Une analyse d’essais cliniques randomisés et de la prise de poids

Dans les sections précédentes de ce numéro de TraitementActualités, nous avons examiné des données d’études captées à peine quelques années après l’avènement du traitement du VIH puissant (TAR) jusqu’en 2010 à peu près. Durant cette période, les médicaments couramment utilisés comme base principale des régimes étaient des analogues non nucléosidiques (tels que l’éfavirenz et la névirapine) ou encore des inhibiteurs de la protéase (tels que le ritonavir, l’indinavir, le saquinavir, le nelfinavir, le lopinavir et l’atazanavir). Les analyses effectuées alors ont révélé que l’obésité se produisait chez certaines personnes séropositives même avant qu’elles aient commencé à suivre un TAR. De plus, l’obésité s’aggravait après l’amorce du TAR. Rappelons aussi que les problèmes de surpoids et d’obésité sont de plus en plus fréquents au sein de la population séronégative aussi.

À l’heure actuelle, de nombreuses personnes qui commencent le TAR au Canada et dans d’autres pays à revenu élevé reçoivent vraisemblablement un régime fondé sur un inhibiteur de l’intégrase. De nos jours, il s’agit le plus couramment du bictégravir (ingrédient de Biktarvy) ou du dolutégravir (Tivicay et ingrédient de Dovato, Juluca et Triumeq). Une nouvelle formulation uniquotidienne de l’inhibiteur de l’intégrase raltégravir (Isentress HD) est également disponible dans les pays à revenu élevé. Cependant, ce dernier n’est pas couramment utilisé parce qu’il n’est pas offert en coformulation avec d’autres médicaments.

Pour un article à paraître dans la revue Clinical Infectious Diseases, un groupe de chercheurs de la compagnie pharmaceutique Gilead Sciences a fait équipe avec des médecins d’Europe et des États-Unis pour examiner les données d’essais cliniques randomisés portant sur plus de 5 000 personnes qui ont commencé le TAR entre 2003 et 2015. Dans l’ensemble, ils ont constaté que la prise de poids s’était produite lors de tous les essais cliniques et sous l’effet de presque tous les médicaments utilisés. L’équipe a cependant affirmé que « la prise de poids a été plus importante lors des essais [cliniques] plus récents, ainsi que sous l’effet des régimes TAR plus récents ».

Les facteurs suivants qui étaient présents avant l’amorce du TAR ont joué subséquemment un rôle dans la prise de poids :

  • compte de cellules CD4+ plus faible
  • charge virale plus élevée
  • absence d’injection de drogues
  • sexe féminin
  • population noire

Ensuite, nous rendons compte des comparaisons des différents régimes et des différentes classes de médicaments anti-VIH qu’a effectuées l’équipe.

Détails de l’étude

L’équipe s’est concentrée sur les régimes qui en étaient aux phases finales des essais cliniques (phase III) avant l’homologation. Tous les participants ont été suivis pendant deux ans environ.

Au début des études, les participants figuraient dans les catégories de poids suivantes dans les pourcentages indiqués :

  • poids normal : 52 %
  • surpoids : 31 %
  • obésité : 16 %

(La somme des chiffres n’est pas 100 parce qu’ils ont été arrondis.)

Résultats

Voici un aperçu des tendances globales :

  • Les personnes qui s’inscrivaient aux essais cliniques plus récents avaient tendance à peser davantage et à avoir un compte de CD4+ plus élevé avant de commencer le TAR.
  • La prise de poids se produisait, peu importe le régime utilisé.
  • La prise de poids était plus importante dans les essais cliniques plus récents (où l’on avait tendance à utiliser des médicaments plus récents).
  • Les régimes plus récents étaient associés à des prises de poids plus importantes que les régimes plus anciens.
  • En moyenne, les participants prenaient environ 2 kg.
  • La prise de poids avait tendance à être la plus importante au cours de la première année de l’étude.

Facteurs de risque de prise de poids

Compte de cellules CD4+

Comme l’ont révélé d’autres analyses d’envergure, les participants qui avaient moins de 200 cellules CD4+/mm3 au début des études de Gilead ont pris plus de poids (près de 3 kg) que les participants dont le compte de CD4+ était supérieur à 200 cellules/mm3 au début des études.

Charge virale

Les personnes qui avaient une charge virale supérieure à 100 000 copies/ml au début des études ont pris 1 kg de plus que les personnes dont la charge virale était plus faible au début.

Symptômes et sida

Les personnes qui avaient des symptômes du sida ou d’une immunodéficience ont pris un demi-kilogramme de plus que les personnes sans symptômes.

Absence d’injection de drogues

Les personnes qui ne s’injectaient pas de drogues ont pris 1,4 kg de plus que les personnes qui s’en injectaient.

Race/ethnie

Les personnes s'identifiant comme Noires ont généralement pris 1 kg de plus par rapport aux personnes n'e s'identifiant pas comme Noires.

Sexe

Les femmes ont pris plus de poids que les hommes. Les prises de poids les plus importantes se produisaient chez les femmes noires, suivies au deuxième rang par les hommes noirs.

Types de TAR

Toutes les classes principales de TAR ont été associées à la prise de poids, comme suit :

  • inhibiteurs de l’intégrase : 3,24 kg
  • analogues non nucléosidiques : 1,93 kg
  • inhibiteurs de la protéase : 1,72 kg

Ces différences de prise de poids sont significatives du point de vue statistique lorsqu’on compare les effets des inhibiteurs de l’intégrase à ceux des autres classes de TAR.

Inhibiteurs de l’intégrase

Les prises de poids ont été les plus importantes chez les personnes recevant des inhibiteurs de l’intégrase :

  • bictégravir : 4,2 kg
  • dolutégravir : 4,07 kg
  • elvitégravir : 2,72 kg

Analogues non nucléosidiques (INNTI)

En ce qui concerne les analogues non nucléosidiques, les participants qui prenaient la rilpivirine (ingrédient de Complera et d’Odefsey) ont pris plus de poids que les personnes recevant l’éfavirenz :

  • rilpivirine : 3,01 kg
  • éfavirenz : 1,7 kg

Analogues nucléosidiques (INTI)

Comparativement aux personnes ayant reçu l’analogue nucléosidique le plus ancien (AZT, zidovudine, Retrovir et ingrédient de Combivir et de Trizivir), les participants qui prenaient des analogues nucléosidiques d’usage plus courant de nos jours ont connu des prises de poids considérablement plus importantes, comme suit :

  • ténofovir alafénamide (TAF, version plus récente et plus sûre du ténofovir) + FTC : 4,25 kg
  • abacavir (ce médicament est souvent utilisé en coformulation avec 3TC) : 3,08 kg
  • fumarate de ténofovir disoproxil (TDF, version plus ancienne du ténofovir) + FTC : 2,08 kg

En général, les personnes qui prenaient AZT ont pris environ 0,39 kg.

Facteurs de risque associés à une augmentation de 10 % ou plus du poids corporel de base

L’équipe s’est concentrée sur le chiffre de 10 % parce qu’une telle prise de poids, qualifiée d’« extrême » par les chercheurs, est habituellement significative sur le plan clinique. Une telle augmentation du poids s’est produite chez près de 13 % des participants.

Les facteurs suivants qui étaient présents au début de l’étude étaient associés à une augmentation du poids corporel de 10 % ou plus :

  • compte de CD4+ plus faible
  • charge virale plus élevée
  • indice de masse corporelle normal (IMC), contrairement au surpoids ou à l’obésité
  • sexe féminin
  • population noire

Prise de poids de 10 % ou plus : comparaison des différents médicaments

L’équipe a utilisé l’analogue non nucléosidique éfavirenz (Sustiva, Stocrin et ingrédient d’Atripla) à titre de référence afin de comparer l’impact des autres médicaments sur les prises de poids de 10 % ou plus. Elle a trouvé que le fait de commencer un régime comportant n’importe lequel des médicaments suivants était associé à un risque accru de connaître une prise de poids importante :

  • bictégravir
  • dolutégravir
  • elvitégravir
  • rilpivirine

Notons toutefois que la prise de l’atazanavir avec une faible dose de ritonavir (il s’agit de l’« atazanavir potentialisé ») dans le cadre d’un régime n’était pas associée à une prise de poids importante.

En ce qui a trait aux analogues nucléosidiques, les chercheurs ont constaté que l’amorce d’un régime comportant TAF (habituellement en coformulation avec FTC) était associée à une augmentation significative du risque de connaître une prise de poids de 10 % ou plus. En revanche, les analogues nucléosidiques suivants n’étaient pas associés à un tel risque de prise de poids :

  • TDF (habituellement en coformulation avec FTC)
  • abacavir (habituellement en coformulation avec 3TC)

Questions métaboliques : de bonnes et de mauvaises nouvelles

De façon générale, l’équipe n’a pas constaté d’augmentation cliniquement significative de la glycémie à jeun ou de la tension artérielle au cours de l’étude. Et la prise de poids n’était pas associée à un risque accru de diabète de type 2. Notons cependant que les participants aux essais cliniques de phase III (qu’il s’agisse de traitements anti-VIH ou pas) ont tendance à être relativement en meilleure santé que la personne moyenne atteinte de la même affection dans la communauté. De plus, ces participants ont été suivis pendant deux ans environ. Voilà une nouvelle qui est à la fois bonne et mauvaise. La bonne nouvelle est que ce résultat signifie vraisemblablement que la prise de poids ne cause pas généralement de problèmes métaboliques à court terme (deux ans). La mauvaise nouvelle est la suivante : les études menées chez des personnes séronégatives ont généralement révélé que la prise de poids était associée à une gamme de problèmes de santé à long terme.

À souligner

Les études dont il est question ici n’avaient comme objectif principal d’évaluer la prise de poids. Elles visaient à déterminer l’efficacité et l’innocuité générale du TAR. Leurs résultats par rapport à la prise de poids s’accordent cependant avec ce que nombre de médecins chevronnés observent dans leurs cliniques chez certains patients, ainsi qu’avec les rapports provenant d’autres études randomisées et par observation. Il est maintenant nécessaire de mener d’autres essais cliniques centrés sur le poids et les problèmes métaboliques et cardiovasculaires afin que l’on puisse suivre les patients sous TAR à long terme et trouver les moyens de les aider à perdre du poids de façon sûre si cela s’avère nécessaire. Bien que tous les régimes anti-VIH modernes soient généralement associés à un certain degré de prise de poids, la bonne nouvelle est que la plupart des personnes sous TAR ne deviennent pas obèses. À court terme (deux ans), la prise de poids était habituellement une question de quelques kilos dans ces études.

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

  1. Sax PE, Erlandson KM, Lake JE, et al. Weight gain following initiation of antiretroviral therapy: Risk factors in randomized comparative clinical trials. Clinical Infectious Diseases. 2020; en voie d’impression.
  2. Bares SH. Is modern antiretroviral therapy causing weight gain? Clinical Infectious Diseases. 2020; en voie d’impression.
  3. Kühnen P, Krude H, Biebermann H. Melanocortin-4 Receptor Signalling: Importance for weight regulation and obesity treatment. Trends in Molecular Medicine. 2019 Feb;25(2):136-148.
  4. Havlir DV, Doherty MC. Global HIV treatment - Turning headwinds to tailwinds. New England Journal of Medicine. 2019 Aug 29;381(9):873-874.