Probiotiques et la réponse à l’immunothérapie pour le cancer

Comme nous l’avons mentionné plus tôt dans ce numéro de TraitementActualités, des recherches émergentes portent à croire que les bactéries intestinales exercent des effets sur plusieurs systèmes organiques, y compris les intestins, le cerveau et le système immunitaire. Des équipes de chercheurs partout dans le monde étudient les façons dont on peut manipuler les bactéries intestinales afin de produire des effets bénéfiques pour le système immunitaire et de contribuer peut-être à atténuer certaines affections médicales. En particulier, certains chercheurs espèrent réussir à réduire l’inflammation et l’activation immunitaires grâce aux bactéries intestinales. D’autres chercheurs espèrent améliorer la réponse anticancéreuse du système immunitaire chez les personnes atteintes de cancer qui sont traitées par une classe émergente de médicaments appelés inhibiteurs des points de contrôle immunitaires. Nous parlerons de ceux-ci plus loin dans ce rapport, mais quelques renseignements contextuels sur le système immunitaire sont nécessaires pour commencer.

Points de contrôle dans le système immunitaire

Pendant une réponse typique à une infection ou à une tumeur, le système immunitaire doit être mobilisé. Cette mobilisation se produit grâce à la libération de signaux chimiques de l’inflammation. Certaines cellules immunitaires qui combattent les microbes et les tumeurs sont activées, y compris les cellules T CD8+, les cellules tueuses naturelles et les macrophages. À la longue, après que l’infection ou la tumeur a été contrôlée ou détruite, le système immunitaire doit se calmer et mettre fin à sa réponse à l’infection ou au cancer, sinon les cellules qui demeurent activées pourraient endommager par inadvertance les tissus sains. De plus, l’inflammation excessive peut dégrader lentement les organes vitaux.

Pour aider à stopper ces réponses immunitaires, les cellules du système immunitaire commencent à exprimer des points de contrôle. Il s’agit de protéines à la surface des cellules qui transmettent des signaux aux cellules CD8+ et à d’autres cellules pour les avertir qu’il est temps de réduire et, finalement, de cesser leur activité.

L’intérêt des inhibiteurs des points de contrôle

Les points de contrôle couramment étudiés incluent PD-1 et PD-L1 (il s’agit respectivement de la protéine de mort cellulaire programmée 1 et du ligand de mort cellulaire programmée 1). Certaines recherches laissent croire que l’infection au VIH incite les cellules du système immunitaire à exprimer ces points de contrôle et d’autres. Il est possible que ces points de contrôle jouent un rôle dans l’incapacité du système immunitaire de contenir et d’éliminer le VIH chez la vaste majorité des personnes. Des chercheurs aux États-Unis mènent de petites études sur les inhibiteurs des points de contrôle chez des personnes séropositives dans le cadre des tentatives visant la guérison de cette infection.

Répondeurs et non-répondeurs

Certaines tumeurs expriment également des points de contrôle à leur surface, ce qui fait échec aux tentatives du système immunitaire de les vaincre. Chez certaines personnes souffrant de cancer, les inhibiteurs des points de contrôle peuvent être puissants : sous leur effet, les tumeurs rapetissent et dans certains cas disparaissent complètement. Cela se produit parce que, chez certaines personnes décrites comme des « répondeurs », les inhibiteurs des points de contrôle éliminent les entraves au système immunitaire et déclenchent une forte réponse immunologique contre la tumeur. Malheureusement, cette réponse immunitaire se déchaîne parfois et peut causer des effets secondaires intenses.

Les chercheurs essaient de découvrir quelles personnes souffrant de cancer sont susceptibles de connaître une réponse bénéfique sous l’effet des inhibiteurs des points de contrôle. De telles études seront peut-être utiles un jour dans le cadre de la recherche sur la guérison du VIH.

Indices provenant du traitement du cancer

Des équipes de recherche en France et aux États-Unis ont étudié les bactéries intestinales de personnes souffrant de différentes sortes de cancers. Toutes ces personnes ont reçu un traitement par inhibiteurs des points de contrôle. Les participants ont été répartis en deux groupes, les répondeurs et les non-répondeurs. Certains aspects intéressants de cette recherche concernent le travail de l’équipe française de Bertrand Routy, Ph. D., et de ses collègues. Cette équipe a étudié des participants qui recevaient un traitement par inhibiteurs des points de contrôle pour les cancers suivants :

  • cancer du poumon non à petites cellules
  • carcinome des cellules rénales
  • carcinome urothélial

Selon les chercheurs, lorsque les participants prenaient des antibiotiques pour traiter des infections, les inhibiteurs des points de contrôle induisaient une réponse relativement faible aux tumeurs. Ce résultat porte à croire que certaines espèces de bactéries peuvent interférer avec l’efficacité des inhibiteurs des points de contrôle.

L’équipe de M. Routy a analysé les matières fécales des participants (les selles contiennent un échantillon représentatif des bactéries intestinales) et a constaté un taux relativement élevé des bactéries Akkermansia muciniphila chez les participants ayant connu une réponse favorable aux inhibiteurs des points de contrôle ciblant la PD-1. On croit que ces bactéries possèdent une activité anti-inflammatoire. Lors d’expériences distinctes et non reliées où les chercheurs ont donné des régimes alimentaires différents à des souris, ils ont trouvé que les animaux dont l’alimentation était riche en huile de poisson avaient des taux relativement élevés de ces bactéries dans les intestins.

Transplantation de microbiote fécal

La technique qui consiste à cultiver les bactéries fécales de personnes en bonne santé ou de personnes ayant une immunité à certaines infections bactériennes puis à les transférer à d’autres personnes s’appelle la transplantation de microbiote fécal (TMF). Cette technique a été utilisée pour traiter certains cas graves de diarrhées persistantes causées par la multiplication excessive de la bactérie C. difficile.

Bernard Routy et une équipe de chercheurs américains ont cultivé des bactéries prélevées dans les matières fécales de patients cancéreux traités par inhibiteurs des points de contrôle. Les chercheurs ont ensuite utilisé la technique TMF pour transplanter ces bactéries à des souris atteintes de tumeurs humaines. Seules les souris qui ont reçu les bactéries de personnes ayant répondu aux inhibiteurs des points de contrôle ont connu une amélioration de leur réponse aux tumeurs lorsqu’elles ont aussi reçu des inhibiteurs des points de contrôle. Les souris qui ont eu une faible réponse malgré la TMF ont ensuite reçu des suppléments d’A. muciniphila et leur réponse aux inhibiteurs des points de contrôle s’est améliorée.

Ces expériences et d’autres suggèrent fortement que les personnes souffrant de cancer doivent avoir le bon mélange de bactéries dans leur corps afin que les inhibiteurs des points de contrôle puissent leur procurer des bienfaits.

Nos lecteurs devraient noter que d’autres chercheurs étudiant le cancer (notamment le mélanome malin) ont trouvé que d’autres bactéries, telles que Faecalibacterium, ont rehaussé l’activité des inhibiteurs des points de contrôle lors d’études subséquentes sur des souris. Il est donc possible, voire probable, qu’il n’existe aucune variété idéale de bactéries intestinales qui puisse aider les personnes utilisant des inhibiteurs des points de contrôle. Un mélange de bactéries incluant une souche prédominante pourrait être utile contre certains cancers, alors qu’un mélange de bactéries diverses pourrait mieux réussir mieux contre d’autres cancers.

Un avenir difficile

Les expériences sur les bactéries intestinales et les inhibiteurs des points de contrôle sont passionnantes et soulignent l’importance de telles bactéries pour le système immunitaire. Il reste maintenant beaucoup de travail à faire sur cet aspect de la recherche sur le cancer. Les chercheurs doivent mener des études pour déterminer précisément comment les bactéries bénéfiques peuvent aider à rehausser la réponse immunitaire dans les cas de cancer traités par inhibiteurs des points de contrôle.

De plus, comme nous l’avons déjà mentionné dans ce numéro de TraitementActualités, il existe des facteurs ayant un impact sur le mélange de bactéries vivant dans les intestins. Étudier des souris dans une cage est une chose; c’est une toute autre affaire lorsqu’on étudie des êtres humains complexes atteints de cancer ainsi que les nombreux facteurs pouvant influencer la composition des bactéries intestinales, y compris l’usage d’antibiotiques et d’autres médicaments, l’alimentation, le stress, la prise de suppléments, etc. Les chercheurs ont un grand défi à relever pour mettre à l’épreuve les résultats expérimentaux obtenus avec les souris dans le cadre d’essais cliniques sur des humains souffrant de cancer et traités par inhibiteurs des points de contrôle. En raison des façons complexes et mal comprises dont les bactéries intestinales influencent la santé humaine, il pourrait s’écouler des années avant que les suppléments de bactéries bénéfiques soient utilisés de façon routinière en association avec les inhibiteurs des points de contrôle ou d’autres genres d’immunothérapies dans le cadre d’essais cliniques. Dans certains cas, si les chercheurs parviennent à découvrir comment les bactéries intestinales exercent leurs effets sur le système immunitaire, les essais cliniques ne porteront peut-être pas sur les suppléments de bactéries, mais sur des protéines dérivées de telles bactéries.

Recherche sur la guérison du VIH

Des chercheurs en France et aux États-Unis mènent des essais cliniques sur les inhibiteurs des points de contrôle auprès de personnes ayant le VIH et le cancer. Comme les inhibiteurs des points de contrôle peuvent causer des effets secondaires intenses, les chercheurs avancent prudemment dans ces études. Si les résultats de celles-ci se révèlent positifs, les chercheurs pourront prévoir une investigation du rôle joué par les bactéries intestinales et les inhibiteurs des points de contrôle chez cette population.

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

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