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Dans les pays à revenu élevé, la grande accessibilité du traitement anti-VIH (couramment appelé trithérapie ou multithérapie) a donné lieu à une amélioration spectaculaire de la survie des personnes vivant avec le VIH (PVVIH). En effet, selon nombre de chercheurs, les PVVIH qui prennent leurs soins et leur traitement au sérieux et dont les autres problèmes de santé sont légers devraient connaître une espérance de vie quasi-normale.

Il reste que les conséquences à long terme de l’infection au VIH s’ajoutent à celles du vieillissement normal. On parle déjà de complications nombreuses liées à l’âge—maladies cardiovasculaires, diabète, dysfonction rénale—qui se produiraient plus tôt que normalement chez certaines PVVIH.

La baisse de la densité minérale des os (DMO) figure parmi les complications courantes du vieillissement. L’amincissent des os rend ceux-ci plus fragiles et plus sujets aux fractures lors des chutes ou des accidents.

Consommation de drogues

L’un des principaux facteurs de risque de transmission du VIH réside dans le partage du matériel de consommation de drogues. Des chercheurs aux États-Unis ont découvert qu’ « une proportion relativement élevée de consommateurs de drogues d’âge moyen vivant avec le VIH ou qui en sont à risque continuent d’utiliser des drogues illicites jusque dans la soixantaine. » Si cette tendance s’étend, davantage de PVVIH verront leur santé se dégrader à cause des complications du vieillissement et de la consommation de drogues.

Opioïdes

Plusieurs analogues de l’opium sont approuvés pour le traitement de la douleur grave dans de nombreux pays. Le risque d’abus est cependant élevé dans le cas de certains opioïdes, dont les suivants :

  • morphine
  • codéine
  • héroïne
  • oxycodone
  • tramadol

De façon générale, les PVVIH qui consomment des opioïdes présentent de nombreux facteurs qui augmentent leurs risques d’amincissement des os, y compris les suivants :

  • faible taux de testostérone
  • tabagisme
  • consommation d’alcool
  • manque d’exercice
  • poids corporel inférieur à la normale
  • mauvaise nutrition

Des chercheurs du quartier Bronx de New York ont mené une étude de longue durée pour évaluer les changements dans la densité minérale osseuse d’hommes séropositifs ou à risque. Une forte proportion de ceux-ci utilisaient des opioïdes, surtout de l’héroïne, ainsi que d’autres substances comme la cocaïne. Les chercheurs ont observé que la consommation d’opioïdes provoquait une baisse importante de la DMO, surtout chez les hommes séropositifs. Notons que d’autres conclusions se trouvent plus loin dans ce bulletin.

Détails de l’étude

Les chercheurs ont recruté 230 hommes séropositifs et 159 hommes séronégatifs à des fins de comparaison. Le profil moyen des sujets au début de l’étude était le suivant :

  • âge – 56 ans
  • traitement à la méthadone en cours – 16 %
  • consommation d’héroïne au cours des cinq dernières années – 24 %
  • consommation antérieure de cocaïne ou d’opioïdes – 85  %
  • consommation antérieure de drogues injectables – 57 %
  • consommation antérieure ou actuelle de cigarettes – 89  %
  • diagnostic d’alcoolisme posé par les chercheurs – 48 %
  • porteurs du virus de l’hépatite C – 66 %
  • diagnostic de dépression posé par les chercheurs – 42  %
  • taux de testostérone inférieur à la normale – 46 %
  • utilisation antérieure de corticostéroïdes – 5 %
  • compte de CD4+ – 400 cellules
  • diagnostic antérieur de sida – 42 %

Comme on peut le constater en lisant cette liste, ces participants présentaient de nombreux facteurs de risque d’ostéopénie (légère baisse de la DMO).

Les participants ont subi des radiographie de faible dose appelées DEXA au début de l’étude et de nouveau trois ans plus tard. De plus, ils étaient interviewés et donnaient régulièrement des échantillons de sang à des fins d’analyse.

Résultats—changements dans la densité osseuse

Au début de l’étude, les radiographies DEXA révélaient que la densité minérale osseuse des hommes séropositifs avait déjà diminué considérablement dans la hanche et la colonne vertébrale, comparativement à celle des hommes séronégatifs. Lorsque la deuxième série de radiographies a été effectuée, près de trois ans plus tard, les os des PVVIH étaient généralement devenus plus minces que lors des premières radiographies et continuaient d’être plus minces que les os des hommes séronégatifs. Dans l’ensemble, les hommes séropositifs étaient environ trois fois plus susceptibles d’avoir subi des pertes osseuses que les hommes séronégatifs.

Résultats—facteurs liés à l’amincissement des os

Les chercheurs ont effectué une analyse complexe dans l’espoir de découvrir quels facteurs contribuaient à la diminution de la densité osseuse de ces hommes. Pour faire leurs calculs, ils ont tenu compte de l’âge des participants, de leur race/ethnie, de leur utilisation de corticostéroïdes et de méthadone, etc. Les chercheurs sont parvenus aux conclusions suivantes :

  • Les pertes osseuses les plus importantes ont été observées chez les hommes qui avaient consommé de l’héroïne dans les cinq ans précédant leur admission à l’étude et qui avaient fait l’objet d’un diagnostic de sida.
  • Peu importe le statut VIH, la présence de l’infection à l’hépatite C était associée à l’amincissement des os.
  • L’exposition à la méthadone approchait mais n’atteignait pas le seuil de signification statistique en ce qui avait trait au risque de pertes osseuses.
  • On n’a pas décelé de liens entre les pertes osseuses observées chez les hommes séropositifs et le compte de CD4+, la durée du traitement antirétroviral ou l’utilisation d’une classe de médicaments anti-VIH spécifique.
  • Même si le tabagisme est largement reconnu comme facteur de risque d’amincissement des os, il n’a pas été associé à une baisse de la densité osseuse dans le cadre de cette étude (le fait que près de 90 % des participants fumaient y était peut-être pour quelque chose).

Survol des résultats

Lors de cette étude menée chez des hommes d’âge moyen, la consommation d’héroïne au cours des cinq années précédentes et un diagnostic de sida étaient étroitement liés à ce que les chercheurs décrivaient comme « un déclin substantiel de la DMO » dans la hanche et la colonne vertébrale. Le fait d’être porteur de l’hépatite C ou d’utiliser de la méthadone étaient également associé à une réduction de la DMO, quoique à un moindre degré.

Pour une personne séronégative en bonne santé, on situe le risque de subir des fractures osseuses à un moment de sa vie à environ 30 %. Les données récentes laissent croire que le risque pourrait être plus élevé chez les PVVIH.

Pourquoi les opioïdes?

L’héroïne, la morphine, la codéine, l’oxycodone, la méthadone, le tramadol et d’autres médicaments apparentés ont le potentiel de réduire la DMO, peut-être par les mécanismes suivants :

  • Il est possible que ces drogues empêchent la formation normale des os. Comme les os sont durs et rigides, beaucoup de gens ont tendance à croire qu’ils sont des objets inanimés. En réalité, au niveau cellulaire, les os subissent constamment un processus de dégradation et de reconstruction. Les opioïdes semblent perturber ce processus, du moins dans le cadre de certaines expériences de laboratoire.
  • Les résultats d’études antérieures portent à croire que les consommateurs d’héroïne ont tendance à perdre des quantités importantes de calcium dans leur urine et ce, malgré la présence d’une forte quantité de calcium dans leur sang.
  • L’héroïne, la morphine et les autres opioïdes pourraient réduire les taux de testostérone, d’estrogène et d’autres hormones nécessaires au maintien d’une bonne densité osseuse.

L’importance de la méthadone

La méthadone est un élément important des programmes visant à aider les toxicomanes à cesser l’usage d’héroïne, de morphine et d’autres opioïdes. Bien que cette étude ait permis de constater un lien statistique entre l’usage de méthadone et l’amincissement des os, elle ne peut prouver avec certitude que l’exposition à celle-ci a causé ce problème.

Les patients sous méthadone ne devraient pas abandonner leur traitement à cause des résultats de cette étude. Les médecins qui suivent ces patients devraient cependant envisager d’évaluer régulièrement les facteurs associés à l’ostéopénie et à la santé des os, tels les suivants :

  • évaluation des taux sanguins de vitamine D et d’hormones sexuelles
  • counseling nutritionnel pour assurer un apport adéquat en calcium et l’adoption de bonnes habitudes alimentaires
  • évaluation et counseling en matière de toxicomanie et offre de soutiens pour aider les patients à cesser l’usage de tabac, d’alcool et d’autres substances
  • évaluation de la santé hépatique et de l’état de l’infection au VHC
  • proposition d’un traitement anti-VHC, le cas échéant
  • prise de médicaments pour améliorer la densité osseuse

Si la méthadone ne peut être utilisée, la buprénorphine est une option valable. Toutefois, ce médicament n’est pas couvert dans tous les endroits et risque de ne pas convenir à tout le monde.

La recherche : aujourd’hui et demain

La présente étude ne peut prouver définitivement que l’exposition aux opioïdes provoque une baisse de la densité minérale osseuse. Une étude plus sophistiquée axée sur la fonction neuromusculaire, les fluctuations des hormones sexuelles et les taux de pertes osseuses sera nécessaire pour établir un lien clair entre l’exposition à ces drogues, la baisse de la DMO et l’impact des chutes et des accidents.

En attendant ce genre d’étude, on doit reconnaître la pertinence de celle-ci, car elle révèle certains éléments sous-jacents qui mettent en danger la santé des consommateurs de drogues. Il faut créer des programmes plus intensifs pour décourager la consommation de drogues et aider les toxicomanes à surmonter leur dépendance aux opioïdes et à d’autres substances. Non seulement ces programmes aideront les collectivités particulières où résident de nombreux toxicomanes, mais ils auront aussi le potentiel de réduire les coûts à long terme de la toxicomanie pour l’ensemble de la société.

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCE :

  1. Sharma A, Flom PL, Weedon J, et al. Prospective study of bone mineral density changes in aging men with or at risk for HIV infection. AIDS. 2010; in press.