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CATIE

La grande accessibilité des combinaisons de puissants médicaments anti-VIH (couramment appelées thérapies antirétrovirales ou TAR) a permis d’améliorer la santé et les perspectives d’avenir de nombreuses personnes vivant avec le VIH au Canada et dans d’autres pays à revenu élevé. La TAR agit en ralentissant ou supprimant de façon très importante la production de VIH, ce qui permet à l’organisme de commencer à réparer le système immunitaire et à accroître le nombre de cellules T. La TAR ne réussit toutefois pas à restaurer complètement le système immunitaire, et les raisons de cette efficacité partielle continuent d’être évaluées.

Des chercheurs à Terre-Neuve et en Nouvelle-Écosse ont mené des études sur le système immunitaire dans l’espoir de comprendre l’impact du VIH et d’autres virus. Leurs résultats portent à croire que la co-infection au CMV (cytomégalovirus), un virus de la famille des herpès, pourrait être partiellement responsable du rétablissement incomplet du système immunitaire des patients sous TAR.

Nous fournissons de plus amples détails sur le CMV et les recherches émergentes à son sujet plus loin dans ce bulletin de Nouvelles CATIE.

Détails de l’étude

Dans le cadre de cette étude, les chercheurs ont recruté des participants séropositifs entre décembre 1995 et septembre 2013. Après avoir passé un dépistage du CMV (au moyen d'un test sanguin permettant de déceler la présence d'anticorps contre le virus), les participants ont été répartis comme suit :

  • séropositifs et co-infectés par le CMV – 97 hommes, 29 femmes
  • séropositifs seulement – 17 hommes, 10 femmes

En général, les participants étaient séropositifs depuis au moins 10 ans et avaient entre 40 et 53 ans.

Comprendre les comptes de cellules et le rapport entre celles-ci

Les changements persistants dans le nombre de cellules CD4+ et de CD8+ et le rapport entre ces deux types de cellules laissent soupçonner la présence d’anomalies dans le système immunitaire.

Chez les personnes séronégatives en bonne santé, le rapport entre les cellules CD4+ et les cellules CD8+ dans le sang est supérieur à 1 et près de 2 chez certaines personnes (limite supérieure de la plage normale).

Chez les adultes séropositifs non traités, le rapport entre les CD4+ et les CD8+ se situe habituellement à moins de 1. Ce rapport minime est attribuable à la présence d’un nombre relativement faible de cellules CD4+ et d’un nombre relativement élevé de cellules CD8+ dans le sang.

Les chercheurs savent que le rapport CD4/CD8 s’améliore chez les personnes séropositives lorsqu’elles suivent une TAR. Il est rare, toutefois, que ce rapport atteigne la limite supérieure de la plage normale, soit 2. Chez la majorité des patients sous TAR, le rapport demeure inférieur à 1, un phénomène qui fait soupçonner une dysfonction immunologique continue.

Problèmes immunologiques résiduels chez les personnes sous TAR

Selon la théorie de certains chercheurs, cette dysfonction immunologique serait attribuable à la faible production continue de VIH et/ou d’autres microbes. Bien que la TAR supprime très considérablement la réplication du VIH, la production de faibles quantités de virus se poursuit dans certaines régions du corps, tels les ganglions et tissus lymphatiques. Cette faible production de microbes pourrait causer une inflammation persistante et l’activation du système immunitaire, ce qui aurait pour effet de compromettre à long terme le fonctionnement de plusieurs des organes et systèmes importants de l’organisme. Les chercheurs tentent de trouver des moyens de freiner cette activation résiduelle du système immunitaire et d’améliorer ainsi la santé des personnes séropositives sous TAR.

Résultats

Les chercheurs canadiens ont constaté que, en tant que groupe, les personnes ayant le VIH mais pas le CMV avaient un compte de CD4+ moyen plus élevé, comme suit :

  • VIH seulement – 576 cellules/mm3
  • VIH et CMV – 509 cellules/mm3

Les chercheurs ont également trouvé que les personnes co-infectées par le CMV avaient un compte de CD8+ moyen plus élevé, soit :

  • VIH seulement – 702 cellules/mm3
  • VIH et CMV – 881 cellules/mm3

Les participants avaient un rapport CD4/CD8 supérieur à 1 dans les proportions suivantes :

  • VIH seulement – 55 %
  • VIH et CMV – 13 %

Toutes ces différences entre les comptes et les rapports cellulaires sont significatives du point de vue statistique, c’est-à-dire non attribuable au seul hasard.

Résultats — cellules vieillissantes

Les cellules CD8+ sont les principales combattantes des infections de l’organisme. Lors de la présente étude canadienne, les chercheurs ont découvert que, chez les personnes ayant le CMV dont la charge virale en VIH était inférieure à 50 copies/ml depuis un an, les cellules CD8+ étaient plus susceptibles d’exprimer à leur surface des protéines (comme la CD28 ou la CD57) révélatrices d’usure et de fin imminente de leur vie. Ce résultat laisse croire que la co-infection au CMV pourrait accélérer le vieillissement du système immunitaire.

Impact du CMV sur le système immunitaire

Aux fins de la présente étude, les chercheurs ont effectué des dépistages pour rechercher la présence d’anticorps anti-CMV mais n’ont pas mesuré la quantité de CMV dans le sang (charge virale). Ils ont choisi cette voie parce que les participants suivaient une TAR et avaient un compte de CD4+ élevé, ce qui laisse croire que la quantité de CMV présent dans leur sang aurait été relativement faible. N’empêche que le CMV, même en faible quantité, peut causer des problèmes immunologiques parce qu’il risque de provoquer des changements complexes et défavorables dans le système immunitaire et de perturber l’équilibre des différents types de cellules immunitaires.

À propos du CMV

Le cytomégalovirus est relativement courant chez les adultes. Selon nombre d’études, le virus serait présent chez 50 % à 90 % des adultes, sa prévalence étant probablement plus importante parmi les hommes séropositifs ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HARSAH). De façon générale, le CMV se propage par contact avec les liquides corporels d’une personne porteuse du virus. D’ordinaire, l’infection initiale est asymptomatique, puis le virus entre dans un état de latence chez la personne moyenne en bonne santé.

Cependant, chez les personnes au système immunitaire affaibli — tels les receveurs de greffes d’organes/tissus ou les personnes séropositives non traitées — le CMV peut se réactiver et causer de graves complications dont certaines sont potentiellement mortelles. À l’époque précédant l’introduction de la TAR, le CMV causait une complication appelée rétinite à CMV susceptible de causer la cécité, particulièrement chez les personnes ayant moins de 50 cellules CD4+ cellules/mm3. Cette complication est très rare de nos jours dans les pays à revenu élevé.

CMV — passé, présent et futur

Dans les premières années de l’épidémie du VIH, certains chercheurs avançaient la théorie selon laquelle la co-infection au CMV était partiellement responsable de certaines anomalies immunologiques décelées dans les tests sanguins et accélérait le déclin du système immunitaire et l’apparition du sida. Il est possible que le CMV ait provoqué certains de ces problèmes à cause de sa capacité à déclencher l’inflammation et à nuire au système immunitaire.

Des recherches récentes portent à croire que le CMV serait à l’origine du vieillissement accéléré du système immunitaire autant chez les personnes séronégatives que chez les personnes séropositives. Dans le cadre de la présente étude canadienne, les chercheurs ont constaté que les participants ayant une faible charge virale en VIH (moins de 50 copies/ml) et co-infectés par le CMV présentaient des anomalies de leur rapport CD4/CD8, et que leurs cellules CD8+ semblaient vieillir prématurément. Il est possible, dans ces cas, que la co-infection au CMV ait joué un rôle dans l’accélération du vieillissement du système immunitaire.

L’impact du CMV s’étend probablement à d’autres organes et systèmes aussi. Selon au moins une étude par observation menée auprès de personnes séronégatives âgées, la co-infection au CMV serait associée à un risque accru de démence. Les données émergentes laissent aussi croire que le CMV joue un rôle dans l’accélération de l'évolution des maladies cardiovasculaires. En effet, lors d’une étude, des chercheurs italiens ont constaté que la co-infection au CMV était liée à un risque accru de crise cardiaque et d’AVC chez des personnes vivant avec le VIH.

L’ensemble de ces résultats souligne la nécessité de poursuivre la recherche sur le CMV et de trouver des moyens d’en réduire l’impact potentiel sur la santé.

Dans notre prochain bulletin de Nouvelles CATIE, nous présenterons des données émergentes sur l’impact du CMV sur la santé cardiovasculaire des personnes vivant avec le VIH.

—Sean R. Hosein

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