Un programme expérimental innovant de logement de transition mis en place à Sudbury, en Ontario, fournit des services de soutien clinique et social intégrés sur place. Le programme englobe des soins de santé primaires, la prise en charge de l’usage de substances, des consultations en santé mentale et des services de réduction des méfaits. Une étude récente a porté sur l’expérience et les impressions des participant·e·s concernant le programme et les soins qui leur sont prodigués. Les observations mettent en lumière les recoupements complexes entre les besoins et les aspirations des participant·e·s qui passent de l’itinérance à un hébergement de transition. L’étude a permis d’établir qu’il est essentiel de répondre aux besoins existants par le biais de démarches globales de réduction des méfaits, fondées sur des données probantes et centrées sur la personne, visant à favoriser la stabilité et le bien-être à long terme.
Description du programme
En janvier 2022, Horizon Santé-Nord et la Ville du Grand Sudbury ont lancé un programme expérimental de logement de transition conçu pour répondre aux besoins complexes des personnes itinérantes confrontées à des problèmes de santé mentale et d’usage de substances. Le programme repose sur le principe du « Logement d’abord », qui consiste à intégrer des stratégies de réduction des méfaits à l’ensemble des systèmes de santé et d’aide sociale.
Le programme fournit un accès immédiat à un logement de transition assorti de services de santé et d’aide sociale exhaustifs sur place. Les services comprennent des soins de santé, la prise en charge de l’usage de substances, des services de santé mentale et une aide sociale plus générale visant à favoriser le bien-être et à améliorer les compétences liées à la vie courante. L’objectif du programme est d’aider les participant·e·s à acquérir les compétences nécessaires à l’accès à un logement permanent et indépendant. La démarche du « Logement d’abord » accorde la priorité à la satisfaction des besoins primaires des personnes itinérantes, non conditionnée par l’abstinence ou l’observance du traitement, ce qui contribue à réduire l’itinérance prolongée et la précarité du logement.
L’un des critères d’admissibilité du programme est une cote de vulnérabilité élevée d’après l’évaluation VI-SPDAT (Vulnerability Index-Service Prioritization Decision Assistance Tool [indice de vulnérabilité-outil d’aide aux prises de décisions en matière de priorisation des services]). Les participant·e·s éventuel·le·s doivent être inscrit·e·s sur la liste nominative de la Ville du Grand Sudbury, qui sert à prendre en charge l’itinérance, et passer un premier entretien visant à évaluer leur admissibilité au programme. Les participant·e·s doivent être âgé·e·s de 16 ans ou plus, être en situation d’itinérance chronique (depuis au moins six mois), désireux·ses d’obtenir un logement permanent, en mesure d’accomplir les activités de la vie quotidienne et de se déplacer de manière autonome. Les participant·e·s doivent présenter trois types de troubles avérés (physiques, mentaux et liés à l’usage de substances). Le programme, fondé sur la réduction des méfaits, accueille aussi les personnes qui utilisent activement des substances psychoactives. Les personnes qui nécessitent un soutien ou une surveillance 24 heures sur 24, qui ont des animaux domestiques ou des personnes à charge, ou qui ont commis une infraction criminelle de nature à leur interdire d’interagir avec des mineurs ne sont pas admissibles au programme.
Une fois accueilli·e·s dans le programme, les participant·e·s bénéficient d’un logement de transition pendant une période pouvant aller jusqu’à 18 mois. Chaque participant·e dispose d’une chambre individuelle avec salle de bain et d’un accès à une cuisine commune. Les participant·e·s sont pris·es en charge par une équipe pluridisciplinaire composée d’infirmier·ères, de spécialistes de l’usage de substances, de travailleur·se·s sociaux·les, de médecins de premier recours et de psychiatres qui fournissent sur place et de manière collaborative des soins globaux répondant à leurs besoins médicaux et psychosociaux. Le programme permet aux participant·e·s de surmonter les obstacles personnels en leur rendant accessibles des services essentiels (p. ex. banques alimentaires, rendez-vous chez le dentiste ou le psychiatre, prise en charge de l’usage de substances, assistance juridique, formation professionnelle). La démarche globale vise à améliorer le bien-être et à préparer les résident·e·s à une vie autonome au moyen de soins spécialisés et du développement de compétences adaptées sur une base individuelle à différents stades de stabilité quant à l’usage de substances.
Résultats
Entre juin et août 2023, 12 résident·e·s inscrit·e·s au programme de logement de transition ont participé à des entretiens semi-structurés. L’objectif de cette étude qualitative était d’analyser et de comprendre l’expérience des participant·e·s au programme de logement de transition et de recueillir leurs avis sur la manière d’adapter et d’améliorer le programme. Sur les 12 participant·e·s :
- environ 35 % se sont identifié·e·s comme des femmes;
- environ 50 % se sont identifié·e·s comme des Autochtones;
- l’âge moyen des participant·e·s était de 30 ans;
- la durée moyenne de la période passée sans logement au cours de l’année écoulée était de 10 mois.
Les participant·e·s ont défini les principaux facteurs à analyser, classés par thèmes par l’équipe de recherche. La hiérarchie des besoins de Maslow a orienté la recherche; celle-ci part du principe que les personnes concernées sont portées à hiérarchiser et à satisfaire leurs besoins dans un ordre particulier, en commençant par les besoins physiologiques, suivis des besoins de sécurité, d’amour et d’appartenance, d’estime et d’accomplissement de soi.
Besoins physiologiques
Les participant·e·s ont insisté sur l’importance de la satisfaction de leurs besoins fondamentaux (p. ex. un logement stable), dont dépend le sentiment de stabilité et de sécurité dans leur vie. Une fois leurs besoins fondamentaux satisfaits, les participant·e·s peuvent se concentrer sur d’autres enjeux, tels que les problèmes de santé mentale et d’usage de substances et la recherche d’un logement permanent. Pour de nombreux participant·e·s, il était difficile de satisfaire leurs besoins nutritionnels essentiels en raison de contraintes financières et de difficultés d’accès à des ressources indispensables, telles que les banques alimentaires.
« Voilà pourquoi je suis heureux d’avoir un toit au-dessus de ma tête. Cela me permet d’aller de l’avant, d’être meilleur, de me sentir plus en confiance et de faire ce que j’ai à faire. »
Sûreté et sécurité
Les participant·e·s ont indiqué que l’accès commode et peu contraignant aux médicaments (en particulier au traitement par agoniste opioïde) dans le cadre du programme contribuait grandement à la qualité de leur expérience et à leur sentiment de sécurité et de stabilité. Les participant·e·s ont indiqué que le fait d’être accompagné·e·s dans la gestion de leur pharmacothérapie les a aidé·e·s à observer leurs schémas thérapeutiques. Pour certains participant·e·s, il a été difficile de trouver avec le personnel un juste milieu entre la nécessité des restrictions répondant à un souci de sécurité et l’importance du respect de l’autonomie des participant·e·s et de l’aide en matière de pratiques de réduction des méfaits. Dans la mesure où les vols ont persisté alors que les participant·e·s étaient logé·e·s, de nombreuses personnes ont également insisté sur l’importance de la sécurité et d’un accompagnement soutenu visant à répondre à leurs préoccupations en cette matière pendant qu’ils s’adaptaient à leurs nouvelles conditions de vie. Avec le concours du personnel, les participant·e·s ont pu expliquer quelles étaient leurs attentes en matière de sécurité et quelles règles étaient raisonnables et applicables en vue de concilier la liberté personnelle, d’une part, et la sûreté et la sécurité, de l’autre.
« Pour moi, c’est bien de ne pas avoir à aller au centre-ville pour me procurer ma boisson [méthadone]. Je suis content de ne pas avoir à aller au centre-ville, et je fais mes prélèvements ici aussi. »
Amour et sentiment d’appartenance
Les participant·e·s ont attaché de l’importance au sentiment de communauté et d’appartenance que le personnel et les résident·e·s ont su créer dans le cadre du programme. Ils·elles ont déclaré qu’ils·elles se sentaient accepté·e·s et soutenu·e·s et ont indiqué qu’il était important de mettre en place des politiques inclusives et centrées sur la personne en matière de visites des proches et d’aides sociales. Certain·e·s participant·e·s ont exprimé le souhait de nouer des liens plus étroits avec leurs proches à l’occasion des visites et ont plaidé en faveur d’une plus grande flexibilité des conditions de visites, tout en reconnaissant la nécessité d’établir des règles de maintien de l’ordre.
« Je me sens très bien accepté ici, non seulement par le personnel, mais aussi par les client·e·s. C’est vraiment une petite famille. »
Estime de soi
De nombreux participant·e·s ont déclaré que le renforcement de leur indépendance et de leur estime de soi était une composante importante du programme et se sont dit·e·s fier·ère·s de leurs accomplissements (p. ex. obtention d’une pièce d’identité, amélioration de leur hygiène personnelle, études et formation professionnelle). Les participant·e·s ont fait remarquer qu’en leur apportant une aide pratique et un soutien émotionnel, le personnel accompagnant a joué un rôle important dans l’amélioration de leur estime de soi. Les participant·e·s ont indiqué que le traitement équitable des résident·e·s, les processus décisionnels inclusifs et la possibilité de décompresser au moment de l’accueil dans le programme les ont aidé·e·s à s’adapter et ont contribué à leur stabilité générale.
« Savoir que je fais quelque chose de ma vie. Je fais partie de [nom de l’organisme] et j’en suis fier. Je suis capable et le moment est venu. »
Réalisation de soi
Les participant·e·s ont fait part de leurs ambitions de développement personnel et se sont dit·e·s déterminé·e·s à améliorer leur situation et à saisir de nouvelles occasions pour aller au-delà de leur situation présente (p. ex. reprise des études, perfectionnement professionnel). De nombreux·ses participant·e·s ont exprimé le besoin de voir leurs efforts et leurs réalisations reconnus, au-delà de leur usage de substances, et de même pour leur progrès personnel dans d’autres domaines de leur vie (p. ex. santé mentale, relations, développement personnel).
« Même si on n’arrive pas à arrêter de prendre de la drogue, on a au moins — j’ai changé grâce à ce programme; je réfléchis à ce que je suis et à la façon dont je traite les autres. »
Qu’est-ce que cela signifie pour les prestataires de services?
Les observations mettent en lumière les recoupements complexes entre les besoins et les aspirations des participant·e·s qui passent de l’itinérance à un logement de transition. Elles font également apparaître l’importance cruciale de la prestation de services de santé et d’aide sociale intégrés et complets, s’agissant d’aider les personnes à atteindre la stabilité, l’épanouissement personnel, ainsi qu’une indépendance et un bien-être durables. Sur la base des commentaires des participant·e·s, les responsables du programme ont revu leur politique en matière de visites, et d’autres aspects, tels que la disponibilité alimentaire et l’établissement d’objectifs personnalisés. Le programme favorise la prestation de services de soutien bienveillants et axés sur la personne qui tiennent compte de l’autonomie et de l’indépendance individuelles tout en favorisant un sentiment de communauté et d’appartenance. Pour faciliter les transitions vers une vie indépendante et la stabilité à long terme, les prestataires de services pourraient envisager d’orienter leurs client·e·s vers des programmes de logement de transition qui tiennent compte des besoins et des aspirations multiformes des participant·e·s et qui fournissent des services de soutien intégrés.
Ressources connexes
Dépistage et traitement de l’hépatite C dans des logements supervisés – article de CATIE
Une approche de prise en charge adaptable et ambulante de l’hépatite C pour les personnes itinérantes – article de CATIE
Programme amélioré de logement-services – étude de cas de CATIE
Référence
Morin KA, Aubin N, Molke D et al. Perspectives on a transitional housing program for people who use substances who experience homelessness and live with a mental health issue: a pilot study in an urban northern city in Canada. Substance Abuse Treatment, Prevention, and Policy. 2025;20(20):1-8. Disponible au https://doi.org/10.1186/s13011-025-00649-7.