Qu’est-ce qui réduit la survie 10 ans après l’amorce du TAR en Amérique du Nord et en Europe?

En 1996, la thérapie antirétrovirale hautement efficace (autrefois appelée HAART, mais simplement traitement antirétroviral ou TAR de nos jours) est devenue largement accessible en Amérique du Nord et en Europe. Pour la première fois depuis le début de l’épidémie du sida, le système immunitaire des personnes séropositives s’est mis à se renforcer et les taux de mortalité ont commencé à chuter.

Il est important de découvrir ce qui est arrivé aux personnes qui ont commencé le TAR lors de son émergence, car ces personnes ont reçu initialement des médicaments qui seraient considérés comme moins efficaces et moins tolérables que les options recommandées pour le traitement initial du VIH en 2016.

Des chercheurs au Canada (Colombie-Britannique et sud de l’Alberta), aux États-Unis et en Europe occidentale ont réuni des données de santé se rapportant à près de 13 000 personnes séropositives qui avaient commencé le TAR entre 1996 et 1999. Les participants figurant dans cette analyse étaient encore en vie 10 ans après avoir commencé le TAR.

Dix ans plus tard

Les chercheurs ont découvert que 5 % des participants étaient décédés 10 ans ou plus après avoir commencé le TAR. Par ordre décroissant d’importance, les causes de décès les plus fréquentes ont été des cancers non liés au sida, le sida, des maladies cardiovasculaires et des maladies hépatiques. Les personnes âgées semblaient particulièrement susceptibles de mourir de causes cardiovasculaires. Les personnes qui s’injectaient des drogues couraient des risques accrus de mourir d’infections non liées au sida et de complications hépatiques. Les personnes qui sont mortes de causes liées au sida avaient tendance à avoir un faible compte de CD4+ et une charge virale détectable.

Détails de l’étude

Les chercheurs ont analysé les données des participants dans le cadre d’un projet appelé ART-CC. Les participants inscrits à cette étude avaient au moins 16 ans au moment de commencer le TAR et n’avaient jamais pris de médicaments anti-VIH auparavant.

Les participants ont commencé à prendre le TAR entre 1996 et 1999. Les chercheurs ont réuni des données jusqu’au 31 juillet 2013. La répartition des participants selon le sexe était la suivante : 79 % d’hommes et 21 % de femmes.

Résultats

En analysant les données recueillies auprès de 13 011 participants, les chercheurs ont constaté que 656 étaient décédés au moins 10 ans après avoir commencé le TAR. Les principaux facteurs associés à ces décès étaient les suivants :

  • âge avancé (60 ans et plus)
  • faible compte de CD4+ (moins de 100 cellules/mm3)
  • utilisation de drogues injectables
  • charge virale supérieure à 1 000 copies/ml
  • diagnostic de sida

Estimer le risque de mortalité

Dans les deux scénarios suivants, les chercheurs ont calculé le risque de décès sur cinq ans après une décennie de TAR pour les participants âgés de 40 à 49 ans :

  • Risque de décès de 2 % sur cinq ans : les participants qui ne s’injectaient pas de drogues et qui avaient un compte de CD4+ supérieur à 500 cellules/mm3 et une charge virale supprimée et qui n’avaient pas reçu de diagnostic de sida au cours de la décennie précédente.
  • Risque de décès de 48 % sur cinq ans : les participants qui s’injectaient des drogues et qui n’avaient pas de charge virale supprimée et qui avaient un compte de CD4+ de moins de 100 cellules et qui avaient fait l’objet d’un diagnostic de sida au cours de la première décennie sous TAR.

À titre de référence, les chercheurs ont utilisé l’espérance de vie de la personne séronégative moyenne vivant en France à la même époque. Ils ont utilisé des données françaises à titre de comparaison parce qu’une proportion importante des personnes séropositives figurant dans l’étude ART-CC vivaient en France. Notons que le risque de décès sur cinq ans pour la personne séronégative moyenne de France n’était que de 1 %.

Causes de décès

Il a été possible de déterminer la cause de décès spécifique en consultant les dossiers médicaux de 83 % des participants. Voici les causes de décès les plus fréquentes :

  • cancer non lié au sida (ou au foie)
  • sida
  • maladie cardiovasculaire
  • cause liée au foie

Selon les chercheurs, les taux de mortalité liés aux maladies cardiovasculaires étaient « considérablement plus élevés » chez les participants âgés de 60 ans et plus que parmi les personnes plus jeunes. Les causes de décès non liées au sida étaient également plus nombreuses parmi les personnes plus âgées.

Les personnes qui s’injectaient des drogues et qui sont mortes ont succombé à des infections non liées au sida et à des complications d’ordre hépatique. On a associé ces décès à un faible compte de CD4+ et à une charge virale détectable.

Points à retenir

Dans ce groupe de 13 011 participants dont 95 % ont survécu à leur première décennie de TAR, il est important de surveiller les tests de laboratoire liés au VIH, tels que le compte de CD4+ et la charge virale, parce que les mauvais résultats sont associés à une réduction de la survie.

Chez certaines populations de participants séropositifs, les taux de mortalité étaient considérablement élevés par rapport à ceux des personnes séronégatives du même âge.

Les chercheurs ont trouvé que l’âge avancé était « étroitement lié » à un risque accru de mourir, surtout de causes non liées au sida. Les chercheurs ont donc fait les déclarations suivantes :

  • Cette association avec l’âge « porte à croire que la prestation de soins préventifs et thérapeutiques aux patients [séropositifs] plus âgés sous traitement depuis de nombreuses années deviendra de plus en plus importante à mesure que le nombre de patients âgés de 60 ans [et plus] augmentera ».
  • « La cause de décès la plus fréquente a été les cancers non liés au sida, ce qui souligne la nécessité d’incorporer dans les soins de routine des mesures préventives et de dépistage adaptées aux patients séropositifs ayant survécu à un traitement à long terme par TAR. »

Selon les chercheurs, bien que les médicaments disponibles pour le traitement du VIH au milieu et à la fin des années 1990 aient sauvé des vies, ils étaient moins efficaces et relativement toxiques comparativement aux régimes utilisés aujourd’hui dans les pays à revenu élevé. Ainsi, d’après l’équipe, on peut s’attendre à ce que le risque de décès des « patients qui commencent aujourd’hui le TAR soit plus faible que ce que nous avons trouvé dans notre étude ».

Consommation de drogues et d’alcool

Les chercheurs de l’équipe ART-CC ont affirmé que les personnes qui s’injectent des drogues ont besoin de soutien pour maintenir et améliorer leur santé et leur survie. Au minimum, ce soutien inclurait un traitement de substitution aux opioïdes et un counseling, ainsi que le dépistage de maladies hépatiques comme l’infection par le virus de l’hépatite B ou C et le traitement de celles-ci lorsque cela est nécessaire.

Les chercheurs ont également souligné que la « mauvaise utilisation » de l’alcool pourrait être un autre facteur qui exerce un effet défavorable sur la santé de certaines personnes qui s’injectent des drogues.

Les chercheurs ont également affirmé que les fumeurs devraient se faire offrir une place dans les programmes de cessation du tabagisme.

Chose importante, les chercheurs ont essayé de souligner les moteurs des dépendances et de la consommation de drogues, faisant valoir que les personnes ayant de tels comportements « pourraient avoir besoin d’interventions pour contrer la dépression et la privation sociale ».

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCE :

Trickey A, May MT, Vehreschild J, et al. Cause-specific mortality in HIV-positive patients who survived ten years after starting antiretroviral therapy. PLoS One. 2016 Aug 15;11(8):e0160460.