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  • Une équipe de Montréal a mené une étude de 12 semaines sur des extraits de cannabis auprès de 10 personnes séropositives
  • Les cannabinoïdes ont semblé atténuer les lésions intestinales, l’inflammation et l’activation immunitaire
  • Une étude d’envergure de plus longue durée est nécessaire pour déterminer les effets à long terme des cannabinoïdes

Lorsqu’ils sont utilisés comme il se doit, les traitements contre le VIH (traitements antirétroviraux ou TAR) réduisent habituellement la quantité de VIH dans le sang jusqu’à un très faible taux. On qualifie couramment d’« indétectable » ce taux de virus parce qu’il est trop faible pour être décelé par les tests de mesure d’usage courant. L’observance continue du TAR aide à maintenir l’inhibition du VIH, ce qui permet au système immunitaire de réparer une bonne quantité des dommages causés par le virus, et le risque de complications liées au sida diminue énormément en conséquence. Le TAR est tellement puissant que les scientifiques prévoient de plus en plus une espérance de vie quasi normale pour de nombreuses personnes séropositives utilisant ce genre de traitement.

Le TAR ne peut toutefois résoudre tous les problèmes associés au VIH. Notons, à titre d’exemple, que le VIH cause de l’inflammation excessive et la suractivation du système immunitaire. Le fait de suivre un TAR et d’avoir une charge virale indétectable réduit considérablement ces problèmes, mais l’inflammation et la suractivation immunitaire ne se résolvent pas pour autant.

Chez les personnes séronégatives, il existe un lien probable entre l’inflammation excessive et un risque accru des problèmes suivants :

  • maladies cardiovasculaires
  • cancer
  • diabète de type 2
  • dépression
  • maladies dégénératives du cerveau
  • accumulation de graisses dans le foie
  • amincissement des os (ostéopénie et ostéoporose)
  • perte de tissu musculaire
  • vieillissement prématuré du système immunitaire
  • taux élevés de cholestérol

À long terme, il est probable que l’inflammation excessive et la suractivation immunitaire contribuent à des problèmes semblables chez les personnes séropositives.

La cause précise de l’inflammation et de la suractivation immunitaire qui se produisent malgré le recours au TAR n’est pas claire. Certaines études portent à croire que, tôt dans le cours de l’infection au VIH, le virus entraîne des effets qui endommagent le revêtement des intestins et privent ceux-ci de cellules immunitaires. Le TAR ne peut réparer complètement ces problèmes. De plus, les bactéries et les champignons présents dans les intestins risquent de faire traverser des protéines par les parois intestinales, protéines qui se retrouveront dans la circulation sanguine. Comme ces protéines microbiennes stimulent le système immunitaire, l’activation et l’inflammation y persistent.

Cannabinoïdes

Il se trouve plus de 100 composés dans le cannabis (marijuana), lesquels s’appellent collectivement des cannabinoïdes. Des scientifiques étudient des cannabinoïdes afin d’en déterminer les propriétés anti-inflammatoires et les effets exercés dans le système immunitaire. Lors d’expériences de laboratoire sur des cellules et le VIH, ainsi que sur des singes sujets à l’infection par le virus de l’immunodéficience simienne (VIS), des équipes de recherche ont constaté que les cannabinoïdes pouvaient réduire l’inflammation et l’activation immunitaire.

Étude pilote à Montréal

Une équipe de scientifiques de l’Université McGill et de l’Université du Québec à Montréal a mené une étude de faible envergure et de relativement courte durée sur des cannabinoïdes administrés sous forme de capsules. Les participant·e·s ont reçu des doses croissantes de cannabinoïdes sur une période de 12 semaines consécutives.

L’équipe a constaté que les cannabinoïdes réduisaient les taux sanguins de protéines évoquant les problèmes suivants :

  • lésions intestinales
  • inflammation
  • activation immunitaire
  • épuisement immunitaire
  • vieillissement prématuré du système immunitaire

L’équipe n’a pas constaté de changement dans les taux de cellules T CD4+ dans le sang, ni dans le nombre global de cellules infectées par le VIH dans le corps (les scientifiques appellent ce dernier le réservoir viral).

Cette équipe de recherche décrit ses résultats comme prometteurs, et son étude pose les fondements d’une étude de plus grande envergure et de plus longue durée sur les cannabinoïdes chez des personnes vivant avec le VIH.

Étude américaine

Les résultats obtenus à Montréal sont étayés dans une large mesure par une étude menée récemment aux États-Unis auprès de 75 personnes séropositives, dont 33 utilisaient des cannabinoïdes et 42 autres, non. L’équipe n’a pas précisé les modes d’administration du cannabis, mais il est probable que la plupart des participant·e·s en fumaient. L’équipe de recherche a prélevé et analysé des échantillons de sang à un seul moment dans le temps. De façon générale, elle a trouvé que les cellules immunitaires des personnes qui avaient recours au cannabis étaient moins sujettes à l’activation, à l’inflammation, au vieillissement prématuré et à l’épuisement.

Comme nous l’avons mentionné plus tôt, le cannabis contient plus de 100 composés. Une force de l’étude montréalaise réside dans le fait que l’équipe a utilisé des extraits précis sous forme de capsules afin de prévenir les lésions pulmonaires qui risquent de se produire lorsque le cannabis est fumé. Une autre force de cette étude tient au fait que l’équipe a suivi les participant·e·s sur une période de 12 semaines.

Innocuité

Dans un rapport précédent, les responsables de l’étude pilote montréalaise ont révélé que deux participant·e·s avaient dû cesser prématurément l’usage de cannabinoïdes, dans un cas à cause d’une anémie (accompagnée de lésions hépatiques légères) et dans l’autre à cause de l’apparition de lésions plus graves dans le foie. L’équipe de recherche a affirmé que les personnes atteintes de lésions hépatiques préexistantes pourraient subir des lésions additionnelles sous l’effet du CBD. On peut trouver des détails sur des cas de ce genre dans le rapport susmentionné. À la lumière des résultats de cette étude et d’autres, l’équipe québécoise a adressé des conseils à deux groupes, soit les scientifiques qui envisagent de mener des études sur le CBD auprès de personnes séropositives et les médecins qui prennent soin de personnes séropositives souhaitant utiliser ce genre de composés.  

Conseils à l’intention des scientifiques

Avant de commencer à recevoir les médicaments faisant l’objet d’une étude, les participant·e·s présentant des facteurs de risque de stéatose hépatique (accumulation de graisses dans le foie) pourraient subir une échographie spécialisée du foie (Fibroscan). Une fois l’étude commencée, on pourrait surveiller étroitement les taux d’enzymes hépatiques des participant·e·s afin de « détecter toute augmentation subtile […] susceptible de révéler une [stéatose hépatique] non diagnostiquée ». Si aucun appareil Fibroscan n’est disponible, l’équipe de recherche propose le recours à un test sanguin simple (appelé Fibrose 4 ou Fib-4) avant l’amorce de toute médication reposant sur des cannabinoïdes.

Conseils à l’intention des médecins

Les médecins sont encouragé·e·s à parler de la toxicité potentielle des huiles de cannabinoïdes avec leurs patient·e·s qui souhaitent en utiliser. Notons que les huiles de ce genre sont disponibles sans ordonnance au Canada.

Notes techniques

Dans un premier temps, cette équipe de recherche québécoise avait espéré recruter 26 personnes séropositives pour son étude. Cependant, à cause entre autres de problèmes de fabrication, l’équipe n’a réussi à obtenir suffisamment de capsules de cannabinoïdes que pour 10 personnes, alors elle a recruté huit hommes et deux femmes. Les capsules étaient fournies par la compagnie Tilray Brands et contenaient les cannabinoïdes suivants :

  • association de THC (delta-9-tétrahydrocannabinol) et de CBD (cannabidiol) dans un rapport de 1 à 1 (2,5 mg de THC et 2,5 mg de CBD)
  • CBD seul : 200 mg

Certain·e·s participant·e·s ont reçu l’association de cannabinoïdes, tandis que les autres n’ont reçu que du CBD. Sur une période de 12 semaines, les participant·e·s ont augmenté graduellement le nombre de capsules ingérées chaque jour.

Les participant·e·s avaient à peu près 57 ans et suivaient tous et toutes un TAR qui avait rendu leur charge virale indétectable (moins de 40 copies/ml).

L’usage de cannabinoïdes s’est réparti sur 12 semaines. Le suivi des participant·e·s a commencé quatre semaines avant la première prise de cannabinoïdes et s’est terminé deux semaines après la dernière prise.

L’équipe de recherche s’est fiée aux taux de certaines protéines dans le sang pour déterminer l’ampleur des lésions et de l’inflammation présentes dans le revêtement des intestins. Lors d’éventuelles études futures, il serait utile d’effectuer des biopsies (prélèvement et analyse de minuscules extraits de tissu intestinal) pour confirmer que les lésions et l’inflammation intestinales sont atténuées par l’usage de cannabinoïdes.

L’étude pilote menée à Montréal a bénéficié du soutien du Réseau canadien pour les essais VIH.

—Sean R. Hosein

Ressources

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Réseau canadien pour les essais VIH

RÉFÉRENCES :

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