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Les services de consommation supervisée (SCS) et les sites de prévention des surdoses (SPS) jouent des rôles de plus en plus importants dans la réponse actuelle canadienne visant la réduction des méfaits liés à l’utilisation de drogues illicites. Les SCS fournissent du matériel de consommation stérile pour permettre aux gens d’utiliser des drogues préalablement obtenues dans un endroit sûr et propre et sous la supervision d’un personnel formé. Ils dispensent aussi une gamme de services pour répondre à l’ensemble des méfaits liés aux drogues, telles la transmission du VIH et de l’hépatite C et les surdoses, en tenant compte des déterminants sociaux de la santé ayant un impact sur les personnes qui utilisent des drogues. Il existe des SCS dans de nombreux pays, y compris le Canada, qui compte plus de 25 sites. Dans cet article, nous examinons les données probantes révélant que les SCS réduisent les pratiques de consommation de drogues à risque associées à la transmission de maladies infectieuses, ainsi que la fréquence des surdoses fatales. Nous incluons aussi des données révélant que les SCS assurent l’arrimage des utilisateurs aux services permettant d’améliorer la santé globale des personnes qui s’injectent des drogues. Cet article contient aussi de l’information sur les SPS, lesquels ressemblent aux SCS mais qui peuvent être établis plus rapidement dans le contexte actuel de la crise de surdoses sévissant au Canada.
Le Canada vit actuellement une épidémie de surdoses liées aux opioïdes qui touche les personnes qui s’injectent des drogues et leurs communautés dans de nombreux endroits au pays, quoique certaines régions en subissent l’impact plus que d’autres. En 2016, on a recensé 2 946 décès liés aux opioïdes au Canada. De janvier à septembre 2017, il s’est produit 2 923 décès liés aux opioïdes, ce qui représente une augmentation de 45 % par rapport à la même période en 2016.1 On a déterminé que la majorité des décès (92 %) survenus en 2017 ont été accidentels (autrement dit, la personne ne s’est pas suicidée)1. Cela indique que les drogues de rue sont mélangées à des substances toxiques ou à des drogues plus puissantes que ce à quoi l’utilisateur s’attend ou est accoutumé. Dans ces cas, il s’agit souvent de l’opioïde puissant fentanyl ou de son analogue encore plus puissant, le carfentanil.
Il importe de souligner que les chiffres ci-dessus ne reflètent pas les nombreuses surdoses qui ne causent pas la mort. Selon les estimations de l’Institut canadien d’information sur la santé, une moyenne de 13 hospitalisations ont eu lieu tous les jours pour des intoxications aux opioïdes en 2014–2015 au Canada.2 Il est probable que ce chiffre a augmenté en même temps que le nombre de surdoses fatales au cours des années plus récentes.
En réponse à cette crise qui ne cesse de s’aggraver, les fournisseurs de services de première ligne et les personnes qui utilisent des drogues ont vigoureusement réclamé l’augmentation des interventions efficaces prouvées afin de réduire les taux de surdoses et de promouvoir la santé et la sécurité des personnes qui utilisent des drogues.
Les services de consommation supervisée (SCS) sont un genre d’intervention de réduction des méfaits qui connaît depuis récemment une augmentation rapide d’un bout à l’autre du pays. Dans un SCS, les personnes peuvent s’injecter (et parfois sniffer ou avaler) des drogues préalablement obtenues en utilisant du matériel d’injection stérile et ce, dans un endroit sûr et propre qui est supervisé par un personnel formé. Il arrive moins fréquemment que les SCS permettent aux gens de fumer ou d’inhaler des drogues illégales.
Le premier SCS légal au Canada, Insite, s’est ouvert à Vancouver en 2003. Insite a continué de fonctionner comme seul site légal jusqu’en 2016, alors qu’un deuxième site a obtenu l’approbation légale à Vancouver.3 Les taux encore élevés de VIH et d’hépatite C parmi les personnes qui s’injectent des drogues, ainsi que l’aggravation de l’épidémie de surdoses fatales, ont poussé d’autres villes canadiennes à chercher à obtenir une approbation pour établir de nouveaux sites. L’épidémie de surdoses et son taux de mortalité élevé ont également incité le gouvernement canadien à simplifier le processus de demande, de sorte qu’il est maintenant plus facile d’ouvrir un SCS.3 Depuis le milieu de 2017, au moins 27 nouveaux SCS légaux ont vu le jour en Alberta, en Colombie-Britannique, en Ontario et au Québec, et plusieurs autres demandes sont en voie d’examen.4 Jusqu’à présent, il existe un seul SCS au Canada qui permet aux utilisateurs de fumer de la drogue (il se trouve à Lethbridge, en Alberta).
Pour obtenir l’approbation légale pour ouvrir un SCS au Canada, le site en question doit demander une exemption lui permettant de contourner les lois fédérales qui interdisent la possession de drogues illicites.5 La demande doit inclure des données probantes attestant la nécessité du site, son impact éventuel sur la criminalité dans le voisinage, la tenue d’une consultation communautaire et l’existence de systèmes de régulation et de ressources appropriées pour exploiter un tel site.3
Les principaux objectifs des SCS sont les mêmes partout dans le monde, quoique la conception et le fonctionnement des SCS peuvent différer selon les besoins locaux et le contexte dans lequel ils sont exploités. Les SCS cherchent à réduire les méfaits associés à l’utilisation de drogues illicites en visant les objectifs de santé publique et d’ordre public suivants :6,7
Les SCS offrent une combinaison de services et de soutiens pour atteindre l’ensemble des objectifs ci-dessus.8 Typiquement, au Canada, les SCS offrent les services suivants :
D’autres services pourraient être offerts aussi, dont les suivants :
Les études existantes sur l’efficacité des SCS mesurent les résultats indirects concernant la transmission du VIH et de l’hépatite C (p. ex., la réduction des comportements susceptibles de transmettre les maladies infectieuses), plutôt que l’incidence du VIH et de l’hépatite C. Les données indiquent que le recours aux SCS par les personnes qui s’injectent des drogues réduit le partage d’aiguilles et de seringues, un comportement qui peut transmettre le VIH et l’hépatite C.6,7 Lorsque les personnes qui utilisent des drogues participent moins souvent à l’emprunt et au prêt d’aiguilles, la transmission du VIH et de l’hépatite C a moins de chances de se produire. Une méta-analyse de trois études (deux menées à Vancouver et l’autre en Espagne) a permis d’estimer que les utilisateurs de SCS étaient 69 % moins susceptibles de partager des aiguilles et des seringues que les personnes qui n’avaient pas recours aux SCS.9,10,11,12 La recherche a permis de constater que les SCS étaient également associés à d’autres pratiques de consommation plus sécuritaires, telles que la réduction du nombre d’injections effectuées dans les lieux publics et dehors, la réutilisation moins fréquente des aiguilles et l’élimination sécuritaire du matériel d’injection usagé.6,7
Il existe aussi une masse de données probantes provenant de programmes de distribution d’aiguilles et de seringues qui indiquent que l’offre de matériel d’injection stérile entraîne une réduction des comportements d’injection à risque et des taux de transmission du VIH parmi les personnes qui s’injectent des drogues.13,14,15 L’offre de matériel stérile est un élément central des services fournis par les SCS.
La recherche porte à croire que les SCS peuvent réduire les incidents de surdose et la mortalité lorsqu’ils sont établis dans les communautés où l’injection de drogues est courante.6,7 Par exemple, lorsque l’organisme Insite a ouvert ses portes à Vancouver, on a constaté une réduction de 35 % des surdoses fatales dans le voisinage du site.16 De plus, une revue systématique récemment publiée a souligné qu’il ne s’est jamais produit de surdose mortelle à l’intérieur d’un SCS.6 L’établissement de SCS a également été associé à une réduction des consultations dans les services des urgences et des appels aux ambulanciers pour cause de surdose d’opioïdes.6,7
Bien que certains se préoccupent de la possibilité que l’utilisation de SCS décourage l’entrée dans un service de traitement de la toxicomanie, les données probantes disponibles laissent croire le contraire. On a trouvé que les SCS augmentaient l’orientation des utilisateurs et leur intégration dans les programmes de désintoxication et de traitement de substitution aux opiacés (TSO), entre autres.6,7 L’adoption du TSO peut réduire ou éliminer l’utilisation de drogues injectables et s’est révélée capable de réduire les comportements d’injection à risque ainsi que les taux de VIH parmi les personnes qui s’injectent des drogues.17 La recherche révèle aussi que l’utilisation de SCS est associée à une plus grande probabilité d’obtenir des soins médicaux lorsqu’ils sont nécessaires; les SCS offrent aussi l’occasion d’obtenir d’autres services sur place ou ailleurs, tels que des soins infirmiers, le dépistage du VIH, des soins de santé mentale et un soutien pour répondre à ses besoins de base.6
Enfin, la recherche porte à croire que les SCS sont efficaces pour réduire la consommation de drogues en public et la présence de matériel d’injection jeté. Elle indique aussi que les SCS ne contribuent pas à une augmentation de la criminalité liée aux drogues dans le voisinage.6,7
En septembre 2016, des militants ont monté un « site d’injection sécuritaire spontané » non approuvé dans le Downtown Eastside de Vancouver, afin de répondre au nombre croissant de surdoses fatales et à la demande croissante pour les services du SCS local, Insite.3 Le site consistait en une tente où les gens pouvaient s’injecter ou fumer des drogues sous supervision et recevoir des soins urgents en cas de surdose. Lorsque des sites « spontanés » semblables ont commencé à voir le jour en Colombie-Britannique, on les a baptisés formellement des sites de prévention des surdoses (SPS), et ils ont finalement obtenu le soutien du ministère de la Santé de la C.-B.3 Il existe maintenant des SPS dans plusieurs provinces afin de répondre à la crise de surdoses et d’intoxication aux drogues qui sévit actuellement dans ce pays. En décembre 2017, Santé Canada a octroyé à tous les territoires et provinces le droit de demander une exemption de catégorie afin d’obtenir l’autorisation à approuver des SPS temporaires (trois à six mois) en cas de besoin urgent et ce, sans devoir passer par le même long processus de demande nécessaire pour recevoir une exemption pour établir un SCS en vertu des lois fédérales.5
Les SPS diffèrent des SCS dans la mesure où le principal objectif d’un SPS consiste à prévenir et à intervenir dans les cas de surdose de drogue. Dans un SPS, des pairs intervenants ou d’autres membres du personnel (qui ne sont pas typiquement des infirmières) peuvent surveiller les personnes qui ont consommé des drogues afin de détecter des signes de surdose. Lorsqu’une surdose se produit, ils peuvent intervenir rapidement en fournissant de la naloxone ou de l’oxygène, selon les besoins. Comparativement aux SCS, les SPS ont une configuration physique plus simple3 parce qu’ils sont montés plus rapidement et sont censés être temporaires. Des SPS ont été intégrés dans des milieux de soins de santé et de services sociaux existants3 mais ont également été établis dans des endroits improvisés comme des roulottes ou des conteneurs d’expédition, ainsi que des tentes. Malgré ces différences, les SPS peuvent offrir plusieurs des mêmes services que les SCS afin de répondre aux autres méfaits éprouvés par les personnes qui utilisent des drogues. Cependant, comme il s’agit souvent d’une approche sans obstacle fondée sur le soutien des pairs, les SPS peuvent attirer davantage de personnes marginalisées qui utilisent des drogues dans ces services de réduction des méfaits.
Le premier SPS de l’Ontario s’est ouvert dans le quartier Moss Park du centre-ville de Toronto en août 2017. Initialement non approuvé et exploité intégralement par des bénévoles, ce site qui a vu le jour dans une tente avant d’emménager dans une roulotte sera bientôt relocalisé dans un espace intérieur proche à l’été 2018. Le SPS de Moss Park a recueilli des données anonymes auprès de toutes les personnes qui ont utilisé le site pour s’injecter sous supervision depuis le 19 août 2017. Au 31 mars 2018, le site avait reçu 6 600 visites, dont 32 % de la part de femmes.18 La majorité des clients (88 %) se sont injecté des opioïdes durant leur visite. Injecté lors de 54 % des visites, le fentanyl a été la drogue la plus populaire.18
Pendant cette période, les bénévoles du site sont intervenus lors de 201 surdoses, et aucun décès ne s’est produit. Sur les 184 surdoses pour lesquelles des données sont disponibles, 54 (29 %) ont été stoppées par de la naloxone, et 130 (71 %) ont été prises en charge à l’aide d’oxygène, de stimulation ou de surveillance.18 Bien que le nombre de surdoses mensuelles se soit resté relativement stable, la proportion de clients déclarant l’usage de fentanyl a augmenté énormément depuis l’ouverture du site (passant de 26 % en août 2017 à 79 % en mars 2018).18 À la mi-février 2018, le SPS de Moss Park avait distribué plus de 1 840 trousses de naloxone pour aider à prévenir les surdoses fatales dans la communauté plus large.19
Il existe de nombreuses ressources que les communautés et les organismes au Canada peuvent utiliser pour obtenir des conseils sur l’établissement et l’exploitation de SCS ou de SPS.
Soutien à la demande
Présenter une demande pour exploiter un site de consommation supervisée
Santé Canada, 2018
Centres de prévention des surdoses : guide d'utilisation à l'intention des demandeurs
Ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario, 2018
Guidance on Community Consultation and Engagement Related to Implementation of Supervised Consumption Service
Dr Peter Centre, 2017
Soutien à l’exploitation
Implementing Supervised Injection Services
Association des infirmières et infirmiers autorisés de l’Ontario, 2018
Supervised Consumption Services: Operational Guidance
BC Centre on Substance Use, 2017
Housing Overdose Prevention Site Manual
Vancouver Coastal Health, 2018
Overdose Prevention Site Manual
Vancouver Coastal Health, 2017
Overdose Prevention Site Manual
Fraser Health, 2017
A Public Health Guide to Developing a Community Overdose Response Plan
Centre for Addictions Research of BC, 2017
Références :
Camille Arkell est spécialiste en connaissances, Science biomédicale de la prévention chez CATIE. Elle détient une maîtrise de santé publique en promotion de la santé de l’Université de Toronto, et travaille en éducation et recherche sur le VIH depuis 2010.