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  • Une équipe de recherche a mené une étude sur des extraits de cannabis auprès de dix personnes vivant avec le VIH
  • Les cannabinoïdes n’ont pas nui au système immunitaire ou augmenté la quantité de VIH
  • La présence de lésions au foie semblait accroître le risque d’inflammation hépatique

Dans les années 1980 et au début des années 1990, alors qu’il n’existait aucun traitement efficace contre le VIH, certaines personnes séropositives avaient recours au cannabis pour alléger des symptômes comme la dépression, la nausée, la perte d’appétit et la perte de poids involontaire. De nos jours, comme l’utilisation de traitements efficaces contre le VIH est répandue au Canada et dans d’autres pays à revenu élevé, nombre de personnes séropositives ont recours au cannabis pour aider à soulager la douleur, l’anxiété et la dépression. Cette substance est également utilisée à des fins récréatives.

Même si le cannabis et ses extraits sont maintenant accessibles légalement au Canada, ils n’ont pas fait l’objet de nombreuses études auprès de personnes vivant avec le VIH. Il reste qu’une équipe de recherche de l’Université McGill et de l’Université de la Colombie-Britannique a mené une étude pilote sur des composés présents dans le cannabis, soit le THC (delta 9-tétrahydrocannabinol) et le CBD (cannabidiol), administrés sous forme de comprimés. L’équipe a recruté dix personnes qui ont pris ces comprimés pendant 12 semaines consécutives. La dose des cannabinoïdes a augmenté graduellement au cours de l’étude. Toutes les personnes recrutées suivaient un traitement contre le VIH et avaient une charge virale inhibée (moins de 40 copies/ml).

La plupart des participant·e·s n’ont pas éprouvé d’effets toxiques importants, et les cannabinoïdes n’ont pas eu d’impact sur les évaluations du système immunitaire, tels les comptes de CD4+ et de CD8+ ou le rapport CD4/CD8. Notons aussi qu’ils n’ont pas eu d’effet sur la réduction de la charge virale.

Deux personnes ont été obligées de quitter prématurément l’étude, la première à cause d’une anémie qui s’aggravait et l’autre à cause de la présence persistante de taux d’enzymes hépatiques élevés dans son sang.

L’équipe de recherche a affirmé que des études de plus grande envergure étaient nécessaires. Elle encourage les deux démarches suivantes aux scientifiques qui envisagent de mener des études sur les cannabinoïdes chez des personnes séropositives : soumettre les participant·e·s à des tests de dépistage de troubles hépatiques avant de leur administrer des cannabinoïdes; surveiller les taux sanguins d’enzymes hépatiques une fois commencée la prise de cannabinoïdes.

Détails de l’étude

Une équipe de recherche de l’Université McGill a recruté dix participant·e·s entre septembre 2021 et février 2022. L’équipe avait espéré recruter 26 personnes en tout, mais de nombreux facteurs l’ont empêchée d’atteindre sa cible.

Les participant·e·s, dont huit hommes et deux femmes, avaient aux alentours de 58 ans.

Les participant­·e·s ont passé des examens physiques et des tests de sang réguliers.

Chez sept personnes sur dix, la dernière utilisation de cannabis remontait à un à six mois avant leur admission à cette étude.

Cannabinoïdes

Aux fins de son étude, l’équipe de recherche s’est procuré des capsules de cannabinoïdes auprès de la compagnie Tilray Brands de New York. Elle s’est servie des deux versions suivantes des capsules au cours de l’étude :

  • combinaison de THC + CBD dans un rapport de 1 à 1 (2,5 mg de chacun)
  • CBD seulement : 200 mg

L’équipe a réparti les participant·e·s au hasard afin de recevoir soit la combinaison de THC et de CBD, soit le CBD seul. Le nombre de capsules utilisées augmentait au cours de l’étude, mais les participant·e·s pouvaient réduire leur dose en cas d’effets toxiques.

L’équipe de recherche a déterminé les doses à prescrire en fonction des résultats d’essais cliniques menés auprès de personnes séronégatives. Dans ces autres études, on avait mis les cannabinoïdes à l’épreuve chez des personnes souffrant de douleur chronique, de sclérose en plaques, de convulsions ou de schizophrénie. 

Résultats : innocuité

Selon l’équipe de recherche, sous l’effet de doses élevées, « la majorité des participant·e·s ont éprouvé [des effets secondaires] d’intensité légère ou modérée ». Les effets secondaires courants incluaient les suivants :

  • somnolence durant la journée : 50 %
  • difficulté à se concentrer : 20 %
  • difficulté à penser clairement : 20 %
  • augmentation de l’appétit : 20 %

Selon l’équipe de recherche, ces effets secondaires se résolvaient lorsqu’on réduisait la dose des cannabinoïdes.

Départs prématurés

Deux personnes ont quitté prématurément l’étude à la sixième semaine à cause des préoccupations suivantes se rapportant à l’innocuité :

Cas 1 : Une femme dans la jeune trentaine faisait une anémie modérée lors de son admission à l’étude. Malgré la prise de suppléments de fer pendant l’étude, l’anémie ne s’est pas résorbée et s’est beaucoup aggravée subséquemment. Pour empêcher toute aggravation continue de son anémie, l’équipe de recherche a retiré la femme de l’étude.

Des analyses de sang effectuées à la sixième semaine ont révélé la présence de taux d’enzymes hépatiques supérieurs à la normale; cependant, ces derniers se sont normalisés dans la semaine suivant le départ de la femme de l’étude (et l’arrêt de la prise de la substance à l’étude). Notons que cette femme avait pris des capsules de CBD seulement.

Cas 2 : Un homme dans la jeune soixantaine a présenté une très grave inflammation hépatique à la sixième semaine. Comme elle s’inquiétait pour la santé du participant, l’équipe de recherche lui a demandé de se retirer de l’étude. Malgré son départ (et l’arrêt de la prise de la substance à l’étude, soit le CBD seul), les taux d’enzymes hépatiques dans son sang sont restés élevés. L’équipe a fait évaluer le participant par des spécialistes du foie. Des examens du foie ont révélé la présence d’une tumeur sur la glande pancréatique. Une biopsie de la tumeur a révélé un cancer.

L’équipe de recherche a affirmé que les facteurs additionnels suivants auraient pu contribuer au risque d’accru d’inflammation hépatique chez ce participant :

  • diabète de type 2
  • stéatose hépatique légère (diagnostiquée par échographie abdominale)
  • consommation excessive d’alcool
  • interaction possible entre son traitement contre le VIH et les cannabinoïdes

Selon l’équipe de recherche, il est peu probable que les cannabinoïdes aient joué un rôle dans la croissance de la tumeur.

Immunologie et virologie

Comme nous l’avons mentionné plus tôt, les cannabinoïdes n’ont pas exercé d’effets importants sur le système immunitaire des participant·e·s. Notons précisément qu’aucun changement significatif n’a été observé dans les comptes de CD4+ et de CD8+ ou dans le rapport CD4/CD8. De plus, la charge virale est restée inhibée chez l’ensemble des participant·e·s pendant toute l’étude.

Taux de sucre sanguin anormaux

Deux personnes avaient reçu un diagnostic de diabète de type 2 avant de commencer l’étude. Durant celle-ci, la glycémie de ces personnes a atteint des niveaux très élevés. Une personne prenait l’association THC + CBD et l’autre, le CBD seulement.

Qualité de vie et humeur

Les participant·e·s rendaient compte de leur qualité de vie et de leurs humeurs au cours de l’étude. L’équipe de recherche n’a pas constaté de changement important dans ces évaluations. Selon l’équipe, cette absence de changement important pourrait tenir au fait que « la plupart des participant·e·s avaient de bons scores [au début de l’étude] en matière de qualité de vie et d’humeur ».

À retenir

Inflammation du foie

L’équipe de recherche a souligné qu’une inflammation hépatique s’est produite chez deux participant·e·s lorsque leur dose de CBD a été portée de 400 mg à 800 mg par jour. Selon l’équipe, les taux d’enzymes hépatiques avaient aussi augmenté temporairement sous l’effet du CBD lors d’études antérieures (menées auprès de personnes séronégatives). L’équipe de recherche a affirmé que les taux d’enzymes hépatiques dans ces études avaient « tendance à se normaliser après la réduction de la dose ou… l’arrêt de la prise [de CBD] ». L’équipe a également souligné que ces augmentations temporaires des taux d’enzymes hépatiques « ne semblaient pas avoir de signification clinique à long terme ».

Après avoir examiné ses résultats, l’équipe de recherche a conclu que les personnes atteintes de lésions hépatiques préexistantes étaient vraisemblablement plus susceptibles de présenter une inflammation hépatique liée au CBD. À ce propos, l’étude a cité comme référence une étude antérieure lors de laquelle des augmentations additionnelles des taux d’enzymes hépatiques s’étaient révélées plus probables chez les personnes présentant des taux élevés de celles-ci dès leur admission à l’étude sur le CBD. En revanche, les personnes dont les taux d’enzymes hépatiques étaient normaux au début de la même étude n’avaient pas tendance à voir ceux-ci augmenter durant l’étude.

Dépistage des lésions hépatiques lors des essais cliniques

À la lumière des résultats de cette étude et d’autres, cette équipe de recherche canadienne a offert les conseils suivants aux scientifiques qui mènent ou qui prévoient mener des études sur le CBD auprès de personnes vivant avec le VIH : avant de commencer à donner les produits médicinaux, il serait utile d’effectuer une échographie spécialisée du foie (Fibroscan) auprès des participant·e·s présentant des facteurs de risque de stéatose hépatique. Une fois l’étude commencée, il serait pertinent de surveiller étroitement les taux d’enzymes hépatiques « afin de détecter toute augmentation légère […] susceptible d’indiquer [une stéatose hépatique] non diagnostiquée ». Si aucun appareil Fibroscan n’est disponible, l’équipe de recherche a souligné qu’on pourrait avoir recours à un test sanguin simple (appelé Fibrosis-4 ou Fib-4) avant d’introduire les produits médicinaux contenant des cannabinoïdes. 

Conseils aux patient·e·s en matière d’innocuité

L’équipe de recherche encourage les médecins à parler de la toxicité potentielle des huiles de cannabinoïdes à leurs patient·e·s vivant avec le VIH qui souhaitent y avoir recours. Rappelons que les huiles de ce genre se vendent sans ordonnance au Canada.

Diabète

L’équipe de recherche a examiné les résultats d’autres études sur les cannabinoïdes et constaté que ces derniers n’augmentaient pas le risque de diabète. De plus, lors d’une étude menée auprès de personnes atteintes de diabète, l’exposition à des cannabinoïdes n’a causé aucune augmentation ou réduction significative de la glycémie. Ainsi, à propos des deux personnes diabétiques dont la glycémie a augmenté sous l’effet des cannabinoïdes durant son étude, l’équipe a conclu que la cause pourrait résider dans une combinaison des facteurs suivants :

  • problèmes de santé préexistants
  • consommation excessive d’alcool
  • interaction entre les nombreuses médications en cours (l’équipe n’a pas fourni de détails à ce sujet)

Recrutement

L’équipe de recherche a eu de la difficulté à atteindre la cible de recrutement qu’elle s’était fixée, soit 26 participant·e·s. Selon l’équipe, elle avait été obligée de limiter le recrutement à cause de problèmes d’approvisionnement se rapportant aux médicaments à l’étude. Il est possible que d’autres facteurs aient également eu un impact sur le recrutement.

À l’avenir

Cette étude constitue une étape importante de l’exploration de l’innocuité des cannabinoïdes chez les personnes séropositives. L’équipe de recherche estime toutefois que « beaucoup de travail additionnel est nécessaire pour comprendre l’innocuité et la tolérabilité [des cannabinoïdes] chez les personnes séropositives ». D’autres études sont également nécessaires pour déterminer les meilleures doses de CBD à prescrire à cette population.

Des analyses sur d’autres effets des cannabinoïdes — tel leur impact sur l’inflammation et l’activation immunitaire excessive, le nombre de cellules infectées par le VIH et l’équilibre des bactéries et champignons intestinaux — sont attendues de cette équipe à l’avenir.

—Sean R. Hosein

Ressource

Réseau canadien pour les essais VIH

RÉFÉRENCES :

  1. Mboumba Bouassa RS, Needham J, Nohynek D et al. Safety and tolerability of oral cannabinoids in people living with HIV on long-term ART: A randomized, open-label, interventional pilot clinical trial (CTNPT 028). Biomedicines. 2022 Dec 7;10(12):3168. 
  2. Furler MD, Einarson TR, Millson M et al. Medicinal and recreational marijuana use by patients infected with HIV. AIDS Patient Care STDS. 2004 Apr;18(4):215-28. 
  3. DeMarino C, Cowen M, Khatkar P et al. Cannabinoids reduce extracellular vesicle release from HIV-1 infected myeloid cells and inhibit viral transcription. Cells. 2022 Feb 18;11(4):723.
  4. Costiniuk CT, Jenabian MA. Cannabinoids and inflammation: implications for people living with HIV. AIDS. 2019 Dec 1;33(15):2273-2288.