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Nous avons parlé avec trois personnes sur leurs expériences en matière de partenariats communautaires:

  • Shaun Hopkins – directrice, Needle Exchange – The Works, Bureau de santé publique de Toronto
  • Carrielynn Lund – Coordonnatrice des projets de l’Ouest canadien pour CIET Canada
  • Vicky Bungay – professeure adjointe, École des sciences infirmières de l’Université de la Colombie-Britannique

Entrevues par Debbie Koenig
 

Shaun Hopkins

Pouvez-vous brièvement décrire votre expérience en ce qui a trait aux partenariats de recherche communautaire et les principales leçons que vous en avez tirées? Quels ont été quelques-uns des avantages — à la fois prévus et imprévus? Quels ont été les principaux défis?

Lorsque nous avons effectué de la recherche communautaire chez The Works, nous avons toujours fait participer les utilisateurs de drogues qui ont recours à nos services. Une grande partie de la recherche visait soit à évaluer les services d’échange de seringues soit à identifier les besoins des personnes qui les utilisent. Le fait de connaître l’opinion des personnes qui utilisent nos services rend réel le travail que nous accomplissons et nous permet de recueillir différents points de vue. Nous pouvons, par exemple, savoir ce qu’en pensent les utilisateurs et ce qui peut être fait pour améliorer leur situation… Toute cette information maintient la recherche bien ancrée.

Il peut s’avérer difficile de faire participer dans la recherche les membres de la communauté, car ces derniers peuvent avoir de la difficulté à rester impliqués. Si une personne participe, puis abandonne durant un certain temps, que faites-vous entretemps? Vous retenez sa place et vous essayez de faire en sorte que ça soit correct qu’elle va et vient. Il serait peut-être bon de faire participer différentes personnes plutôt que de vous fier à une seule personne. Ainsi, le défi/le problème que pose une seule personne représentant les différentes expériences de tout un groupe sera abordé (par exemple, parler au nom de toutes les femmes ou de tous les Autochtones…ou représenter les personnes qui fument du crack lorsque le participant utilise seulement des opiacés).

Une autre leçon que j’ai tirée est que si vous ne traduisez pas les résultats en prestation de programmes ou de services ou en leur élaboration, tout le travail fait sera perdu. Vous devez avoir des ressources, du temps et des personnes prêtes à effectuer ce transfert de connaissances. Je pense qu’il est important de faire participer les personnes qui utilisent nos services dans le transfert des connaissances, car les autres personnes seront plus portées à écouter si l’information provient de personnes qui sont aussi touchées par les problèmes soulevés. Côté bailleurs de fonds, si vous pouvez avoir des personnes qui utilisent nos services à la table pour parler de ce qui doit se produire, vous avez une longueur d’avance.

Les communautés marginalisées ont souvent l’impression qu’elles font l’objet de recherches, mais qu’elles n’en bénéficient pas toujours. Pour les projets de recherche auxquels vous avez participé, comment la communauté impliquée a-t-elle trouvé l’expérience? Quelles mesures ont été prises pour s’assurer que la recherche a été menée de manière respectueuse envers les personnes et les communautés impliquées et que ces dernières en bénéficient?

Nous nous rendons compte maintenant que les personnes qui utilisent nos services doivent participer dès le tout début, pour qu’elles ne se sentent pas comme une cible ou un objet. Elles doivent participer à l’élaboration des questions de recherche, à la façon dont les questions seront posées, et où et par qui.

Si vous faites participer des membres de la communauté en tant qu’intervieweurs, il se peut qu’ils connaissent les participants interviewés. Comment vous assurer de protéger la vie privée des participants à la recherche? Est-ce que cela empêche les personnes de cette population [dans notre cas, les utilisateurs de drogues] de poser les questions? Lorsque vous discutez de ces points, ces membres de la communauté doivent être à la table; vous ne pouvez tenir cette discussion sans eux.

Il ne suffit pas simplement de forcer les personnes à se lancer dans votre projet de recherche sans les orienter; si vous le faites, vous les marginaliserez encore davantage. Nous [les fournisseurs de services et les responsables de l’élaboration des programmes] bénéficions d’années d’expérience et d’éducation, et traduire tout cela en quelque chose qui est logique pour ces personnes peut nécessiter du temps et de l’énergie, mais cela doit être fait. C’est une question d’éducation pour ces personnes.

J’ai récemment appris ce qui suit avec une personne qui m’aidait lors de téléconférences nationales dans le cadre d’un projet : se retrouver dans une salle avec des personnes que vous n’avez jamais rencontrées peut être très inconfortable, surtout si vous n’avez jamais fait de téléconférence. Nous mettons le microphone en mode muet pour revoir où se situent les autres personnes de l’appel, leur domaine d’expertise, etc. Vous ne pouvez lésiner sur cette préparation qui aide les personnes à briser la glace.

Vous devez faire participer les personnes tout au cours du processus. Si vous les abandonnez à un certain point, elles auront bien sûr l’impression que vous vous êtes servis d’elles.

Que conseilleriez-vous aux personnes travaillant dans le domaine de la prévention du VIH et/ou de l’hépatite C et qui envisagent un partenariat de recherche?

Si vous voulez faire participer les personnes qui utilisent vos services, demandez-leur quelle est la meilleure façon de s’y prendre. Écoutez ce qu’elles ont à vous dire, puis cherchez à comprendre ce que cela signifie et communiquez-le-leur : « C’est ce que vous nous avez dit. C’est ce que nous croyons pouvoir faire… »

Parfois, les personnes ne se présentent plus à la table de discussion parce que cela peut être difficile d’être assis durant deux heures. Les utilisateurs de drogues ont peut-être besoin de prendre leur dose, ils ne sont peut-être pas à l’aise, ils se sentent peut-être gênés des vêtements qu’ils portent…il est important de tenir compte de tous ces facteurs et d’essayer de les faire participer de la bonne façon. Il s’agit de laisser de côté vos suppositions au sujet des connaissances des personnes et d’essayer de vous mettre à leur place. Si vous entriez pour la toute première fois dans cette salle, ne seriez-vous pas vous aussi intimidé?

Votre succès dépend aussi de la façon dont vous parlez aux personnes. Elles doivent pouvoir se fier au fait que vous leur expliquerez les résultats de la recherche et que vous les traduirez en des services et des programmes.

 

Carrielynn Lund

Pouvez-vous brièvement décrire votre expérience en ce qui a trait aux partenariats de recherche communautaire et les principales leçons que vous en avez tirées? (Quels ont été quelques-uns des avantages —à la fois prévus et imprévus? Quels ont été les principaux défis?)

Je fais de la recherche communautaire en partenariat avec des communautés depuis 15 ans. Mon expérience la plus notable s’est déroulée auprès de CIET Canada, une organisation non gouvernementale (ONG) dirigée par l’entremise de l’Université d’Ottawa. Nous avons travaillé auprès des communautés autochtones afin d'aborder les priorités des communautés, du point de vue de la résilience, qui incluaient le suicide chez les jeunes, le VIH et les autres virus transmissibles par le sang. Grâce à de la formation, nous développons les capacités des communautés à faire de la recherche. Les membres de la communauté sont impliqués à tous les niveaux et à toutes les étapes de la recherche afin d’élaborer le processus (code d’éthique communautaire), de produire les outils d’enquête, de recueillir les données, de les entrer et de les analyser, et surtout, de communiquer les résultats (transfert des connaissances).

Le plus grand défi rencontré a été d’établir un lien de confiance en raison de l’historique du passage de nombreux chercheurs dont les recherches n’ont apporté aucun avantage à la communauté, lui causant même parfois du tort. Il est aussi très important de déterminer l’état de préparation de la communauté — où les leaders élus et les membres de la communauté appuient la recherche effectuée. Il est également difficile de trouver une ou des personnes de la communauté ayant le temps de faire partie de l’équipe, étant donné qu’elles occupent habituellement déjà un emploi à temps plein, avec des charges de travail exigeantes.

Les communautés marginalisées ont souvent l’impression qu’elles font l’objet de recherches, mais qu’elles n’en bénéficient pas toujours. En réfléchissant aux projets de recherche auxquels vous avez participé, comment la communauté impliquée a-t-elle trouvé l’expérience?

Les communautés ont exprimé leur appréciation pour le renforcement de leurs capacités, le soutien qu’elles ont eu et la méthode employée qui honore leur culture et leurs croyances.

Que conseilleriez-vous aux personnes travaillant dans le domaine de la prévention du VIH et/ou de l’hépatite C et qui envisagent un partenariat de recherche?

Pour toute communauté, le VIH et l’hépatite C sont des sujets très délicats à aborder en matière de recherche, mais ils sont tout particulièrement délicats auprès des communautés autochtones qui ne discutent habituellement pas ouvertement de sexe. Toute la recherche et les discussions doivent provenir d’un point de vue positif. La présence de membres de la communauté, y compris d’un aîné ou d’une aînée, au sein de votre équipe de recherche aidera à faire avancer votre projet de façon appropriée. Si votre recherche doit se faire sur une réserve ou, en Alberta, sur des terres visées par un règlement, vous devez obtenir l’autorisation préalable des leaders élus. Vous devrez également déterminer qui est le responsable de la communauté et à quelle fréquence vous devez lui fournir des mises à jour ou lui rendre compte.

 

Vicky Bungay

Pouvez-vous brièvement décrire votre expérience en ce qui a trait aux partenariats de recherche communautaire et les principales leçons que vous en avez tirées? (Quels ont été quelques-uns des avantages — à la fois prévus et imprévus? Quels ont été les principaux défis?)

À la suite de mon expérience en recherche communautaire, voici les principales leçons que j’en ai tirées : (a) Planifiez dans l’éventualité que vos conclusions de recherche ne respectent pas les points de vue des communautés avec lesquelles vous travaillez. (b) Identifiez les rôles et les responsabilités dès le début. (c) En tant que chercheur, soyez honnête au sujet de ce qui est possible et réalisable. (d) Travaillez en gardant en tête que tout le monde peut contribuer à sa manière.

Je dirais que les principaux défis comprennent les éléments suivants : pouvoir garantir que le programme est durable (voir réponse n˚ 3, ci-dessous); essayer de gérer les contraintes budgétaires; les conflits d’intérêts parmi les membres de la communauté; assurer la confidentialité des participants lorsque vous faites l’analyse collaborative des données; résoudre les luttes de pouvoir au sein de membres de la communauté et déterminer comment rémunérer financièrement les participants à la recherche.

Les communautés marginalisées ont souvent l’impression qu’elles font l’objet de recherches, mais qu’elles n’en bénéficient pas toujours. Pour les projets de recherche auxquels vous avez participé, comment la communauté impliquée a-t-elle trouvé l’expérience? Quelles mesures avaient été prises pour s’assurer que la recherche a été menée de manière respectueuse envers les personnes et les communautés impliquées et que ces dernières en bénéficient?

C’est une excellente question. Dans les projets auxquels j’ai participé, j’ai observé que les communautés ont vécu des expériences à la fois positives et négatives. Je pense que la façon dont vous établissez le partenariat au tout début, avant même de faire une demande de financement ou de rédiger une proposition, est très importante. Dans les recherches qui étaient les plus respectueuses envers les communautés qui y participaient et qui leur étaient les plus bénéfiques, je pense que la clé du succès reposait sur le fait que le sujet de recherche (par exemple, la réduction des méfaits et l’utilisation de crack) avait été déterminé par la communauté et non les chercheurs. De plus, tout au cours du projet, toute l’équipe considérait les avantages pour la communauté comme un élément principal du processus. Parmi les avantages qu’en ont retirés les personnes et les communautés qui y ont participé, nous retrouvons le développement d’aptitudes en collaboration, une occasion d’influencer les interventions et de faire partie de la mise en œuvre des interventions et, dans certains cas, la possibilité d’exposer directement leurs points de vue aux décideurs politiques.

Que conseilleriez-vous aux personnes travaillant dans le domaine de la prévention du VIH et/ou de l’hépatite C et qui envisagent un partenariat de recherche?

Il se peut que l’un des plus importants enjeux que doivent envisager les chercheurs soit la durabilité. Si, à titre de chercheur, vous vous impliquez à un partenariat communautaire pour développer des interventions qui favorisent et protègent la santé des personnes, je pense que vous devez être sensible à votre propre perception de la façon de maintenir une intervention fructueuse. Je crois que les chercheurs ont l’obligation morale de se pencher sur leur engagement envers la durabilité avant de s’impliquer dans un partenariat communautaire. Il existe de nombreuses façons de promouvoir la durabilité, comme le fait de faire participer dès le début du projet des intervenants clés qui ont la capacité d’influencer le financement et la prestation de services de santé. Renforcer ou maximiser les capacités d’une communauté peut également aider les personnes à maintenir les interventions et, à l’avenir, à jouer un rôle de premier plan. Il importe aussi de tenir compte des points de vue des membres de la communauté relativement à la durabilité ainsi qu’à leurs attentes de se voir attribuer un projet.

Mon dernier conseil aux chercheurs et aux membres de la communauté est de discuter honnêtement des avantages de la recherche au-delà du renforcement des connaissances. En plus de renforcer les connaissances sur l’efficacité d’une intervention ou d’influencer les politiques, chaque membre de l’équipe et la communauté en général peuvent potentiellement bénéficier de façon concrète du projet en cours. On m’a déjà demandé lors d’une réunion d’équipe : « Que retireront les participants de ce projet de recherche? ». Nous avons eu une bonne discussion à propos des avantages qui incluaient, notamment, le renforcement des capacités de la communauté (par exemple, développer ses aptitudes de leadership, développer ses capacités à faire une demande de financement) et intégrer des ressources en santé et en services sociaux existantes, mais qui sont peut-être inexploitées, dans les activités de la communauté. Je crois que la recherche communautaire ou les partenariats entre les communautés et les universités devraient s’appuyer sur les capacités existantes de la communauté.