La plitidepsine : un extrait d’une créature marine est mis à l’épreuve contre la COVID-19

Dans l’espoir de traiter ou de prévenir l’infection par le SRAS-CoV-2, des scientifiques tentent actuellement de repositionner des médicaments déjà approuvés pour le traitement d’autres maladies.

À titre d’exemple, notons que le stéroïde dexaméthasone, dont nous parlons en détail plus loin dans ce numéro de TraitementActualités, s’est déjà révélé capable d’améliorer les chances de survie de personnes hospitalisées pour la COVID-19 qui recevaient un supplément d’oxygène ou une ventilation mécanique invasive. Cet effet de la dexaméthasone était sans doute attribuable à la réduction de l’inflammation grave associée aux symptômes graves de la COVID-19. Il se peut également que la dexaméthasone exerce d’autres effets contre cette maladie nouvelle qui n’ont pas encore été élucidés.

La dexaméthasone est également utilisée dans le cadre d’un traitement contre un cancer des cellules B appelé myélome multiple. En raison de ce lien, certaines équipes de recherche d’Espagne et des États-Unis croient qu’un autre médicament contre le myélome multiple, soit la plitidepsine, pourrait être repositionné pour le traitement éventuel de la COVID-19.

Mini-usine biologique

Comme de nombreux virus, lorsque le SRAS-CoV-2 infecte une cellule, il tente de s’emparer de la machinerie biologique de celle-ci afin de l’utiliser à ses propres fins. Autrement dit, le SRAS-CoV-2 (et presque tous les autres virus) tente de transformer les cellules infectées en mini-usines à virus afin qu’elles fabriquent des copies virales infectieuses en masse. Pour réussir cet exploit, le SRAS-CoV-2 s’empare du contrôle de la machinerie cellulaire, et plus particulièrement des parties de la cellule responsables de la production de protéines. L’une des usines cellulaires qui participent à la production de protéines a reçu de la part des scientifiques l’étiquette d’eEF1A (facteur d’élongation de la traduction eucaryote 1A).

Plusieurs virus entravent l’activité ou tentent de saisir le contrôle de l’eEF1A, notamment le virus de la grippe, le VIH et maintenant le SRAS-CoV-2.

La plitidepsine dans le laboratoire

Pour fabriquer la plitidepsine, un médicament servant au traitement du myélome multiple, une compagnie espagnole du nom de PharmaMar a extrait un composé se trouvant dans des créatures marines appelées ascidies. Dans les expériences de laboratoire sur des cellules infectées par le SRAS-CoV-2, l’administration de très faibles concentrations de plitidepsine peut réduire significativement la production de ce virus. Notons que la plitidepsine est également active contre un variant courant du SRAS-CoV-2 appelé B117.

Lors d’expériences sur des souris infectées par le SRAS-CoV-2, la plitidepsine a fait diminuer de près de 100 fois la quantité de virus et a réduit significativement l’inflammation pulmonaire causée par le SRAS-CoV-2.

La plitidepsine chez l’humain

PharmaMar a mené une étude de phase I/II sur la plitidepsine. L’équipe de recherche a administré par voie intraveineuse une des doses suivantes du médicament à trois groupes de personnes pendant trois jours consécutifs :

  • 1,5 mg
  • 2,0 mg
  • 2,5 mg

Selon PharmaMar, la plitidepsine a réduit la quantité de SRAS-CoV-2 de 50 % au jour sept et de 70 % au jour 15. La compagnie a affirmé que 81 % des participants ont pu quitter l’hôpital après 15 jours ou moins.

PharmaMar a élargi son étude en recrutant davantage de personnes. La compagnie poursuit également des discussions avec les autorités de réglementation à propos d’un essai clinique de phase III.

Notons que les doses de plitidepsine utilisées dans cette étude étaient relativement faibles et, selon la compagnie, « bien tolérées par les patients et provoquaient très peu d’effets secondaires ».

Ce dernier point revêt une grande importance parce que les médicaments qui agissent sur les processus cellulaires (au lieu de combattre directement le virus) risquent de nuire aux cellules et de provoquer ainsi des effets secondaires. Cependant, à l’instar de la plupart des médicaments éprouvés pour le traitement de la COVID-19, la plitidepsine ne serait utilisée que pour une courte période, ce qui réduirait le risque d’effets secondaires.

À l’avenir

La combinaison de plitidepsine et de dexaméthasone a été utilisée sans danger lors d’essais cliniques menés chez des personnes souffrant de myélome multiple. Cela soulève la possibilité que ces deux médicaments puissent être testés également chez des personnes éprouvant de graves symptômes de la COVID-19.

La plitidepsine doit être administrée par voie intraveineuse, ce qui n’est pas idéal durant cette pandémie qui ne cesse d’éprouver les établissements de santé et d’accabler leur personnel. Si le médicament se révèle efficace lors des essais cliniques futurs, PharmaMar décidera peut-être d’investir dans la recherche nécessaire à la conception d’une formulation orale de la plitidepsine ou d’un analogue.

Vu que la plitidepsine agit sur des processus cellulaires plutôt que directement contre le virus, il est probable qu’elle conservera son activité antivirale contre les variants du SRAS-CoV-2, ainsi que d’autres coronavirus. Cette dernière propriété pourrait la rendre très utile si jamais une autre pandémie à coronavirus devait se produire.

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

  1. Martinez MA. Plitidepsin: a repurposed drug for the treatment of COVID-19. Antimicrobial Agents and Chemotherapy. 2021; sous presse.
  2. White KM, Rosales R, Yildiz S, et al. Plitidepsin has potent preclinical efficacy against SARS-CoV-2 by targeting the host protein eEF1A. Science. 2021 Feb 26;371(6532):926-931.
  3. Wong JP, Damania B. SARS-CoV-2 dependence on host pathways. Science. 2021 Feb 26;371(6532):884-885.
  4. Reuschl AK, Thorne L, Zuliani Alvarez L, et al. Host-directed therapies against early-lineage SARS-CoV-2 retain efficacy against B117 variant. BioRxiv [Preprint]. 2021 Jan 24:2021.01.24.427991.