Réduire le risque d’anomalies du tube neural associé au dolutégravir

Le dolutégravir appartient à une classe de médicaments anti-VIH appelés inhibiteurs de l’intégrase. Au Canada et dans les autres pays à revenu élevé, le dolutégravir est vendu dans diverses formulations sous les noms de marque suivants :

  • Tivicay : dolutégravir seul
  • Dovato : dolutégravir + 3TC
  • Juluca : dolutégravir + rilpivirine
  • Triumeq : dolutégravir + 3TC + abacavir

Une alerte précoce provenant du Botswana

Depuis approximativement 2014, le Botswana, pays d’Afrique australe, recueille des données sur les issues des grossesses chez les femmes séropositives. Cette collecte de données avait pour objectif principal d’assurer que le médicament anti-VIH éfavirenz (Sustiva et dans Atripla) était sans danger pour le fœtus lorsqu’il était utilisé au moment de la conception.

En 2016, le Botswana a commencé à délaisser les régimes à base d’éfavirenz pour le traitement initial du VIH en faveur du TAR à base de dolutégravir. Par conséquent, le pays a commencé à accumuler des données sur l’innocuité du dolutégravir lorsque ce dernier est pris lors de la conception ou plus tard dans la grossesse.

Grâce à ces données, les chercheurs botswanais ont découvert « un signal précoce potentiel » d’un genre d’anomalie congénitale appelée anomalie du tube neural. Ce signal précoce potentiel se rapportait à quatre bébés nés de 426 mères séropositives qui avaient pris du dolutégravir au moment de la conception. Par la suite, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et les agences de réglementation du Canada et d’autres pays ont diffusé des mises en garde et des recommandations concernant l’utilisation du dolutégravir chez les femmes enceintes ou risquant de le devenir.

Il est important de se rappeler que les chercheurs botswanais ont découvert « un signal précoce potentiel ». Les mises en garde et recommandations diffusées par la suite avaient pour objectif de réduire la possibilité de méfaits pour le fœtus jusqu’à ce que d’autres données soient recueillies et analysées. Notons que les études menées sur des animaux avant l’homologation du dolutégravir n’avaient découvert aucune association avec un risque accru d’anomalies du tube neural.

Une analyse mise à jour

Les chercheurs botswanais ont passé en revue les données portant sur la santé de 119 033 bébés nés de mères séropositives entre le 15 août 2014 et le 31 mars 2019. Ils ont constaté un total de 98 anomalies du tube neural (0,08 % des naissances). Voici la répartition des anomalies en question en fonction des médicaments utilisés au moment de la conception :

  • TAR à base de dolutégravir : 0,30 % (cinq anomalies du tube neural sur 1 683 bébés)
  • ensemble des TAR excluant le dolutégravir : 0,10 % (15 anomalies du tube neural sur 14 792 bébés)
  • TAR à base d’éfavirenz : 0,04 % (trois anomalies du tube neural sur 7 959 bébés)

Parmi les quelque 90 000 bébés nés de mères séronégatives durant la période en question, 70 avaient des anomalies du tube neural (0,08 %).

Toutes les anomalies congénitales associées au dolutégravir se sont produites avant mai 2018, sauf une. Ce point est important à noter parce que ce fut durant ce mois que les chercheurs ont pris conscience du lien potentiel entre la prise du dolutégravir au moment de la conception et les anomalies du tube neural.

Entre mai 2018 et mars 2019, une autre anomalie du tube neural a été décelée chez le bébé d’une femme qui avait pris du dolutégravir au moment de la conception. Cela correspondait à une proportion de 0,08 % (un bébé sur 1 257).

Tendances

Selon Rebecca Zash, M.D., qui a présenté les résultats obtenus au Botswana, le nombre d’anomalies du tube neural associées au dolutégravir a commencé à chuter au cours de l’étude. L’association initiale entre le dolutégravir et des anomalies congénitales potentielles était totalement inattendue. La baisse du taux d’anomalies du tube neural qui s’est produite subséquemment durant l’étude était tout autant inattendue et s’est produite avant que l’OMS et les agences de réglementation aient diffusé leurs mises en garde et recommandations. De plus, la Dre Zash et ses collègues ont affirmé que le nombre de naissances « parmi les femmes qui utilisaient le dolutégravir lors de la conception a continué d’augmenter après mai 2018… »

Pourquoi cette association potentielle?

Les chercheurs, les agences de réglementation et ViiV Healthcare, fabricant du dolutégravir, ne s’étaient jamais attendus à constater un risque potentiellement accru d’anomalies congénitales de quelque sorte que ce soit associé à l’utilisation du dolutégravir lors de la conception. Ainsi, ils ne sont pas certains pourquoi le risque d’anomalies du tube neural s’est produit initialement et pourquoi ce risque semble être en train de diminuer maintenant au Botswana. De plus, notons que l’augmentation du risque a été signalée au Botswana seulement, et non au Brésil, au Cameroun, en Afrique du Sud, au Canada, en France ou dans d’autres pays à revenu élevé. À ce propos, on pourrait argumenter que la documentation des expositions au dolutégravir et la surveillance des anomalies congénitales possibles chez les bébés n’ont été effectuées dans ces autres pays que dans le cadre d’études où le nombre d’utilisatrices enceintes du dolutégravir était relativement faible par rapport à l’étude botswanaise.

Les chercheurs botswanais ont avancé au moins deux théories pour expliquer le lien éventuel entre le dolutégravir et les anomalies du tube neural :

  • Un faible taux de la vitamine B folate dans le régime alimentaire des femmes (notons que la forme synthétique de cette vitamine s’appelle l’acide folique). Une carence en folate est associée depuis longtemps à un risque accru d’anomalies du tube neural dans les études menées, dans des pays autres que le Botswana, auprès de femmes séronégatives enceintes. Pour réduire ce risque, certains pays enrichissent la farine d’acide folique, mais le Botswana ne le fait pas. Il est plausible qu’un taux élevé de dolutégravir était présent chez certaines femmes au moment de la conception, ce qui aurait pu empêcher l’accès du fœtus au folate et augmenter subséquemment le risque d’anomalies congénitales. Notons cependant que cette théorie n’est étayée par aucune donnée probante à l’heure actuelle.
  • Il est possible que certaines femmes botswanaises soient porteuses de gènes qui augmentent le risque d’anomalies du tube neural lorsque le dolutégravir est présent lors de la conception. Ici encore, il n’existe pas de données solides à l’appui de cette hypothèse.

À retenir

Les chercheurs botswanais ont conçu et mené une étude par observation. Les études de ce genre ne peuvent pas prouver de lien de « cause à effet »; autrement dit, une telle étude ne peut pas prouver que le dolutégravir a causé des anomalies du tube neural. Les chercheurs botswanais ont pris en compte des facteurs qui auraient pu avoir un impact sur le risque d’anomalies du tube neural, comme les suivants :

  • diabète
  • prise de médicaments anticonvulsivants
  • prise de l’antibiotique Bactrim/Septra (triméthoprime-sulfaméthoxazole)
  • obésité

Aucun de ces facteurs n’était toutefois présent chez les mères qui utilisaient le dolutégravir lors de la conception et qui ont accouché subséquemment de bébés atteints d’anomalies congénitales.

Mise en contexte

Les chercheurs botswanais ont fait la déclaration suivante au sujet de leurs résultats :

« Les données… laissent soupçonner une association potentielle entre l’exposition au dolutégravir lors de la conception et l’apparition d’anomalies du tube neural. Même si la prévalence d’anomalies du tube neural était trois fois plus élevée avec le dolutégravir qu’avec le [TAR] non fondé sur le dolutégravir, il s’agissait seulement de près de deux anomalies sur 1 000 [naissances]. »

Dans un éditorial publié dans le New England Journal of Medicine, les spécialistes des maladies infectieuses Diane Havlir, M.D., et Meg Doherty, M.D., ont affirmé que les données sur le dolutégravir provenant du Botswana ne devraient pas « exclure son utilisation chez les femmes en âge de procréer ». Soulignant cependant la nécessité d’autres données, les auteures ont stipulé spécifiquement que la tenue « d’études de pharmacovigilance à grande échelle sur les issues des grossesses dans davantage de pays est la seule manière de déterminer le risque réel d’anomalies du tube neural et d’autres issues indésirables de la grossesse ».

Les données botswanaises indiquent également que l’éfavirenz utilisé au moment de la conception n’était pas lié à un risque accru d’anomalies congénitales. Les régimes à base d’éfavirenz étaient couramment utilisés autrefois dans les pays à revenu élevé. Cependant, l’utilisation de l’éfavirenz a été associée à un risque d’effets secondaires neuropsychiatriques et, chez une faible proportion de personnes (environ 1 %), à un risque accru de pensées et de tentatives suicidaires.

Au Canada et dans d’autres pays à revenu élevé, la prochaine étape pour les agences de réglementation consistera à mettre à jour les recommandations diffusées en 2018 au sujet de l’utilisation de dolutégravir lors de la conception et pendant la grossesse. En l’absence de telles recommandations, il est probable que les médecins continueront à utiliser les régimes qu’ils ont déjà prescrits à des femmes séropositives enceintes, notamment le darunavir potentialisé par le ritonavir ou la formulation plus ancienne du raltégravir en deux prises quotidiennes (Isentress). Ces régimes n’ont pas été associés à un risque accru d’anomalies du tube neural.

Ressource :

Nouvelles CATIE: Les agences de santé recommandent la prudence lorsque le dolutégravir est utilisé par les femmes séropositives enceintes

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

  1. Zash R, Holmes L, Diseko D, et al. Neural tube defects by antiretroviral and HIV exposure in the Tsepamo Study, Botswana. In: Proceedings and abstracts of the 10th IAS Conference on Science, 21–24 July 2019. Mexico City, Mexico. Abstract MOAX0105LB.
  2. Pereira G, Kim A, Jalil E, et al. No occurrences of neural tube defects among 382 women on dolutegravir at pregnancy conception in Brazil. In: Proceedings and abstracts of the 10th IAS Conference on Science, 21–24 July 2019. Mexico City, Mexico. Abstract MOAX0104LB.
  3. Zash R, Holmes L, Diseko M, et al. Neural-tube defects and antiretroviral treatment regimens in Botswana. New England Journal of Medicine. 2019 Aug 29;381(9):827-840.
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  5. Havlir DV, Doherty MC. Global HIV treatment – turning headwinds into tailwinds. New England Journal of Medicine. 2019 Aug 29;381(9):873-874.
  6. Money D, Lee T, O’Brien C, et al. Congenital anomalies following antenatal exposure to dolutegravir: a Canadian surveillance study. British Journal of Obstetrics and Gynaecology. 2019; en voie d’impression.
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