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CATIE
  • La metformine, un composé présent dans le lilas d’Espagne, est utilisée depuis longtemps pour traiter le diabète
  • Des chercheurs canadiens ont étudié l’impact de la metformine chez des personnes vivant avec le VIH
  • L’étude a permis de constater des baisses modestes du poids et des indices de la réduction de l’inflammation

Les combinaisons de traitements anti-VIH (TAR) sont tellement puissantes que les chercheurs s’attendent de plus en plus à ce que de nombreux utilisateurs du TAR connaissent une espérance de vie quasi normale.

Il reste toutefois que le TAR n’est que partiellement capable de réparer les lésions immunologiques causées par l’infection au VIH chronique. Les chercheurs trouvent en effet que, malgré l’utilisation du TAR, les personnes séropositives éprouvent un problème d’activation et d’inflammation immunologiques excessives. La cause de ce problème n’est pas certaine, mais plusieurs facteurs pourraient jouer un rôle, y compris les suivants :

  • Il est possible que des cellules infectées par le VIH résiduelles se trouvant dans les profondeurs des ganglions lymphatiques, des organes lymphoïdes et le cerveau produisent des protéines qui continuent de stimuler et de nuire au système immunitaire.
  • Il est possible que la co-infection au CMV (cytomégalovirus), un membre de la famille des virus herpétiques, joue un rôle.
  • Des lésions intestinales se produisent tôt dans le cours de l’infection au VIH et ne guérissent pas, ce qui permet à des bactéries nuisibles de traverser les parois intestinales et d’entrer dans le sang. Ces bactéries hostiles perturbent le profil global des bactéries vivant dans l’organisme, de sorte qu’il favorise l’inflammation.

Système immunitaire

Largement distribuées dans divers organes et tissus de l’organisme, les cellules du système immunitaire patrouillent ce dernier à la recherche de microbes et de tumeurs. À mesure que les cellules se déplacent dans le corps, elles libèrent des signaux chimiques qui déclenchent l’inflammation. Il est donc plausible qu’un système immunitaire excessivement activé et enflammé transfère l’inflammation à des organes et à des tissus vitaux comme le cerveau, les os, le système cardiovasculaire, les reins, les poumons et d’autres. Il est probable que les taux élevés d’inflammation chronique contribuent à des maladies touchant ces organes et tissus, ce qui pourrait accélérer le vieillissement.

Les chercheurs étudient différentes interventions dans l’espoir de contrer l’activation et l’inflammation immunologiques excessives.

Au Canada

Une équipe de chercheurs de Montréal et d’Ottawa a mené une étude sur un vieux médicament appelé metformine qui est utilisé normalement pour réguler la glycémie chez les personnes atteintes de diabète. Or, des expériences menées sur des animaux et chez des personnes séronégatives laissent croire que la metformine pourrait accomplir infiniment plus. Les chercheurs ont mené une étude pilote de courte durée sur la metformine chez des personnes séropositives sous TAR qui n’avaient pas le diabète. Ils ont trouvé que les participants ont connu une perte de poids modeste au cours de l’étude et que l’équilibre bactérien dans les intestins est devenu anti-inflammatoire.

Du lilas d’Espagne à la metformine

Pendant plusieurs centaines d’années, des médecins européens ont prescrit le lilas d’Espagne pour soulager les mictions excessives qui accompagnaient ce que nous appelons maintenant le diabète de type 2, même s’ils ignoraient alors de quelle façon la plante agissait. À partir de la fin du 19e siècle, le médicament metformine fut synthétisé à plusieurs reprises en utilisant des composés présents dans le lilas d’Espagne, mais on l’a abandonné et oublié par la suite. Dans les années 1950, le médicament fut découvert à nouveau et a subséquemment fait preuve d’effets puissants chez les personnes souffrant de diabète de type 2. Il semble que la metformine possède une activité anti-inflammatoire générale, et, lors d’une autre étude pilote, elle aurait causé de légères améliorations dans le système immunitaire de personnes séropositives en réduisant l’activation excessive.

La metformine est largement utilisée de nos jours pour aider à réguler le diabète de type 2 chez les personnes séronégatives. Elle est généralement sans danger et bien tolérée lorsque des doses faibles sont utilisées.

L’étude canadienne

Encouragés par les effets potentiels de la metformine, des chercheurs de Montréal et d’Ottawa ont recruté des personnes séropositives non diabétiques afin d’évaluer l’impact du médicament sur le système immunitaire. Tous les participants avaient un faible rapport CD4/CD8, indice probable d’un système immunitaire relativement faible, ainsi qu’une charge virale supprimée depuis plusieurs années sous l’effet d’un TAR. Ils prenaient la metformine sous forme orale à raison de 800 mg deux fois par jour. On réduisait la dose à 500 mg deux fois par jour pour les participants recevant le dolutégravir dans le cadre de leur TAR, car il peut se produire une interaction entre ces deux médicaments.

Des échantillons de sang et de selles ont été prélevés au début de l’étude et de nouveau à la semaine 12 et à la semaine 24. Les participants ont pris de la metformine pendant 12 semaines.

Les participants avaient le profil moyen suivant :

  • 21 hommes et 2 femmes
  • âge : 56 ans
  • groupes ethnoraciaux : 15 personnes de race blanche et huit personnes d’ascendance africaine
  • compte de CD4+ : 435 cellules/mm3
  • compte de CD8+ : 729 cellules/mm3
  • rapport CD4/CD8 : 0,6 (un rapport normal se situe à 1,0 ou plus)
  • charge virale en VIH : moins de 50 copies/ml

Aucun participant n’a été traité par des antibiotiques durant l’étude, et personne n’a changé son régime anti-VIH.

Résultats

La metformine n’a pas eu d’effet sur les comptes de cellules CD4+ ou CD8+ ou sur le rapport CD4/CD8. Tous les participants ont maintenu une charge virale supprimée durant l’étude.

Poids

En moyenne, les participants ont perdu 1,6 kg durant la période où ils prenaient la metformine. Cette perte de poids s’est produite sans égard à l’âge, au sexe ou au genre de TAR utilisé. Cependant, trois mois après la discontinuation de la metformine, le poids des participants est revenu au niveau d’avant la prise de ce médicament. La metformine n’a pas causé de changement dans le tour de taille ou la glycémie.

Microbes intestinaux

La metformine a provoqué des changements complexes dans la population bactérienne des intestins. Dans l’ensemble, on a constaté un changement en faveur de bactéries anti-inflammatoires.

Inflammation

La CD14 soluble (CD14s) figure parmi les nombreuses protéines, ou marqueurs, se trouvant dans le sang que l’on utilise pour évaluer l’inflammation. Les taux de cette protéine augmentent en présence d’infections bactériennes et d’états inflammatoires. D’ordinaire, les taux de CD14s demeurent élevés durant l’infection au VIH malgré le recours au TAR. Durant cette étude, les taux de CD14s ont baissé modestement au début puis ont continué à diminuer après la cessation de la metformine.

Explications possibles

Les chercheurs ne sont pas certains pourquoi certaines personnes ont perdu du poids durant cette étude. Il est possible que la réduction de l’inflammation, attribuable éventuellement à l’équilibre plus favorable des bactéries, en soit la cause. Il se peut également que la metformine ait stimulé des cellules de sorte à produire une protéine nommée GDF-15 (facteur de différenciation de la croissance 15). Cette protéine a de nombreuses fonctions, notamment la régulation de l’appétit.

Quelles que soient les façons précises dont la metformine aurait entraîné des changements bénéfiques, il paraît que ce vieux médicament aura un rôle à jouer dans la recherche future sur le VIH. Les résultats de cette étude pilote devraient être considérés comme préliminaires et exploratoires. Une étude de plus grande envergure et de plus longue durée, idéalement avec contrôle contre placebo, sera nécessaire pour déterminer les effets à long terme de la metformine sur la santé des personnes séropositives n’ayant pas le diabète. Une telle étude future devrait explorer différentes doses de la metformine, y compris des doses plus faibles que celles utilisées dans la présente étude. Notons que durant les deux premières semaines de celle-ci, une personne a éprouvé des symptômes qui semblaient être des effets secondaires de la metformine, soit des crampes abdominales, des douleurs musculaires et des selles molles. Cette personne a dû quitter prématurément l’étude.

À retenir

Au cours des dernières années, des rapports ont émergé où il était question de personnes séropositives ayant connu une prise de poids après l’amorce d’un TAR contenant des inhibiteurs de l’intégrase. Il est possible que l’on mène des essais cliniques sur la metformine pour déterminer sa capacité d’atténuer les prises de poids indésirables chez cette population. Des essais cliniques seront nécessaires parce que, même si la metformine a depuis longtemps un profil d’innocuité généralement favorable (pour le traitement du diabète), son utilisation expérimentale chez des personnes séropositives non diabétiques nécessitera une surveillance clinique et en laboratoire afin de déterminer le risque d’effets secondaires.

—Sean R. Hosein

Ressource

Les problèmes de poids dans le contexte du VIHTraitementActualités 235

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