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La grande accessibilité des traitements du VIH puissants (TAR) a fait diminuer considérablement les taux de maladie et de décès liés au sida au Canada et dans les autres pays à revenu élevé. Le TAR est tellement puissant que les chercheurs prévoient de plus en plus que de nombreux utilisateurs du TAR auront une espérance de vie quasi normale.
Le VIH provoque de l’inflammation excessive et l’activation du système immunitaire; ces problèmes s’atténuent sous l’effet du TAR, mais ne sont pas éliminés. Comme de nombreuses cellules du système immunitaire sont dispersées un peu partout dans le corps, les problèmes qui nuisent au système immunitaire peuvent nuire à d’autres systèmes aussi, ainsi qu’aux organes. Pour cette raison, au cours des décennies, l’inflammation chronique et l’activation immunitaire risquent de compromettre la santé d’organes vitaux comme le cerveau, les os, le cœur, le foie et les reins, entre autres.
Des chercheurs de l’Université McGill à Montréal ont constaté que la stéatose hépatique (accumulation de graisse dans le foie) était en train de devenir un problème au sein de la population, et ce, sans égard au statut VIH des gens. Voici quelques informations au sujet de la stéatose hépatique provenant du National Institute of Diabetes and Digestive and Kidney Diseases (NIDDK) des États-Unis :
Stéatose hépatique non alcoolique
Cette affection est caractérisée par l’entreposage de graisse excessive dans le foie. Elle se subdivise en deux catégories :
Les chercheurs de l’Université McGill ont mené une petite étude exploratoire sur la SHNA auprès de 27 personnes vivant avec l’infection au VIH. Ils ont constaté que la prise de suppléments de vitamine E pendant 24 semaines consécutives pouvait réduire l’inflammation et la mortalité excessive des cellules du foie. Tous ces changements sont des indices de l’amélioration de la santé du foie. En général, la supplémentation en vitamine E s’est révélée sûre. Des études de plus grande envergure et de plus longue durée seront nécessaires pour confirmer les résultats prometteurs de cette étude.
Tous les participants suivaient un TAR et avaient une charge virale inférieure à 50 copies/ml depuis au moins six mois avant de s’inscrire à l’étude.
Les participants ne présentaient aucun des facteurs suivants qui peuvent causer des lésions hépatiques :
Les chercheurs ont évalué la santé hépatique à l’aide des mesures et tests suivants :
Ces tests et d’autres ont été effectués tout au long de l’étude.
L’étude a duré 72 semaines que les chercheurs ont divisées en trois segments de 24 semaines :
Durant la période de supplémentation en vitamine E, les résultats des trois évaluations de l’état du foie se sont améliorés. Voici quelques résultats obtenus par l’équipe de McGill à la fin de 24 semaines de supplémentation en vitamine E :
Comme nous l’avons mentionné plus tôt, toutes les mesures principales utilisées pour évaluer la santé du foie étaient non invasives et indirectes. Chez quatre participants, cependant, les médecins ont prélevé un minuscule fragment de tissu hépatique avant et après l’étude. L’analyse de ces échantillons de tissu a confirmé directement la résorption de la stéatose hépatique.
Onze personnes ont signalé des effets indésirables légers ou modérés au cours de l’étude. Comme cet essai n’incluait pas de groupe témoin traité par placebo ou d’autres interventions, les chercheurs ne pouvaient être certains de la cause des effets indésirables, qui étaient les suivants :
Lors d’une étude contrôlée contre placebo américaine menée auprès de personnes séronégatives atteintes de SHNA, on a constaté que la prise de 800 UI de vitamine E par jour pendant 96 semaines était efficace et généralement sûre (les effets indésirables ressemblaient à ceux éprouvés par les personnes recevant le placebo).
Les chercheurs montréalais s’attendent à voir les lésions du foie attribuables à la stéatose hépatique devenir un plus grand problème chez les personnes séronégatives au cours de la prochaine décennie. Le moteur de cette augmentation réside très probablement dans les tendances croissantes comme l’obésité et le surpoids, ainsi que le prédiabète et le diabète. Il est toutefois important de souligner que les personnes minces sont également sujettes à la stéatose hépatique et à la SHNA dans certaines situations. Dans les cas en question, nombre de facteurs jouent vraisemblablement un rôle, dont la génétique, l’activité physique insuffisante, la difficulté à maintenir une glycémie normale, une alimentation trop riche en sucre, les anomalies des hormones thyroïdiennes et d’autres problèmes hormonaux.
Selon les chercheurs de McGill et d’autres instituts, de nombreux facteurs pourraient contribuer au problème de la stéatose hépatique chez les personnes séropositives de nos jours, dont les suivants :
Il importe de souligner que les tendances qui s’observent dans la société plus large chez les personnes séronégatives, soit le surpoids, l’obésité et les problèmes de glycémie, touchent également les personnes séropositives.
À propos de ce dernier point, notons que l’expert en VIH et en métabolisme Giovanni Guaraldi, M.D., de l’Université de Modène en Italie a examiné les résultats de l’étude montréalaise et constaté que près de 80 % des participants étaient en surpoids ou obèses.
Le Dr Guaraldi a également souligné que les médicaments anti-VIH plus anciens comme ddI et d4T n’étaient plus utilisés dans les pays à revenu élevé. En revanche, les inhibiteurs de l’intégrase sont couramment utilisés de nos jours. Selon le Dr Guaraldi, deux essais cliniques ont trouvé une association entre l’inhibiteur de l’intégrase raltégravir (Isentress) et une réduction de la stéatose hépatique. Notons cependant que des inhibiteurs de l’intégrase plus fréquemment utilisés comme le bictégravir (ingrédient de Biktarvy) et le dolutégravir (ingrédient de Dovato, de Juluca et de Triumeq) n’ont pas été évalués formellement pour en déterminer l’impact sur la stéatose hépatique.
Durant l’étude montréalaise, 93 % des participants prenaient un inhibiteur de l’intégrase en combinaison avec deux analogues nucléosidiques. Cependant, comme la plupart d’entre eux vivaient avec leur diagnostic de VIH depuis environ 23 ans, il est probable qu’ils avaient utilisé des médicaments anti-VIH différents au fil des années. Nous ne savons pas à quel moment les participants ont commencé à souffrir de stéatose hépatique. Ces facteurs font en sorte qu’il est difficile de décrire avec certitude l’impact potentiel du TAR (ou des catégories spécifiques du TAR) sur l’apparition de la stéatose hépatique.
Le Dr Guaraldi envisage la vitamine E comme un « traitement de transition » (bridge therapy) que l’on peut utiliser éventuellement pour stabiliser la santé du foie chez certaines personnes séropositives atteintes de stéatose hépatique en attendant l’émergence d’un traitement plus efficace. Face à l’augmentation du risque de stéatose hépatique au sein de la population séronégative, les compagnies pharmaceutiques mettent à l’essai de nombreux composés pour le traitement éventuel de cette affection. Notons cependant que les essais cliniques de ces médicaments excluent les personnes séropositives parce que les compagnies souhaitent généralement mettre leur médicament sur le marché aussitôt que possible, et les personnes séronégatives constituent une population cible beaucoup plus nombreuse.
Avant d’envisager l’usage de médicaments expérimentaux pour le traitement de la stéatose hépatique chez les personnes séropositives, il faudrait commencer par mener des études bien conçues pour déterminer l’innocuité de ces médicaments, ainsi que le risque d’interactions médicamenteuses avec les régimes anti-VIH. Ainsi, selon les estimations des chercheurs montréalais, si les choses évoluent comme d’habitude, il pourrait s’écouler entre sept et 10 ans avant que ces médicaments soient mis à la disposition des personnes séropositives. L’équipe de Montréal envisage aussi la vitamine E comme une option utile pour les personnes séropositives atteintes de stéatose hépatique.
Le point que nous avons soulevé plus tôt à propos du surpoids et de l’obésité revêt une grande importance. Des chercheurs ont mené des études cliniques sur l’exercice physique (aussi simple que la marche) et la réduction de l’apport de calories et de glucides chez des personnes séronégatives souffrant de stéatose hépatique. Le Dr Guaraldi fait valoir que l’impact de telles études peut être considérable. À titre d’exemple, il affirme qu’« une réduction de seulement 7 % à 10 % du poids corporel donne lieu à la résorption de la SHNA dans 64 % à 90 % des cas », selon l’étude en question. De plus, selon le Dr Guaraldi, « on a prouvé que l’activité physique chez les personnes séronégatives atteintes de stéatose hépatique réduisait la mortalité toutes causes confondues [et en particulier] la mortalité associée aux maladies cardiovasculaires et au diabète ».
L’étude menée par les chercheurs de l’Université McGill sur la vitamine E est un excellent point de départ vers la découverte d’un moyen de venir en aide aux personnes séropositives souffrant de stéatose hépatique et de SHNA. Les chercheurs disposent maintenant de suffisamment de données pour soumettre une demande de financement pour mener un essai randomisé de plus grande envergure dont ils pourront tirer des conclusions solides à l’égard de l’efficacité et de l’innocuité de la vitamine E chez les personnes séropositives (Gaida Sebastiani, M.D., communiqué par écrit).
—Sean R. Hosein
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