Exploration des facteurs contribuant à la survie prolongée des personnes sous multithérapie

Au Royaume-Uni, la professeure Caroline Sabin, Ph.D., de l'University College London a analysé diverses études menées auprès de personnes séropositives, ainsi que les moyens utilisés pour estimer l'espérance de vie. Lors d'une récente analyse, elle a confirmé les conclusions de nombreuses études menées dans les pays à revenu élevé, à savoir que la mortalité liée au sida a baissé de façon marquée parmi les patients sous multithérapie depuis 1996.

Facteurs non liés au VIH

Approfondissant son étude des données, la professeure Sabin a trouvé que des facteurs non liés au VIH pouvaient avoir un impact important sur la survie à l'époque actuelle, y compris les suivants :

  • tabagisme (augmentation significative des risques de maladies cardiovasculaires, de cancer et de diabète)
  • consommation excessive d'alcool
  • consommation de drogues

Des études ont révélé que ces facteurs étaient plus courants chez certaines personnes séropositives que chez les personnes séronégatives. De plus, il est possible que l'impact du tabagisme sur la survie soit tellement grand qu'il écourte davantage l'espérance de vie des patients sous multithérapie que le VIH lui-même.

L'étude par observation ART-CC s'est déroulée auprès de 70 000 participants séropositifs en Europe et en Amérique du Nord. Aux fins d'une analyse de données de santé, les chercheurs affiliés à l'ART-CC ont examiné l'espérance de vie et constaté que les patients sous multithérapie avaient une espérance de vie semblable à celle des personnes séronégatives dans les proportions suivantes :

  • 46 % des HARSAH
  • 42 % des hétérosexuels
  • 0 % des UDI

Effectuant leur analyse sous un autre angle, les chercheurs ont constaté la répartition suivante des participants courant le plus grand risque de mortalité :

  • 4 % des HARSAH
  • 14 % des hétérosexuels
  • 47 % des UDI

Lors d'une étude danoise ayant examiné les événements cliniques survenus entre 1995 et 2008, les chercheurs ont constaté que le nombre de décès non liés au sida avait baissé considérablement chez les personnes ne s'injectant pas de drogues, alors qu'il avait augmenté au cours de la même période chez les UDI.

Ces résultats confirment les effets graves de la consommation de drogues injectables — surdoses, accidents et exposition à des microbes susceptibles d'entraîner de graves conséquences, telles les infections bactériennes et virales causant l'hépatite et, en définitive, l'insuffisance hépatique et le cancer du foie.

La professeure Sabin souligne aussi les résultats d'une autre étude menée dans l'état d'Alabama. Lors de celle-ci, les patients qui ne se présentaient pas à des rendez-vous à la clinique pendant la première année d'une multithérapie « affichaient un taux de [mortalité] à long terme plus de deux fois plus élevé que les patients qui se présentaient à tous les rendez-vous fixés… »

Facteurs liés au VIH :

Diagnostic tardif

Des études menées au Brésil, en Europe occidentale et en Amérique du Nord laissent croire qu'un diagnostic posé lors d'un stade avancé de l'infection au VIH est un facteur de risque de mortalité. Ce risque se produit parce que l'organisme et le système immunitaire se sont déjà gravement affaiblis.

Objectif : 500 cellules CD4+

Lors d'une étude européenne appelée COHERE, menée auprès de plus de 80 000 participants séropositifs, les chercheurs ont constaté que le risque de mortalité chutait spectaculairement chez les hommes dont le compte de CD4+ montait à 500 cellules après l'introduction d'une multithérapie, de sorte qu'il approchait le niveau de risque observé chez les hommes séronégatifs. Toutefois, les femmes n'ont pas connu les mêmes résultats, même si elles parvenaient à maintenir un compte de CD4+ de 500 cellules ou plus pendant plus de cinq ans. Parmi les raisons possibles de cette différence, mentionnons que les femmes séropositives sont plus susceptibles que les femmes séronégatives de fumer du tabac et d'avoir des antécédents de consommation de drogues injectables.

Lorsque les chercheurs ont porté leur analyse de la survie sur les femmes qui n'étaient pas des UDI, la survie après trois ans de maintien d'un compte de CD4+ de 500 cellules ou plus ressemblait davantage à celle des femmes séronégatives.

Parmi les UDI qui ont vu leur compte de CD4+ atteindre la barre des 500 cellules, le taux de mortalité était plus élevé que celui des non-UDI séronégatifs et ce, « même après avoir maintenu un compte de CD4+ [d'au moins 500 cellules] pendant cinq ans », ont signalé les chercheurs de l'étude COHERE.

L'équipe COHERE a exploré la survie des personnes plus âgées sous multithérapie. Chez les patients âgés de 60 ans ou plus qui avaient un compte de CD4+ d'au moins 500 cellules, le risque de mortalité des hommes et des femmes se comparait à celui des personnes séronégatives. Selon les chercheurs, ce résultat était attribuable à au moins les deux facteurs suivants :

  • les UDI sont moins nombreux parmi les personnes séropositives âgées
  • le risque de mortalité augmente chez les personnes séronégatives de ce groupe d'âge

Les quartiers seraient-ils un facteur?

Une étude menée en Colombie-Britannique a permis de constater des différences entre les taux de mortalité des personnes séropositives selon le quartier où elles vivaient. Les chercheurs ont comparé un quartier comptant une concentration relativement élevée de personnes s'injectant des drogues à un autre quartier habité par un nombre relativement élevé d'hommes gais. « Nous avons constaté des différences importantes entre les patients des deux quartiers pour toutes les variables socioéconomiques. Les patients dans le quartier comptant une concentration élevée de personnes s'injectant des drogues étaient plus susceptibles d'être des femmes, de s'être injecté des drogues, d'avoir un médecin ayant moins d'expérience en matière de VIH et de suivre moins fidèlement leur traitement, » ont souligné les chercheurs. De plus, même parmi les personnes sous multithérapie, le risque de mortalité des UDI dans ce quartier était trois fois plus élevé que celui des hommes gais sous multithérapie habitant un autre quartier.

Faire les comparaisons pertinentes

Peu importe le statut VIH, les différences de survie selon le quartier peuvent varier d'une ville à l'autre, d'une région à l'autre ou même au sein d'un pays. Par exemple, la professeure Sabin a affirmé que l'espérance de vie masculine à la naissance entre les années 2007 et 2009 se situait à 84 ans environ dans certains secteurs de Londres, comparativement à 73 ans chez les hommes vivant dans certains quartiers de Glasgow. Selon la chercheuse, cette différence et d'autres entre l'espérance de vie des personnes séronégatives s'expliquent par « des différences entre les caractéristiques des personnes vivant dans différentes régions, particulièrement la situation socioéconomique, les facteurs de mode de vie et les facteurs alimentaires ». Alors, soutient-elle, avant de comparer l'ensemble des personnes séronégatives et séropositives, il est sans doute utile de comparer chaque personne séropositive à une personne séronégative présentant des « caractéristiques de mode de vie et de comportement » semblables afin que l'on puisse estimer l'espérance de vie de façon plus précise.

Lors d'une étude menée il y a plusieurs années aux États-Unis qui a comparé des personnes séropositives et séronégatives, les chercheurs ont constaté que l'espérance de vie de la personne séronégative moyenne était de 76 ans environ. Lorsque les chercheurs ont recalculé l'espérance de vie en comparant des personnes séronégatives ayant des comportements et des caractéristiques semblables à ceux de leur population séropositive, l'espérance de vie moyenne de ce groupe de personnes séronégatives a baissé jusqu'à 68 ans. L'ajustement des estimations de l'espérance de vie — compte tenu de facteurs comme la consommation d'alcool, le tabagisme, la consommation de drogues, les conséquences des infections transmissibles sexuellement (ITS) — est un point important qu'il faut prendre en considération. Lorsque les chercheurs américains ont tenu compte de ces facteurs afin d'estimer l'espérance de vie de leur population séropositive, ils en sont arrivés au chiffre de 56 ans environ.

Prolonger l'espérance de vie des personnes séropositives

Les études dont nous rendons compte dans ce numéro de TraitementSida laissent croire qu'il reste beaucoup de travail à faire pour améliorer l'espérance de vie des populations clés touchées par le VIH. Les interventions en question devront être axées sur les soins et le traitement de problèmes dont la plupart ne sont pas liés au VIH, comme les suivants, entre autres :

  • dépistage de l'anxiété, de la dépression, du trouble de stress post-traumatique et de la schizophrénie
  • traitement des dépendances et de la consommation de drogues/alcool
  • parmi les personnes co-infectées par l'hépatite B ou l'hépatite C, il est particulièrement important de réduire la consommation d'alcool pour préserver la santé du foie
  • aides et soutien à la cessation du tabagisme
  • maintien d'un poids santé
  • suivi et soutien à l'observance thérapeutique
  • dépistage et traitement du VHC et d'autres co-infections
  • dépistage, prévention et traitement des maladies cardiovasculaires et rénales et le diabète
  • vaccinations contre les infections courantes
  • dépistage régulier et traitement du cancer
  • dépistage et traitement des ITS et vaccination contre l'hépatite A et l'hépatite B et le virus du papillome humain (VPH)

Tant et aussi longtemps que ces mesures ne seront pas chose courante partout en Amérique du Nord pour tous les groupes durement touchés par le VIH, les différences de survie entre les populations mentionnées dans ces études et d'autres persisteront.

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

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