de l’auteur

Amanda Giacomazzo est la gestionnaire de programmes communautaires chez CATIE. Elle détient une maîtrise en sciences de  la santé avec une formation spécialisée en services de la santé et recherche sur les politiques et a déjà travaillé dans le domaine de l’application des connaissances et de la santé publique au niveau provincial.

Magnus Nowell est le spécialiste en connaissances sur la réduction des méfaits chez CATIE. Il a travaillé par le passé dans le domaine de la recherche sur la réduction des méfaits, le logement et l’organisation communautaire. Il détient une maîtrise en promotion de la santé.

Laurel Challacombe possède une maîtrise en épidémiologie et est actuellement directrice, échange de connaissances sur le VIH et évaluation chez CATIE. Laurel travaille depuis plus de 10 ans dans le domaine du VIH et a occupé un certain nombre de postes dans des organismes provinciaux et régionaux, en y faisant de la recherche et de l’échange et transfert de connaissances.