- Une équipe américaine s’est intéressée aux greffes de cœur et d’autres organes pratiquées chez des personnes séronégatives et séropositives
- Les taux de survie sur un à deux ans étaient semblables, peu importe le statut VIH
- Des études sur la survie à long terme et la distribution équitable des organes sont nécessaires
Grâce aux traitements contre le VIH (traitements antirétroviraux ou TAR), de nombreuses personnes séropositives vivent plus longtemps et en meilleure santé de nos jours. Les bienfaits du TAR sont tellement impressionnants que de nombreuses personnes sous traitement vivent maintenant jusqu’à un âge bien avancé.
Même si le TAR peut réduire énormément la quantité de VIH et aider le système immunitaire à se réparer, il ne peut résoudre tous les problèmes causés par l’infection par le VIH. Notons, par exemple, que l’inflammation excessive et l’activation immunitaire persistent même si l’observance du TAR est bonne.
Les scientifiques qui étudient l’inflammation laissent entendre que cette dernière contribue vraisemblablement à de nombreux problèmes de santé dans la population générale, dont les suivants :
- maladies cardiovasculaires
- cancer
- diabète de type 2
- dépression
- maladies dégénératives du cerveau
- accumulation de graisse dans le foie
- amincissement des os (ostéopénie et ostéoporose)
- perte de tissu musculaire
- vieillissement prématuré du système immunitaire
- taux élevés de cholestérol
Il est probable que l’inflammation excessive et l’activation immunitaire contribuent à la longue à des problèmes semblables chez les personnes vivant avec le VIH aussi.
La cause précise de l’inflammation excessive et de l’activation immunitaire qui se produisent malgré le recours au TAR n’est pas claire. Cependant, certaines études ont donné à penser que, tôt dans le cours de l’infection par le VIH, le virus provoque des évènements qui endommagent la paroi intestinale et font baisser le nombre de cellules immunitaires dans cet organe. Le TAR ne peut résoudre complètement ces problèmes. De plus, il arrive que des bactéries et des champignons présents dans l’intestin laissent fuir des protéines qui traversent l’intestin puis entrent dans le sang. Ces protéines microbiennes stimulent le système immunitaire, de sorte que l’activation et l’inflammation persistent.
À mesure que les personnes séropositives vieillissent, elles deviennent sujettes aux mêmes complications et comorbidités que les personnes séronégatives. Certaines de celles-ci apparaissent dans la liste ci-dessus. Il peut aussi arriver que des organes vitaux perdent la capacité de fonctionner normalement avec le temps. Dans de tels cas, une greffe d’organe peut s’avérer nécessaire.
Greffes d’organes et VIH aux États-Unis
Avant l’arrivée du TAR, les greffes d’organes étaient déconseillées pour les personnes vivant avec le VIH. Cependant, elles sont devenues plus courantes chez cette population depuis l’arrivée du TAR. On en sait toutefois peu sur la transplantation d’organes multiples chez les personnes séropositives. Pour combler cette lacune, une équipe de recherche de l’Université Columbia à New York a passé en revue les données détaillées d’un registre de greffes d’organes appelé United Network for Organ Sharing. L’équipe s’est concentrée sur les années 2010 à 2023 et a recueilli des données auprès de 70 centres de transplantation aux États-Unis. L’équipe s’est intéressée particulièrement aux taux de survie post-transplantation.
Résultats
Comme les greffes de cœur sont courantes dans le domaine de la transplantation, l’équipe de recherche a commencé par examiner les taux de cette forme de greffe d’organe. Elle a constaté que 175 personnes séropositives avaient subi une greffe de cœur; elle a aussi découvert que 26 de ces personnes (15 %) avaient reçu un autre organe aussi. Pendant l’étude, environ 10 % des 4 251 personnes qui avaient reçu une greffe de cœur (dont la vaste majorité se composait de personnes séronégatives) ont également subi une deuxième greffe d’organe. Il semble donc que les personnes séropositives aient été plus susceptibles de se faire transplanter deux organes (voire davantage dans certains cas).
Les greffes de cœur étaient les plus courantes de ce genre de chirurgie chez les personnes séropositives. L’équipe a constaté les tendances suivantes en ce qui concerne les personnes ayant subi deux greffes d’organes :
- cœur + rein
- cœur + poumon
- cœur + foie
En moyenne, la plupart des personnes séropositives qui ont subi une greffe d’organe ou davantage étaient dans la cinquantaine et avaient été assignées garçons à la naissance (69 %), comparativement à 31 % de personnes assignées filles à la naissance. Environ la moitié des personnes séropositives étaient noires.
Les raisons les plus courantes pour subir une greffe de cœur étaient les suivantes :
- expansion et extension des cavités cardiaques (myocardiopathie dilatée), de sorte que le cœur a de la difficulté à pomper du sang vers le reste du corps
- affaiblissement du cœur causé par une réduction de l’approvisionnement de l’organe en sang oxygéné (myocardiopathie ischémique)
Notons que tous les organes transplantés provenaient de personnes séronégatives.
L’équipe de recherche a produit des analyses de données portant sur deux années de suivi post-transplantation.
Survie
Parmi les personnes ayant subi une greffe de cœur, le taux de survie après un an était de 88 %. Chez les personnes séropositives ayant reçu une greffe de cœur et d’un autre organe, le taux de survie après un an était de 83 %. Il n’y avait pas de différence significative entre ces taux de survie et ceux des personnes séronégatives.
Accent sur le rein
Onze personnes séropositives qui ont reçu une greffe de rein ont dû subir une hémodialyse (filtration du sang pour enlever les déchets) parce que le rein greffé ne fonctionnait pas bien initialement. Or, après un an, seulement deux de ces personnes avaient encore besoin de dialyse. Neuf personnes sur 11 qui ont reçu une greffe de rein ont également subi une greffe de cœur.
Selon l’équipe de recherche, les personnes séropositives qui ont reçu une greffe de rein et un autre nouvel organe étaient plus susceptibles de subir de graves lésions rénales que les personnes séronégatives dans la même situation. Les raisons pour cette différence ne sont pas claires.
Risque de cancer
Les médicaments immunosuppresseurs que l’on donne après une greffe d’organe agissent en affaiblissant le système immunitaire. Cette immunosuppression est nécessaire pour assurer la survie de l’organe greffé. Si l’on ne prescrivait pas d’immunosuppresseurs, le système immunitaire de la personne en question attaquerait et détruirait le greffon parce qu’il le percevrait comme une entité étrangère.
Les médecins travaillant dans le domaine de la transplantation essaient de trouver un équilibre entre l’immunosuppression accomplie par les médicaments et la santé de l’organe greffé et celle de la personne opérée. Malgré la recherche de cet équilibre, les personnes qui reçoivent une greffe d’organe (quel que soit leur statut VIH) courent un risque accru de cancer. Rappelons aussi que le VIH lui-même est associé à un risque plus élevé de certains cancers.
Dans la présente étude, le risque de cancer était semblable chez les personnes ayant subi une greffe d’organe, quel que soit leur statut VIH.
Parmi les personnes séropositives, les cancers suivants ont été recensés :
- sarcome de Kaposi de la peau ou d’organes internes
- cancer colorectal
- carcinome basocellulaire ou squameux
Rejet
Comme nous l’avons déjà mentionné, le système immunitaire des personnes recevant une greffe d’organe est susceptible de rejeter le nouvel organe parce qu’il le perçoit comme un tissu étranger. C’est pour cette raison que des médicaments sont nécessaires pour atteindre un certain degré d’immunosuppression.
L’équipe de recherche a fait état de taux de rejet relativement faibles chez les personnes séropositives ayant subi une greffe de cœur et chez celles ayant subi deux greffes d’organes.
Après l’hospitalisation, les personnes qui ont reçu deux nouveaux organes se sont fait prescrire des schémas thérapeutiques associant des médicaments immunosuppresseurs d’usage courant (un ou plusieurs des suivants : tacrolimus, mofétilmycophénolate/acide mycophénolique, prednisone).
Place à amélioration
Le nombre de personnes séropositives qui subissent une greffe d’organe ou davantage est en train d’augmenter. Notons aussi que les taux de survie dans cette étude sont encourageants. Selon l’équipe de recherche « … nos résultats portent à croire qu’il est possible de pratiquer deux greffes d’organes sans danger, et l’accès à de telles interventions devrait être étendu [aux personnes séropositives qui en ont besoin] ». Il est cependant nécessaire d’assurer un suivi de plus longue durée à davantage de personnes séropositives recevant des greffes d’organes.
Ces résultats sont encourageants, d’autant plus que les personnes séropositives avaient rarement accès aux greffes d’organes dans le passé. L’équipe de recherche a cependant constaté que le nombre global de personnes séropositives ayant reçu une greffe d’organe « demeure faible, malgré les taux élevés de maladies cardiovasculaires et d’insuffisance rénale chronique dans cette population ».
Enfin, l’équipe de recherche a souligné que les patient∙e∙s noir∙e∙s « continuent d’être moins susceptibles de subir une transplantation et plus susceptibles d’afficher un taux de mortalité post-transplantation plus élevé que les patient∙e∙s blanc∙he∙s ». Et d’ajouter l’équipe, « il faut être vigilant pour éviter que des préjugés influent sur l’aiguillage [des patient∙e∙s aux centres de transplantation], les soins offerts aux personnes en liste d’attente et la prise en charge post-transplantation ».
—Sean R. Hosein
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