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Le travail du sexe est lourdement stigmatisé et criminalisé dans de multiples pays. Pour de nombreuses personnes, il constitue toutefois un moyen fiable de gagner de l’argent et de subvenir à leurs besoins. Ceci inclut des personnes vivant avec le VIH, qui sont souvent confrontées à la discrimination dans l’emploi et le logement ainsi qu’au racisme, à la transphobie, à l’homophobie et à la stigmatisation de la consommation de drogues. Comment le droit affecte-t-il les travailleur·euse·s du sexe au Canada? Comment peut-on les soutenir?

Elene Lam explique.

Que dit le droit canadien à propos du travail du sexe?

La Cour suprême du Canada a statué en décembre 2013, dans l’affaire Bedford c. Canada, que les infractions stipulées dans le Code criminel visant le travail du sexe étaient inconstitutionnelles. La Cour a déclaré, dans ce jugement, que ces dispositions contribuaient à la violence contre les travailleur·euse·s du sexe et étaient une atteinte aux droits de la personne. Cependant, le gouvernement fédéral a adopté en 2014 la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation (LPCPVE), qui a annulé cette avancée.

Le gouvernement canadien et des groupes opposés au travail du sexe font la promotion de la LPCPVE comme étant un modèle pour « contrer la demande ». Cette approche est parfois appelée « modèle nordique », car elle a d’abord été adoptée en Suède, en Norvège et en Islande. La LPCPVE tente d’éradiquer le travail du sexe en rendant illégal l’achat de services sexuels, pour mettre fin à la demande. Cependant, elle crée des infractions liées au travail du sexe qui ne s’appliquent pas seulement à la clientèle, car elle rend illégales presque toutes les activités liées au travail du sexe. Ainsi, elle criminalise les activités des travailleur·euse·s du sexe et des tiers (ce qui peut inclure les gérant·e·s et les chauffeur·se·s ainsi que les ami·e·s et membres de la famille qui fournissent d’autres types de soutien).

La LPCPVE rend illégales la publicité du travail du sexe, l’obtention d’avantages matériels de ce travail et l’organisation du travail du sexe d’autres personnes (ce que l’on appelle le « proxénétisme »). Elle criminalise également la communication en public à proximité d’une école, d’un terrain de jeu ou d’une garderie au sujet de l’achat ou de la vente de services sexuels. Dans tous les cas, cette loi considère le travail du sexe comme faisant partie d’une activité criminelle. Au lieu de reconnaître le travail du sexe comme un emploi légitime et utile, cette loi prétend que toutes les personnes qui l’exercent sont des victimes et que tou·te·s les client·e·s et les tiers sont des criminel·le·s.

Quel est l’effet de la criminalisation?

Les personnes qui militent contre le travail du sexe affirment que les lois visant à « contrer la demande » ne nuisent pas aux personnes qui pratiquent le travail du sexe, car elles se limitent à interdire l’achat de services sexuels. Cette affirmation est fausse. Il est impossible de criminaliser une partie sans affecter l’autre. En rendant illégal l’achat de services sexuels, ces lois créent une situation où les client·e·s doivent se faire plus discret·ète·s afin de ne pas être repéré·e·s. En conséquence, les client·e·s précipitent souvent la négociation et ne fournissent pas certains renseignements qui sont importants pour la sélection. Lorsque des tiers tels que les gérant·e·s, les agents de sécurité ou d’autres travailleur·euse·s du sexe sont également criminalisé·e·s, ils ou elles peuvent être poussé·e·s à travailler dans la clandestinité pour éviter d’être repéré·e·s par la police. Cela les empêche de fournir un cadre de travail plus sûr aux travailleur·euse·s du sexe. Dans l’ensemble, la criminalisation rend les conditions du travail du sexe injustes et dangereuses, et empêche les travailleur·euse·s du sexe de les améliorer.

Les partisan·e·s des lois visant à « contrer la demande » affirment que tout travail du sexe est une forme d’exploitation. Cela signifie que le travail du sexe est souvent considéré comme un trafic de personnes — et cela a attiré l’attention des forces de l’ordre sur l’industrie du sexe. Ainsi, de plus en plus de personnes impliquées dans le travail du sexe font l’objet d’une enquête ou sont inculpées en vertu des lois relatives au travail du sexe. Il peut s’agir de travailleur·euse·s du sexe qui fournissent des services à des tiers et qui aident d’autres travailleur·euse·s du sexe à créer des annonces, à fixer des prix, à se rendre à des rendez-vous et à en revenir ou à réserver des chambres d’hôtel. Les travailleur·euse·s du sexe migrant·e·s et les jeunes sont plus susceptibles de compter les un·e·s sur les autres pour mener à bien leur travail, ce qui les rend plus vulnérables à ces accusations. Les lois canadiennes sur l’immigration interdisent également aux migrant·e·s de travailler dans des industries liées au sexe — ce qui signifie que tout·e migrant·e qui pratique le travail du sexe ou joue un rôle de tiers peut être arrêté·e et expulsé·e.

En criminalisant le travail du sexe, le gouvernement empêche les travailleur·euse·s du sexe d’accéder à des conditions de travail plus sûres, au logement, aux soins de santé et aux services sociaux et juridiques. Il les empêche également de faire valoir leurs droits en matière de travail et d’améliorer leurs conditions de travail. En présentant le travail du sexe comme une activité nuisible à la société, la cri­minalisation alimente la stigmatisation et la discrimination à l’encontre des travailleur·euse·s du sexe et de leurs client·e·s. Elle entraîne également un excès de surveillance policière visant des établissements de travail du sexe et des commerces érotiques comme les salons de massage et les clubs de strip-tease. En conséquence, certains groupes opposés au travail du sexe préconisent à présent la fermeture des salons de massage asiatiques.

La criminalisation menace tou.te.s les travailleur·euse·s du sexe, dans tous les secteurs du commerce du sexe. Elle menace particulièrement les travailleur·euse·s du sexe de couleur, ceux et celles qui sont autochtones, qui consomment des drogues, qui sont trans, qui ont un faible revenu et sont sans abri, de même que les travailleur·euse·s du sexe qui ont un statut d’immigration précaire. Au Canada, la LPCPVE a un effet désastreux sur la vie et les moyens de subsistance des travailleur·euse·s du sexe. Elle les prive de droits de la personne fondamentaux, notamment du droit à l’autonomie corporelle et quant à leur activité sexuelle. Elle en fait des cibles de surveillance et de profilage racial. Les travailleur·euse·s du sexe sont confronté·e·s à la présence non désirée et non sollicitée de la police dans leur vie, ce qui entraîne une menace constante d’être arrêté·e·s, inculpé·e·s, détenu·e·s, expulsé·e·s, emprisonné·e·s et d’avoir un casier judiciaire. Même pour les travailleur·euse·s du sexe qui ne sont pas effectivement inculpé·e·s, arrêté·e·s ou déporté·e·s, l’attention de la police peut avoir d’autres effets : elle peut entraîner l’expulsion du lieu de travail et de vie, une violence ciblée de la part de voisin·e·s ou de partenaires, la dévalorisation en tant que membre de la communauté et une sous-estimation comme travailleur·euse qualifié·e. En définitive, la LPCPVE est une attaque contre l’autonomie juridique, financière et corporelle des travailleur·euse·s du sexe.

Que peut faire le Canada pour soutenir les droits des travailleur·euse·s du sexe?

Depuis nombre d’années, des groupes de défense des travailleur·euse·s du sexe font campagne pour une décriminalisation complète du travail du sexe. L’ONUSIDA, Amnistie internationale et l’Organisation mondiale de la Santé sont en faveur de la décriminalisation du travail du sexe. Ils ont reconnu que la décriminalisation crée des environnements de travail plus sûrs, contribue à protéger les droits des travailleur·euse·s, améliore leur accès aux services de santé et réduit leur vulnérabilité au VIH, à la violence, à l’exploitation, à la stigmatisation et à la discrimination.

Le Canada peut respecter les droits et la dignité des travailleur·euse·s du sexe en décriminalisant complètement le travail du sexe. Cela signifierait l’abrogation de toutes les infractions au Code criminel liées au travail du sexe, y compris en ce qui concerne les activités des travailleur·euse·s du sexe, des client·e·s et des tiers. Les lois sur l’immigration qui entravent le travail du sexe doivent également être abrogées, de même que toute autre forme d’oppression légale. En 2021, l’Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe (une alliance de groupes de défense des droits des travailleur·euse·s du sexe à travers le pays) a intenté une contestation constitutionnelle pour faire invalider les infractions pénales liées au travail du sexe.

Le travail du sexe est un travail. Ce n’est pas un trafic de personnes, ni un acte immoral, ni un acte de violence. Le travail du sexe est un travail utile et valable qui offre des possibilités économiques. La société canadienne devrait s’efforcer d’éliminer la discrimination à l’égard des travailleur·euse·s du sexe ainsi que toutes les formes d’oppression systémique, y compris la phobie des prostitué.e.s, la transphobie, la xénophobie, le racisme, le sexisme et le classisme.

Pour plus d’information sur le travail du sexe et le droit au Canada, consultez les sites Web suivants : Chez Stella et Butterfly (Asian and Migrant Sex Workers Support Network) où Elene Lam exerce en tant que directrice.