Souhaitez-vous recevoir nos publications directement dans votre boîte de réception?

CATIE
Image

Alors que le Canada est confronté à une crise de surdoses d’opioïdes, les intervenants en réduction des méfaits travaillent à réduire les risques et préjudices de la consommation de drogues. Aux quatre coins du pays, des services de consommation supervisée et des sites de prévention des surdoses offrent à présent du matériel d’injection neuf, de la naloxone pour contrer une surdose d’opioïdes, de même que des orientations vers des traitements. Des sites comme le Prairie Harm Reduction à Saskatoon (voir la p. 6) disposent également de salles d’inhalation, pour les personnes qui fument des drogues comme la méthamphétamine en cristaux (« crystal meth »), et de lieux où les clients peuvent se détendre. Mais ces services ne peuvent aider que les personnes qui y ont recours. Au Canada, de plus en plus d’hommes gais, bisexuels et autres hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (gbHARSAH) utilisent des drogues comme le crystal meth avant ou pendant des rapports sexuels. Face à ce phénomène, connu sous le nom de « party n’ play » (PnP), la réduction des méfaits nécessite une approche différente.

 

Image
PnP 1

Qu’est-ce que le PnP?

L’expression PnP peut signifier plusieurs choses, mais désigne souvent la situation où deux personnes ou plus — principalement des gbHARSAH — se rencontrent pour prendre des drogues (« party ») afin d’avoir des relations sexuelles (« play »). Les drogues utilisées dans ce contexte visent à rehausser l’expérience sexuelle. C’est habituellement du crystal meth, du gamma-hydroxybutyrate (GHB), de la cocaïne ou de la kétamine. Cela se passe habituellement au domicile d’une personne, et s’organise souvent par le biais d’applications de rencontre ou de réseaux personnels. Des partys clandestins peuvent aussi avoir lieu dans des clubs de sexe et des saunas, même si les établissements les déconseillent. Le caractère privé de ces événements peut aider des hommes qui ne sont pas « sortis du placard », ou qui ne sont pas à l’aise d’aller dans des bars gais, à faire des rencontres. L’utilisation de drogues pendant le sexe peut mettre en veilleuse les sentiments de honte et d’anxiété d’un participant, l’aider à explorer sa sexualité et à se sentir accepté. Le crystal meth peut rehausser la confiance en soi et intensifier l’impression d’euphorie, mais cela est suivi d’une descente abrupte lorsque l’effet de la drogue se dissipe. En conséquence, certaines personnes continuent à consommer sur plusieurs jours.

Depuis les années 1980, la réduction des méfaits auprès des personnes qui consomment des drogues met l’accent sur des outils comme les seringues et le matériel de consommation de drogue neufs. Cela est efficace pour réduire la transmission du VIH et de l’hépatite C. Les premiers militants de la réponse au VIH ont également appliqué la réduction des méfaits au sexe, en signalant que les condoms peuvent prévenir la transmission du virus. Ce type de messages a continué d’évoluer au fil de l’épidémie du VIH : par exemple, nous savons à présent qu’un traitement efficace signifie qu’on ne peut pas transmettre le VIH lors des rapports sexuels (« I=I »). Cependant, les approches de réduction des méfaits considèrent souvent les gbHARSAH et les personnes qui utilisent des drogues comme deux groupes séparés. Dans le cas du PnP, certains membres de la communauté ont développé leurs propres outils pour combler cette lacune.

La gestion des risques

Colin Johnson est un homme noir et gai de Toronto, survivant de longue date du VIH. Activiste communautaire et défenseur passionné de la réduction des méfaits, il organise ses propres événements PnP et y applique les principes de la réduction des méfaits. Pour réduire le risque de transmission du VIH et de l’hépatite C, il fournit à ses invités des pipes et des seringues neuves, des récipients pour les aiguilles usagées et de bonnes quantités de condoms et de lubrifiant. Il approvisionne également sa maison en eau, en fruits et en collations. Pour réduire les risques liés aux surdoses, il garde de la naloxone à portée de main et teste ses drogues avant chaque événement. « Le sexe queer est entouré d’une honte motivée par l’homophobie », affirme M. Johnson. Cette honte peut être amplifiée par le racisme et la stigmatisation qui s’associent au VIH. Il essaie de combattre ce phénomène en créant une ambiance détendue et accueillante, lors de ses partys. Il veille à ce que les participants puissent décider de ce qui leur convient le mieux et à ce que personne ne se sente juger s’il vit avec le VIH.

Akia Munga, aussi activiste communautaire à Toronto, note également que la honte est un facteur déterminant chez les gars adeptes de la fête. « On parle rarement de sexe queer », dit-il. « Quand on vit dans une communauté hétérosexuelle, le PnP nous permet d’avoir le sexe qu’on veut sans avoir honte. » Les partys peuvent offrir une échappatoire à de tels sentiments. Ils suscitent un vif sentiment de connexion avec les autres, en partie grâce aux drogues elles-mêmes, mais aussi en raison du contexte de leur utilisation. En ce sens, explique Munga, la consommation de drogues sert à quelque chose. Mais l’intensité de l’expérience peut créer des problèmes lors du retour à la vie normale. Les sentiments de rejet et d’isolement peuvent s’accentuer après un tel party, ce qui pousse des gars à consommer de nouveau.

Les drogues utilisées pour le PnP peuvent procurer du plaisir, mais ne sont pas sans risques. Le Dre Michael Fanous, pharmacien.ne à Toronto, explique que les risques peuvent varier d’une drogue à une autre et selon la santé physique et mentale de la personne et les médicaments ou les compléments qu’elle prend. « On consomme diverses drogues, lors du PnP, mais les plus grands risques sont liés au crystal meth », affirme-t-iel. « Ces risques vont des complications cardiaques aux problèmes de sommeil, en passant par des troubles de santé mentale comme la dépression, l’anxiété et la psychose. » Iel ajoute : « Le GHB peut provoquer ce que nous appelons une dépression cardiorespiratoire — votre rythme cardiaque et votre respiration deviennent dangereusement lents. » Le GHB et le crystal meth comportent tous deux un risque de surdose potentiellement mortelle. C’est un phénomène courant avec le GHB, car les doses sont petites, donc difficiles à mesurer avec précision, surtout si on est déjà sous l’effet d’une drogue. Le Dre Fanous explique que « de plus, des médicaments d’ordonnance, comme le traitement du VIH ou les antidépresseurs, peuvent altérer l’effet des drogues sur votre corps, ce qui rend les surdoses plus probables — en particulier si les drogues sont prises par injection ou administrées par voie intraveineuse («slamming») ». Lors de rapports sexuels sous l’effet de ces drogues, une personne peut être moins apte à donner son consentement, ou pourrait faire des choix qu’elle ne ferait pas normalement. Selon le Dre Fanous, « il est important que toute personne qui envisage de s’adonner au PnP garde contact avec son équipe soignante. D’autres bons outils sont le counseling en réduction des méfaits et les partenaires de responsabilisation — des personnes qui peuvent vous aider à demeurer en contrôle de votre consommation de drogues. »

Bien qu’aucune drogue ne soit sans risque, la consommation ne pose pas toujours problème. L’Association canadienne pour la santé mentale (ACSM) a établi une échelle de l’utilisation de drogues, qui va de la consommation occasionnelle, non problématique, à l’usage problématique puis à la dépendance chronique. Pour certains gars, le PnP est un aspect gérable de leur vie sexuelle. Mais chez d’autres, le PnP peut avoir des effets sérieux. L’ACSM considère que l’utilisation de drogues est problématique lorsqu’elle a de lourdes conséquences négatives sur la vie personnelle d’une personne, sa famille, ses amis et sa communauté. La dépendance chronique équivaut à ce qu’une personne ne puisse cesser l’usage de drogues malgré ces effets. Cela peut conduire à la perte d’un emploi et d’un logement, ce qui peut occasionner des rapports sexuels de survie (pour combler ses besoins fondamentaux de nourriture et de logement). Lorsqu’une personne consomme régulièrement de la drogue dans ses rapports sexuels, cela peut affecter à long terme sa relation au sexe et à l’intimité.

Pour les personnes vivant avec le VIH, le PnP comporte des risques supplémentaires qu’il faut connaître. L’utilisation de drogues pendant de longs épisodes peut faire oublier à quelqu’un de prendre ses médicaments, ce qui peut entraîner au fil du temps une résistance aux médicaments. La combinaison de drogues avec certains médicaments contre le VIH peut avoir des effets secondaires comme la dépression, la paranoïa et des pensées suicidaires. Par ailleurs, dans certaines situations la loi exige qu’une personne séropositive dévoile son statut VIH avant des relations sexuelles. Or une personne qui utilise des drogues pourrait oublier dans quelles circonstances elle a cette obligation de dévoilement — et les conséquences peuvent être sérieuses.

La réduction des méfaits : une nouvelle approche

La réduction des méfaits dans le contexte du PnP est un défi en raison de la nature et de la diversité des drogues utilisées. Le Dre Fanous explique : « On ne peut pas appliquer toujours les mêmes stratégies de réduction des méfaits à toutes les drogues. Par exemple, les stratégies de réduction des méfaits développées pour la consommation d’opioïdes et d’autres drogues ne sont généralement pas utiles dans le cas du crystal meth. » Il faut donc une approche adaptée à chaque drogue : par exemple, quelqu’un qui veut réduire ou arrêter sa consommation de GHB n’aura pas les mêmes besoins qu’une personne qui veut réduire ou arrêter l’usage de crystal meth. Le Dre Fanous indique qu’il peut être dur de cesser la consommation de crystal meth, car « elle est associée à long terme à un déclin des fonctions cognitives et à une augmentation des épisodes de psychose. Cela peut souvent représenter un défi lorsqu’on essaie d’arrêter ».

Il est difficile aux organismes VIH d’offrir du soutien lors d'événements de PnP, en raison de l’aspect privé. Vu la rareté des programmes adaptés, de nombreux adeptes du PnP ne savent pas où chercher de l’aide. En outre, ces gars sont souvent sceptiques quant à l’utilisation des services de réduction des méfaits, notamment parce que les services comme les sites de consommation supervisée sont souvent conçus pour des personnes qui consomment des opioïdes, et ne conviennent pas à celles qui utilisent des drogues de party ou qui consomment uniquement lors de leurs rapports sexuels. En outre, les clients typiques des services de réduction des méfaits ont un faible revenu ou sont logés de façon marginale. En revanche, des gbHARSAH de tout horizon consomment du crystal meth, quel que soit leur revenu.

Image
PnP 2

Benjamin Warren, coordonnateur en santé sexuelle des hommes gais à l’AIDS Committee of Cambridge, Kitchener, Waterloo and Area (ACCKWA), explique que pour les gars qui s’adonnent au PnP, « le plaisir sexuel, créer des liens et avoir un sentiment d’appartenance serait le centre d’intérêt - ce n’est pas toujours une question de drogue ». Il ajoute que « ceux qui s’adonnent au PnP ne s’identifient pas comme des consommateurs de drogues au sens habituel du terme, et ne sont pas portés vers la notion de réduction des méfaits ». La stigmatisation des rapports sexuels queers peut également détourner certaines personnes des services qui ne s’adressent pas directement à elles. Cette stigmatisation est accentuée dans le cas des minorités raciales. En 2020, le Centre de recherche communautaire (CBRC) a mené une enquête auprès de Canadiens qui s’adonnent au PnP; ses conclusions vont dans le même sens : 60 % des gbHARSAH consommant fréquemment du crystal meth n’étaient pas sûrs de pouvoir trouver des programmes de soutien où ils se sentiraient à l’aise.

Par ailleurs, il se peut que certains services pour LGBTQ+ dissuadent des clients en insistant sur l’abstinence ou en les orientant vers un service de désintoxication. De nombreux participants au projet du CBRC ont signalé que les services qu’ils avaient utilisés étaient fondés sur l’abstinence; certains ont dit qu’ils en avaient été renvoyés pour avoir consommé. La stigmatisation de la consommation de drogues, parmi les personnes LGBTQ+, peut également décourager des hommes d’utiliser du soutien communautaire. Ryan Tran, responsable de l’éducation et de la sensibilisation chez Asian Community AIDS Services (ACAS) à Toronto, explique que les hommes qui consomment des drogues hésitent à accéder aux groupes de soutien qu’il offre, car « ils ne veulent pas être vus ou démasqués par des membres de la communauté ».

Devant ce fossé, certains organismes LGBTQ+ offrent à présent des services adaptés de réduction des méfaits. Par exemple, le Comité SIDA de Toronto (ACT) et l’ACAS proposent des groupes de soutien entre pairs, tandis que d’autres livrent directement des outils de réduction des méfaits à leurs clients. Ainsi, l’organisme MAX à Ottawa propose un service en ligne discret qui permet aux gens de faire des commandes personnalisées de fournitures qu’ils peuvent venir cueillir ou faire livrer à domicile. Cet organisme effectue également des visites de sensibilisation dans des bars gais, pour offrir des conseils sur la réduction des méfaits aux gars du quartier. Dans tous ces exemples, l’adaptation culturellement pertinente est plus efficace qu’une approche « à taille unique »; et les intervenants s’appuient sur la confidentialité, la confiance et une approche non moralisatrice à l’égard des clients.

Tous les experts consultés par CATIE ont affirmé que les personnes qui utilisent des drogues devraient jouer un rôle essentiel dans la prestation de ces services. Ryan Tran, de l’ACAS, explique que « les personnes qui utilisent des drogues en savent plus, sont moins susceptibles de porter des jugements et ont généralement la bonne intention d’aider les autres ». Maticus Adams, de MAX, précise que les personnes qui utilisent des drogues peuvent « développer des programmes pour les personnes qui s’adonnent au PnP, repérer les lacunes et clarifier les messages de façon culturellement compétente ». À l’ACCKWA, par exemple, des adeptes du PnP jouent un rôle clé dans la formation des autres employés. Dans l’ensemble, les prestataires de services conviennent que les personnes qui utilisent des drogues et travaillent dans le secteur devraient être pleinement soutenues. Ils indiquent que ces pairs intervenants devraient également participer à des sessions de débreffage, après les ateliers de formation, et obtenir du soutien psychologique lorsque nécessaire. Ils signalent également qu’une rémunération adéquate du travail des pairs intervenants est une forme de réduction des méfaits.

En dépit des progrès réalisés dans la mise en place de ces services sur mesure, des lacunes subsistent. Un problème majeur concerne l’accessibilité : plusieurs services n’existent que dans des villes comme Vancouver, Toronto et Montréal. Dans plusieurs cas, on ne répond qu’à certains besoins, comme les fournitures de réduction des méfaits. Pour améliorer la situation, les intervenants consultés par CATIE ont suggéré une approche plus intégrée. Idéalement, les services devraient explorer le lien entre les défis de santé mentale que rencontrent des hommes queers — comme le traumatisme de l’homophobie, de la transphobie et du racisme — et leur relation à l’utilisation de drogues. Tim Guimond, psychiatre queer, explique que le PnP peut plaire à des personnes qui ont des problèmes de santé mentale. « Des personnes se sentent marginales, dit-il, et le PnP est pour elles un moyen de se sentir mieux et d’être acceptées. » Pour répondre à cette réalité, il considère important de créer des liens communautaires. Il est d’avis que les services idéaux seraient centrés sur le client, dans une approche holistique. Ces services engloberaient le counseling sur les drogues et la psychothérapie pour aider les gens à gérer leur santé.

Les activistes communautaires Johnson et Munga soulignent également la nécessité que les organismes LGBTQ+ aient des conversations franches sur le PnP. Ils suggèrent que les organismes de services ont besoin de former leur personnel, d’un plus grand nombre de psychologues et de spécialistes de la réduction des méfaits ainsi que d’un financement accru pour des programmes culturellement adaptés. Bien que certains organismes commencent à réagir, il faut plus d’efforts de leur part ainsi que des activistes et des personnes qui utilisent des drogues, afin de contrer la stigmatisation. Ce n’est qu’à ce moment que les gars qui s’adonnent au PnP disposeront des informations, des compétences et des outils nécessaires pour le faire en toute sécurité.

David DK Soomarie est un militant ouvertement queer et séropositif qui travaille dans les communautés LGBTQ+ et du VIH à Toronto.

IllustratIons par Fiona Smyth.

Conseils de réduction des méfaits

  • Planifiez votre sécurité. Réfléchissez à l’avance à vos limites. Prenez-vous des risques avec des personnes en qui vous avez confiance? Quelle quantité utiliserez-vous, combien de temps consommerez-vous et quelles méthodes de consommation êtes-vous à l’aise d’utiliser (par exemple, fumer ou s’injecter)?
  • Adressez-vous à un thérapeute ou à un ami qui ne fait pas partie de la communauté du PnP, avec qui vous pourrez avoir des conversations franches.
  • Commencez doucement et allez lentement. Laissez à vos drogues le temps d’agir, avant d’en prendre une autre dose.
  • Sachez d’où proviennent vos drogues.
  • Si vous utilisez des bandelettes de détection du fentanyl, soyez prudent, car elles n’analysent qu’une petite quantité de drogue, donc un résultat négatif ne signifie pas toujours que la drogue testée ne contient aucun fentanyl.
  • Envisagez de suivre une formation pour l’utilisation d’une trousse de naloxone.
  • Prenez soin de votre corps. Alimentez-vous, buvez de l’eau et allouez-vous du temps de sommeil.
  • Passez régulièrement des examens de santé sexuelle.
  • Demandez-vous si le PnP répond à vos besoins. Les raisons pour lesquelles les gens consomment des drogues peuvent changer; si cela cesse d’être agréable, prenez le temps d’y réfléchir.
  • Informez-vous sur la Loi sur les bons samaritains. Si vous appelez la police pour signaler une surdose, vous ne devriez pas être accusé de possession de drogue.
  • Dites à un ami où vous allez.
  • Réglez une minuterie pour vous rappeler de prendre vos médicaments. Discutez avec votre médecin ou votre pharmacien des drogues que vous prenez à des fins récréatives, afin qu’il puisse vous conseiller sur les interactions.
  • Si vous souhaitez réduire votre consommation ou cesser de prendre des drogues, faites un bilan de votre consommation. Ceci vous permettra de décider comment la réduire et comprendre les déclencheurs qui vous amènent à en consommer.
  • Pour des renseignements à propos de groupes d’entraide ou de counseling, communiquez avec l’organisme LGBTQ+ le plus proche de chez vous.