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CATIE

La grande accessibilité des combinaisons de médicaments anti-VIH puissants (couramment appelées thérapies antirétrovirales ou TAR) a permis de réduire considérablement la mortalité due aux infections liées au sida au Canada et dans les autres pays à revenu élevé. La TAR est tellement bénéfique que les chercheurs s’attendent de plus en plus à ce que certains jeunes adultes qui commencent la thérapie peu de temps après avoir contracté le VIH vivent jusqu’à l’âge de 80 ans ou plus.

Historiquement, les scientifiques ont réalisé de nombreux travaux dans le but de comprendre l’impact de la TAR sur le VIH et le système immunitaire. Or, comme les personnes utilisant la TAR vivent plus longtemps de nos jours, il est important de réaliser aussi des recherches sur ce que les chercheurs appellent la qualité de vie liée à la santé (QVLS). Selon les chercheurs qui étudient la QVLS, ce concept englobe des sujets comme « le fonctionnement physique, cognitif, émotionnel et social ».

Évaluer la QVLS est utile pour comprendre le vécu des personnes atteintes du VIH, ce qui deviendra plus important à mesure que la population séropositive vieillira, ainsi que pour orienter la prestation des services de santé et sociaux.

Des chercheurs au Royaume-Uni ont entrepris des études lors desquelles ils recueillaient et comparaient des données de santé et des évaluations de la QVLS effectuées auprès de 3 151 personnes séropositives et 7 424 personnes séronégatives. Dans l’ensemble, l’équipe a constaté que la QVLS était inférieure chez les personnes séropositives. En particulier, les personnes ayant le VIH étaient plus susceptibles de signaler des sentiments d’anxiété et/ou de dépression. De plus, elles éprouvaient des sentiments d’anxiété et/ou de dépression plus intenses que les personnes séronégatives. Une réduction de la QVLS était plus susceptible de se produire chez les personnes dont le diagnostic de VIH remontait à plus d’une décennie. Chez les personnes séropositives, le vieillissement n’était pas lié à une baisse de la QVLS.

Cette étude figure probablement parmi les plus grandes recherches à avoir comparé la QVLS de personnes séropositives et de personnes séronégatives dans un contexte d’accès universel aux soins et au traitement à l’époque actuelle. Les résultats fournissent des indices quant aux problèmes qu’il faudra régler pour améliorer la santé globale et le bien-être des personnes vivant avec le VIH.

Détails de l’étude

Les chercheurs ont amassé des données recueillies lors des deux études suivantes :

Étude ASTRA (Antiretrovirals, Sexual Transmission Risk and Attitudes study : Étude sur les antirétroviraux, le risque de transmission sexuelle et les attitudes)

L’équipe de l’étude ASTRA a sondé environ 5 % des personnes ayant reçu un diagnostic de VIH au Royaume-Uni. Voici quelques faits saillants concernant les participants à l’étude ASTRA :

  • le sondage a été réalisé de 2011 jusqu’à la fin de 2012; des données additionnelles ont été extraites des dossiers médicaux des participants
  • les données se rapportant à 3 151 personnes séropositives ont été analysées
  • la plupart des participants étaient des hommes (81 %), principalement des hommes gais ou bisexuels
  • la moyenne d’âge était de 45 ans
  • la majorité des participants (75 %) suivait une TAR et avait une charge virale de moins de 50 copies/ml
  • 13 % des participants avaient la co-infection au virus de l’hépatite C (VHC)
  • environ 95 % des participants avaient plus de 200 cellules CD4+/mm3

Étude HSE (Health Survey for England : Sondage sur la santé pour l’Angleterre)

L’équipe de l’étude HSE a sondé des ménages anglais choisis au hasard en 2011; des infirmiers ont ensuite interrogé les participants pour recueillir des informations additionnelles omises par le sondage. Voici quelques faits saillants concernant les participants à l’étude HSE :

  • les données se rapportant à 7 424 participants ont été analysées
  • en moyenne, les participants avaient 50 ans et étaient séronégatifs; les femmes étaient plus nombreuses (56 %) que les hommes (44 %)
  • la vaste majorité des hommes s’identifiaient comme des hétérosexuels
  • aucune donnée concernant le statut hépatite C des participants n’était disponible

Les chercheurs ont utilisé un outil de sondage qui avait été bien validé auprès de différentes populations, y compris des personnes vivant avec le VIH.

Résultats — tabagisme

En général, les participants séropositifs étaient plus susceptibles de fumer du tabac (24 %) que les participants séronégatifs (19 %). Parmi les fumeurs, les participants séropositifs étaient plus susceptibles de fumer beaucoup (10 %) que les participants séronégatifs (4 %). Cette différence est significative du point de vue statistique, c’est-à-dire non attribuable au seul hasard. Notons que d’autres études ont également fait état de taux plus élevés de tabagisme parmi les personnes vivant avec le VIH.

Résultats — QVLS

Même si elles avaient en moyenne quatre ans de moins que les participants séronégatifs, les personnes séropositives ont obtenu en tant que groupe des scores plus faibles lors des évaluations de la QVLS, des problèmes spécifiques ayant été signalés dans les catégories suivantes :

  • mobilité
  • soins personnels
  • accomplissement des activités quotidiennes
  • douleur et/ou inconfort
  • anxiété et/ou dépression

Dans chacune des catégories mentionnées, les différences entre la QVLS des personnes séropositives et celle des personnes séronégatives étaient significatives du point de vue statistique.

Accent sur l’anxiété et la dépression

Les différences les plus frappantes entre la QVLS des deux populations ont émergé de la catégorie de l’anxiété et/ou de la dépression. Voici la répartition des participants selon différents aspects de la santé mentale :

Absence d’anxiété et/ou de dépression

  • personnes séropositives – 50 %
  • personnes séronégatives – 70 %

Un certain niveau d’anxiété et/ou de dépression

  • personnes séropositives – 40 %
  • personnes séronégatives – 10 %

Anxiété et/ou dépression grave

  • personnes séropositives – 10 %
  • personnes séronégatives – 3 %

Les chercheurs ont tenu compte de nombreux facteurs — tabagisme, niveau de scolarité, usage récent de drogues, diagnostic de VHC —qui auraient pu influencer la QVLS et accentuer les différences statistiques entre les deux populations. Malgré ces précautions, les différences entre la QVLS des personnes séropositives et des personnes séronégatives persistaient. Les différences se sont même maintenues lorsque les chercheurs ont retiré les hommes gais et bisexuels de leur analyse. Parmi les personnes séropositives, les résultats de l’étude demeuraient les mêmes, peu importe le compte de CD4+ ou la charge virale.

Facteurs additionnels

L’équipe de recherche a également constaté que les personnes séropositives présentant les facteurs suivants étaient plus susceptibles d’avoir une QVLS réduite, comparativement aux personnes séronégatives :

  • personnes de couleur
  • femmes (comparativement aux hommes hétérosexuels)

Changements au fil du temps

Lorsque les chercheurs ont vérifié l’année du diagnostic de VIH des participants en fonction de leur score QVLS, ils se sont aperçus d’une tendance claire : plus le moment de l’infection remontait dans le temps, plus la personne en question était susceptible d’avoir une faible QVLS à l’heure actuelle. Des analyses poussées ont révélé que ce phénomène n’était pas simplement attribuable à l’âge des participants. Autrement dit, on n’a trouvé aucun indice prouvant que la QVLS des personnes séropositives diminuait de façon plus importante avec l’âge que celle des personnes séronégatives. D’autres analyses seront nécessaires pour déterminer pourquoi certaines personnes séropositives diagnostiquées à l’époque d’avant la TAR ont aujourd’hui une QVLS pire que les personnes diagnostiquées à l’époque actuelle. Les chercheurs comptent évaluer les différences entre les participants n’ayant jamais eu de maladie liée au sida et ceux qui en ont eu afin de déterminer si cela a causé une différence quant à la QVLS.

Pourquoi ces différences?

Les analyses des études ASTRA et HSE dont il est question ici sont de nature transversale. Les analyses et les études conçues de cette manière sont comparables à une photo prise à un moment donné dans le temps. Lors de ce genre d’analyse, il est difficile de tirer des conclusions fermes concernant un éventuel lien de cause à effet. Il n’empêche qu’il est possible de mettre en contexte les résultats des études ASTRA et HSE, comme nous le faisons dans les paragraphes qui suivent.

Enjeux

Depuis l’apparition de la pandémie du sida, les problèmes de santé mentale et émotionnelle figurent parmi les préoccupations des personnes séropositives et séronégatives. Le médecin américain Richard Glass, qui a observé l’impact de l’arrivée de la pandémie, a laissé entendre que « l’intensité des réponses émotionnelles au sida serait due en partie à ses liens avec deux expériences figurant parmi les plus puissantes de la vie — le sexe et la mort ». Rappelons aussi qu’il n’existait aucun traitement efficace pendant les premières années de la pandémie du sida.

Cependant, comme on prévoit une espérance de vie quasi normale pour certaines personnes vivant avec le VIH suivant une TAR à l’époque actuelle, la peur d’une mort imminente ne devrait pas être répandue. Il pourrait donc y avoir d’autres raisons pour l’anxiété et la dépression observées lors de ces études chez certaines personnes séropositives vivant dans les pays à revenu élevé. L’équipe britannique a avancé les explications possibles suivantes de la réduction de la QVLS des participants à l’étude ASTRA :

  • vivre avec une maladie chronique
  • circonstances sociales
  • problèmes relationnels
  • préjugés et discrimination possibles
  • effets secondaires potentiels de médicaments spécifiques

Les chercheurs ont affirmé que, peu importe les causes sous-jacentes de l’anxiété et/ou de la dépression chez les personnes séropositives, leurs résultats soulignent la nécessité pour les médecins et infirmiers de dépister les problèmes de santé mentale et émotionnelle chez leurs patients et de leur proposer un traitement (ou une consultation auprès d’un spécialiste) si nécessaire.

La présente analyse fait aussi écho au résultat de plusieurs autres études, à savoir que la dépression et l’anxiété sont des problèmes auxquels les personnes séropositives font face dans plusieurs régions, même à l’époque actuelle. Les problèmes de santé non diagnostiqués, non traités ou mal gérés peuvent compromettre non seulement la QVLS, mais aussi l’aptitude des patients à suivre fidèlement la TAR et, dans certains cas, leur survie.

Les comparaisons fondées sur les études ASTRA et HSE ont donné des résultats importants. Ils révèlent la nécessité d’effectuer des évaluations de la QVLS dans le cadre d’autres études menées auprès de personnes séropositives afin qu’elles puissent profiter des bienfaits de la TAR et améliorer le plus possible leur qualité de vie liée à la santé.

Ressources

Le VIH et le bien-être émotionnel – Guide de CATIE sur les moyens pour les personnes vivant avec le VIH de cultiver leur bien-être émotionnel

Association canadienne pour la santé mentale

Santé mentale : Combattre les préjugés – Site Web du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec

Renforcer le cerveau vieillissantTraitementSida 203

Bon pour le cerveau — conseils des neuroscientifiquesTraitementSida 203

VIH et problèmes cérébrauxTraitementSida 204

Evidence-informed recommendations for rehabilitation with older adults living with HIV: a knowledge synthesis (en anglais seulement)

Sean R. Hosein

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