Souhaitez-vous recevoir nos publications directement dans votre boîte de réception?

CATIE
  • La possession d’un téléphone mobile pourrait avoir des bienfaits pour la santé des Autochtones qui utilisent des drogues
  • Une étude britanno-colombienne a révélé que la possession d’un téléphone facilitait l’accès aux services de santé et au soutien
  • Les chercheurs affirment que la facilitation de la possession d’un téléphone pourrait favoriser la prévention et le traitement du VIH

Une équipe de chercheurs de la Colombie-Britannique a expliqué ainsi le concept de programmes de santé fondés sur le téléphone mobile (programmes de santé mobile) :

« Il s’agit d’interventions qui ont pour base le téléphone mobile et qui visent à améliorer l’état de santé des clients éprouvant toutes sortes de problèmes de santé. Les interventions de santé mobile exploitent les fonctions des téléphones mobiles, tels les appels, les messages texte ou les applis de téléphone intelligent, et peuvent être utilisées pour transmettre des rappels, de l’information ou du soutien ».

L’équipe, qui mène des recherches auprès de personnes autochtones atteintes du VIH ou à risque élevé de le contracter, a fait la déclaration suivante :

« Les spécialistes et les leaders autochtones continuent de se préoccuper des taux élevés de VIH et d’autres méfaits touchant les jeunes Autochtones qui utilisent des drogues qui sont la conséquence des effets continus de la colonisation. La consommation de substances, la pauvreté, les obstacles à l’accès aux soins de santé et la possession limitée de téléphones mobiles pourraient se renforcer les uns les autres et aggraver ainsi la marginalisation par rapport aux soins et aux services ».

Dans le cadre d’une étude plus grande qui se poursuit sous le nom de projet Cedar, l’équipe a sondé des personnes autochtones qui utilisaient des drogues « dans le contexte urbain de deux villes de la Colombie-Britannique, soit Vancouver et Prince George ». La sous-étude dont nous rendons compte ici a porté sur 131 participants, dont 40 % avaient le VIH. Les participants ont répondu à des questions sur la santé mobile.

Résultats clés

Les chercheurs ont constaté ce qui suit :

  • Moins de la moitié des participants possédaient un téléphone mobile.
  • De nombreux participants étaient d’avis qu’il serait très important de posséder un téléphone pour profiter des programmes de santé mobile.
  • De nombreux participants séropositifs croyaient que la possession d’un téléphone mobile serait bénéfique à leur santé et à leur bien-être.

Selon les chercheurs, ces résultats pourraient être utiles « aux professionnels de la santé qui se préparent à étendre la portée des programmes de santé mobile afin de favoriser la prévention et le traitement du VIH au sein de cette population ».

Détails de l’étude

Voici un profil global des participants au moment de leur admission à l’étude :

  • âge : 33 ans
  • 62 % de femmes, 38 % d’hommes
  • 40 % étaient séropositifs
  • 60 % avaient le virus de l’hépatite C
  • 12 % avaient récemment été hospitalisés
  • 82 % n’avaient pas terminé l’école secondaire
  • 26 % avaient récemment connu l’itinérance
  • 44 % avaient récemment connu l’instabilité en matière de logement
  • 15 % avaient récemment été incarcérés
  • près de 50 % avaient un parent qui avait vécu dans un pensionnat
  • 76 % avaient été enlevés à leurs parents biologiques
  • 34 % avaient fait une tentative de suicide dans le passé
  • 17 % avaient récemment fait du travail sexuel
  • 44 % s’étaient récemment injecté des drogues
  • 40 % avaient fait une surdose dans le passé
  • 58 % prenaient actuellement de la méthadone sur ordonnance
  • 85 % avaient essayé de cesser la consommation d’alcool et/ou de drogues
  • moins de la moitié des 131 participants (45 %) possédaient un téléphone mobile

Bienfaits d’un téléphone pour la santé

Dans une question à réponse libre, on a demandé aux participants les raisons pour lesquelles un téléphone intelligent pourrait être utile à leur santé. Comme nos lecteurs peuvent le constater, les participants ont donné des réponses qui reflètent une vision holistique de la santé. Les chercheurs ont réparti les réponses selon les thèmes suivants :

  • connexion permettant d’obtenir du soutien émotionnel, mental et spirituel
  • connexion avec sa famille
  • maintien du contact et/ou de la possibilité d’être joint
  •  surmonter les obstacles actuels à l’usage du téléphone
  • commodité, vie privée et sécurité
  • accès aux soins de santé et aux services d’urgence

Connexion permettant d’obtenir du soutien

Une forte proportion des participants prévoyaient qu’un téléphone mobile les aiderait à maintenir leur relation avec des sources de soutien, tels les médecins, les infirmières, le personnel des services sociaux, les amis, les époux et d’autres membres de leur famille.

Un participant a affirmé ceci : « Je suis une personne sociable… je maintiens constamment le contact avec les gens afin de ne pas déprimer ».

Selon les chercheurs, certains participants ont affirmé qu’un téléphone mobile serait utile « pour appeler leur parrain d’un programme 12 étapes ou de rétablissement, pour se rappeler de prendre leur méthadone, pour avoir accès [aux services de gestion du sevrage], et/ou pour éviter une rechute ».

Un participant a déclaré ceci pour souligner l’importance d’un téléphone mobile : « Ma santé mentale n’est pas très bonne dernièrement, mais ce serait mieux d’avoir quelqu’un à appeler ou à texter que de me tourner vers la bouteille ou l’aiguille. Je ne serai plus si seul ».

Connexion avec sa famille et le rôle de parent

Les participants ont affirmé que la possession d’un téléphone mobile les aiderait à maintenir leur relation avec leurs parents et leur famille élargie.

Selon les chercheurs, les participants « s’attendaient à connaître des bienfaits par rapport à la grossesse et au parentage, y compris la possibilité de rester en contact avec des travailleurs sociaux, de recevoir des soins durant la grossesse et le travail, et d’appeler un secours en cas d’urgence ».

Rester en contact

D’après les chercheurs, les participants ont souligné « l’importance de rester en contact » en faisant des déclarations comme les suivantes :

  • « Je n’ai pas besoin de stresser, les gens peuvent me joindre. Le téléphone est ma bouée de sauvetage. »
  • « Si je n’ai pas de téléphone, je me sens coupé du monde. Je deviens anxieux. »

Surmonter les obstacles à l’usage du téléphone

Les participants qui n’avaient pas de téléphone essayaient de contourner ce problème en faisant ce qui suit :

  • emprunter un téléphone à un ami
  • utiliser le téléphone situé dans le hall d’entrée d’un immeuble, le cas échéant
  • utiliser le téléphone fourni par un organisme ou un prestataire de services

Ces stratégies pour surmonter ce que les chercheurs ont nommé « la non-possession d’un téléphone » avaient cependant des inconvénients, notamment ceux-ci : « le temps et l’énergie dépensés pour trouver un téléphone, les limites de temps imposées aux appels, l’impossibilité de recevoir des messages ou de se faire rappeler, le manque de confidentialité et le risque de stigmatisation ou [de dévoilement involontaire] ».

Voici quelques affirmations faites par les participants pour souligner les inconvénients de certaines de ces stratégies :

Limites de temps

« Tu dois joindre les gens tout de suite, sinon ça ne marche pas. »

Appels faits avec le téléphone d’un organisme ou d’un prestataire de services

« Si tu appelles d’un [site d’injection supervisé], il y a l’afficheur… puis les gens savent que tu prends de la drogue. »

Commodité, vie privée et sécurité

Selon les chercheurs, les participants estimaient que la possession d’un téléphone mobile rendrait « la communication plus commode, notamment en réduisant la nécessité de chercher du soutien à pied ». Comme l’a expliqué un participant, un téléphone mobile préserverait la semelle de ses chaussures.

Les participants ont exprimé le désir de connaître la confidentialité relative qu’un téléphone mobile pourrait offrir. Selon une participante, un tel appareil lui donnerait plus de contrôle. « Je peux parler à mon médecin en privé sans que mon [partenaire] me suive ou qu’il soit au courant de tout », a-t-elle expliqué.

Certains participants ont laissé entendre que la possession d’un téléphone mobile « offrirait un certain degré de sécurité, notamment face à la violence dans les relations ou dans la rue ».

Accès aux soins et aux services d’urgence

Selon les chercheurs, « plus de 20 % des participants utilisaient actuellement ou s’attendaient à utiliser leur téléphone mobile pour avoir directement accès aux soins de santé, notamment pour appeler leurs médecins, infirmières et conseillers, organiser des soins médicaux à l’extérieur de la ville, fixer des rendez-vous, organiser du transport et recevoir des messages des services de santé ».

Les chercheurs ont déclaré que « la possession d’un téléphone mobile était considérée comme une ressource potentiellement importante au cas où les participants ou leur entourage feraient face à des urgences de santé physique ou mentale ».

Contexte propice à la non-possession d’un téléphone

Dans cette population, les chercheurs ont constaté que le taux de « possession d’un téléphone était considérablement plus faible que les taux au Canada et en Amérique du Nord en général, et il était semblable ou plus faible qu’au sein d’autres groupes marginalisés », comme l’ont révélé d’autres études. En guise d’explication, les chercheurs ont fait la déclaration suivante :

« De nombreuses jeunes personnes autochtones ont subi les méfaits aigus de la colonisation, y compris l’internement forcé de leurs parents et d’autres membres de la famille dans les pensionnats, leur enlèvement à leur famille et leur placement dans le système de protection de l’enfance, et l’expérience de sévices sexuels dans l’enfance. Certains se sont tournés vers la consommation de substances comme moyen de composer avec les effets de ces traumatismes historiques et vécus. L’intersection de la consommation de substances et de la pauvreté peut créer des obstacles au maintien des relations, notamment en contribuant aux incarcérations et à être hébergé dans des foyers de transition. La non-possession d’un téléphone doit être comprise dans le contexte de la colonisation, laquelle continue de nuire au bien-être des Autochtones partout au Canada et doit être une considération majeure pour les programmes de santé mobile futurs ».

Non-possession d’un téléphone et soins et traitement du VIH

Les chercheurs ont déclaré ce qui suit :

« Il se peut que l’impact de la non-possession d’un téléphone sur la santé globale soit particulièrement prononcé dans le contexte des soins du VIH. Les résultats de notre revue systématique récente ont souligné des lacunes profondes dans l’accès à la cascade des soins du VIH parmi les peuples autochtones. De nouvelles données probantes indiquent également que les obstacles à l’accès au téléphone pourraient être associés à des résultats moins favorables pour la santé des personnes vivant avec le VIH. Notre étude révèle néanmoins que les jeunes Autochtones vivant avec le VIH s’intéressent particulièrement à recevoir du soutien auprès du programme de santé mobile afin d’améliorer leur implication dans les soins de santé. D’autres chercheurs ont montré que les programmes de santé mobile pouvaient améliorer la relation entre professionnels de la santé et patients au fil du temps, et que les relations patient-professionnel qui sont fortes, stimulantes et valorisantes et qui mettent l’accent sur le partenariat sont plus susceptibles de faciliter l’implication et la rétention dans les soins du VIH. Pour les jeunes Autochtones qui utilisent des drogues, les programmes de santé mobile qui adoptent une approche culturellement sécuritaire, notamment en évitant de juger la consommation tout en honorant les identités autochtones, pourraient aider à renforcer les relations avec les professionnels de la santé et l’implication dans les soins ».

À l’avenir

Dans leurs conclusions, les chercheurs ont affirmé ceci : « Bien que l’intérêt pour l’usage de téléphones mobiles au profit de la santé soit élevé parmi les jeunes Autochtones qui ont utilisé des drogues en Colombie-Britannique, les faibles taux de possession de téléphones constituent un obstacle à la participation aux programmes de santé mobile. Les programmes de santé mobile futurs devront tenir compte de cette lacune, soit en fournissant des téléphones mobiles et des forfaits de cellulaires, soit en facilitant la messagerie texte par le biais des plateformes Web déjà utilisées par leur clientèle, soit en innovant pour réduire les périodes de non-possession d’un téléphone et/ou de perte de connectivité ».

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCE:

Jongbloed K, Pearce ME, Thomas V, et al. The Cedar Project – Mobile phone use and acceptability of mobile health among young Indigenous people who have used drugs in British Columbia, Canada: mixed methods exploratory study. JMIR mHealth and uHealth. 2020;8(7):e16783.