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  • L’efficacité des traitements permet à plus de personnes séropositives d’atteindre un âge avancé
  • Une étude de l’Université Harvard tend à montrer que la démence deviendra un plus grand problème à mesure que cette population vieillira
  • Les politiques de santé publique devront inclure le dépistage de la démence et la prise en charge de cette population

La recherche a montré que les traitements contre le VIH (traitements antirétroviraux ou TAR) réduisent efficacement la quantité de virus dans le sang des personnes atteintes. Une charge virale inhibée entraîne une amélioration de la santé à long terme. Les données d’études prévoient de plus en plus que de nombreuses personnes séropositives sous TAR vivront jusqu’à un âge très avancé, pourvu qu’elles utilisent le traitement comme il se doit.

Bon nombre de ces études ont souligné particulièrement la baisse spectaculaire du nombre d’infections et de cancers liés au sida qui s’est produite dans les pays à revenu élevé depuis l’introduction du TAR en 1996. Cependant, comme les personnes séropositives vivent plus longtemps de nos jours grâce au TAR, elles sont sujettes aux mêmes problèmes de santé que les personnes âgées qui n’ont pas le VIH. Ces problèmes incluent la démence liée à l’âge, telle que celle associée à la maladie d’Alzheimer, ainsi que d’autres types de démence, comme celle causée par un apport sanguin insuffisant au cerveau (problème lié typiquement à une maladie cardiovasculaire).

Selon des scientifiques aux États-Unis, près de 40 % des personnes séropositives vivant dans ce pays avaient 55 ans ou plus en 2019. La proportion de personnes séropositives ayant plus de 70 ou de 80 ans va s’accroître au fil du temps. Cependant, au fur et à mesure que ces personnes atteindront une longévité à peu près normale, leur risque de démence liée à l’âge augmentera.

Étude de l’Université Harvard

Une équipe de recherche située principalement à l’Université Harvard a effectué une simulation informatique pour déterminer les conséquences du vieillissement chez des personnes séropositives et des personnes séronégatives. L’équipe s’est concentrée en particulier sur le risque de démence liée à l’âge. Elle s’est servie de données et de méthodes validées lors d’études antérieures.

Avant de faire la simulation, l’équipe de recherche a fait les hypothèses suivantes à l’égard de sa cohorte :

  • 75 % des personnes séropositives suivraient un TAR, et un minimum de 70 % d’entre elles auraient une charge virale inhibée;
  • Le compte de CD4+ moyen serait de 600 cellules/mm3;
  • 25 % des personnes séropositives ne suivraient pas de TAR, et leur compte de CD4+ moyen serait de 325 cellules/mm3.

L’équipe a incorporé dans sa simulation la probabilité qu’une faible proportion de personnes séropositives sous TAR cesseraient de fréquenter leur clinique et de prendre leur traitement. Certaines de ces personnes finiraient par recevoir à nouveau des soins et un traitement.

L’équipe de recherche a affirmé avoir incorporé des données se rapportant aux décès « dus à l’usage de substances, au racisme systémique, à la pauvreté et à d’autres obstacles structurels […] ».

Résultats

La simulation a permis à l’équipe de faire les prévisions suivantes :

Chez les hommes

Selon la simulation, le risque de démence liée à l’âge serait le suivant pour un homme séropositif âgé aujourd’hui de 60 ans :

  • à l’âge de 70 ans : 9 %
  • à l’âge de 80 ans : 16 %
  • risque à vie : 34 %

Voici les chiffres correspondants pour un homme séronégatif de 60 ans :

  • à l’âge de 70 ans : 5 %
  • à l’âge de 80 ans : 16 %
  • risque à vie : 34 %

Chez les femmes

Selon la simulation, le risque de démence liée à l’âge serait le suivant pour une femme séropositive âgée aujourd’hui de 60 ans :

  • à l’âge de 70 ans : 5 %
  • à l’âge de 80 ans : 16 %
  • risque à vie : 28 %

Voici les chiffres correspondants pour une femme séronégative de 60 ans :

  • à l’âge de 70 ans : 3 %
  • à l’âge de 80 ans : 13 %
  • risque à vie : 40 %

Même si ces chiffres semblent élevés, ils sont fondés sur des données recueillies auprès d’un échantillon représentatif de la population séronégative.

Espérance de vie

Selon les prévisions générées par la simulation informatique, la démence liée à l’âge pourrait réduire de quatre ans l’espérance de vie des hommes séropositifs. Chez les femmes séropositives, la perte d’années serait plus grande, soit jusqu’à neuf ans. Selon l’équipe de recherche, des études ont permis de constater que les femmes séropositives « courent souvent un risque de mortalité non liée au VIH considérablement plus élevé que les femmes de la population générale ».

À retenir

La simulation informatique prévoyait que 34 % des hommes séropositifs âgés aujourd’hui de 60 ans courraient en fin de compte le risque de présenter une démence liée à l’âge dans leur vie. Le risque serait le même chez les hommes séronégatifs.

Pour les femmes séropositives âgées aujourd’hui de 60 ans, la simulation prévoyait un risque de démence à vie de 28 % (contre 40 % chez les femmes séronégatives). Comme nous l’avons déjà mentionné, les femmes séropositives font face à de nombreux obstacles à une bonne santé qui font baisser leur taux de survie. Comme davantage de femmes séropositives décédaient plus jeunes lors de la simulation, moins d’entre elles présentaient un risque de démence liée à l’âge, d’où la disparité dans le « risque à vie » entre les femmes séropositives et les femmes séronégatives.

Selon l’équipe de recherche, les explications de la réduction de l’espérance de vie des personnes séropositives se rapporteraient probablement à l’un ou à plusieurs des facteurs suivants (dont certains se trouvent plus fréquemment chez les personnes vivant avec le VIH en raison d’une association de facteurs de risque communs, de traumatisme, de stigmatisation et de discrimination) :

  • tabagisme
  • trouble lié à l’usage de substances
  • maladie mentale grave
  • « déterminants sociaux de la santé défavorables »

L’équipe a également souligné que des infections potentiellement mortelles se produisaient plus fréquemment chez des personnes séropositives n’ayant pas recours au TAR.

Autre étude

Dans le nord de la Californie, une équipe de l’organisation de soins de santé intégrés Kaiser Permanente a mené une étude pour comparer le risque de démence chez 13 296 personnes séropositives et 155 354 personnes séronégatives entre 2000 et 2016. L’équipe de recherche a découvert que le risque global de démence était presque double chez les personnes séropositives que chez les personnes séronégatives. Cette différence s’est maintenue jusqu’à la dernière année de l’étude.

Interventions

Pour améliorer l’espérance de vie et réduire le risque de démence liée à l’âge, l’équipe de Harvard a affirmé que « des interventions pour contrer les déterminants sociaux de la santé défavorables, réduire le tabagisme et traiter les troubles liés à l’usage de substances sont donc essentielles […] ».

Des analyses effectuées auprès de personnes séronégatives ont révélé que les interventions visant l’atténuation des facteurs de risque cardiovasculaires (lesquels contribuent au risque de démence liée à l’âge) peuvent être efficientes. Des analyses semblables devront être effectuées auprès de personnes séropositives.

L’équipe de recherche a également mentionné ce qui suit :

  • Les personnes séropositives « se heurtent souvent à des obstacles structurels aux soins » et ont besoin d’aide pour les surmonter.
  • Les lignes directrices nationales sur les soins aux personnes séropositives doivent inclure des recommandations concernant le dépistage de la déficience cognitive.
  • « De nombreuses personnes séropositives font face à la stigmatisation dans les établissements offrant des soins aux personnes âgées ». L’équipe souligne la nécessité pour les décideur·euse·s de politiques de santé publique de tenir compte de ce problème lorsque des programmes et des services sont conçus à l’intention des personnes séropositives âgées.

Limites de l’étude

Aucune simulation n’est parfaite, et cette équipe de Harvard a reconnu que la sienne reposait de manière disproportionnée sur des données se rapportant à des personnes blanches.  

Il est également important de prendre en considération des problèmes comme la pandémie de COVID-19 et le nombre croissant de décès dus à la contamination de l’approvisionnement en drogues.

Les simulations futures devront au moins tenir compte de ces enjeux.

Autres études intéressantes

De plus en plus, on entend parler d’études conçues pour prévoir le risque de démence liée à l’âge chez des groupes de personnes séronégatives. Dans le cadre de certaines d’entre elles, on mesure les taux de protéines présents dans des échantillons de sang entreposés une décennie ou davantage avant l’apparition de la démence. On peut se servir de ce genre de mesures pour calculer rétrospectivement le risque de démence liée à l’âge. Les résultats de telles études devraient être considérés comme prometteurs, mais expérimentaux, car ils devront être validés auprès de dizaines de milliers de personnes. Ces études doivent également inclure davantage de personnes séropositives.

Si l’on découvre que les taux de certaines protéines analysées permettent de prévoir un risque accru de démence liée à l’âge, ces mesures pourront servir éventuellement au dépistage de ce trouble. Les personnes présentant un risque élevé de démence liée à l’âge pourraient être testées et traitées (ou leur traitement pourrait être optimisé) pour les maladies suivantes :

  • hypertension
  • diabète de type 2
  • hypercholestérolémie
  • fréquence cardiaque anormale

De plus, des tests de dépistage et des traitements contre les problèmes suivants pourraient être offerts au besoin :

  • troubles de santé mentale
  • tabagisme
  • troubles liés à l’usage de substances

Les soins cliniques pour le VIH ont évolué énormément depuis 40 ans dans de nombreux pays à revenu élevé. Avant l’introduction à grande échelle du TAR, les soins visaient surtout à prévenir et à traiter les infections potentiellement mortelles. Dans le contexte actuel, à mesure que plus de personnes séropositives vivent longtemps grâce au TAR, il est essentiel que leurs soins incluent le dépistage de la démence et de ses facteurs de risque, ainsi que l’instauration d’interventions lorsque cela est nécessaire.

—Sean R. Hosein

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