Certaines femmes séropositives vivant au Canada répondent moins bien à la thérapie

Les combinaisons de médicaments puissants contre le VIH (couramment appelées TAR ou multithérapie) peuvent améliorer et maintenir la santé des personnes qui s’en servent. Au Canada et dans les pays semblables, les chercheurs ont constaté que les bienfaits de la TAR sont tellement importants que les taux d’infections et de mortalité liées au sida ont considérablement diminué depuis 1996. En effet, les chercheurs prévoient que les jeunes adultes infectés aujourd’hui qui sont diagnostiqués et traités rapidement peuvent s’attendre à survivre plusieurs décennies, pourvu qu’ils s’impliquent dans leurs soins et traitements et qu’ils n’aient pas de comorbidité (dépression non traitée ou mal maîtrisée, schizophrénie, dépendances ou co-infections).

Accent sur les femmes

Bien que le nombre de maladies et de décès attribuables au sida ait énormément diminué, d’autres tendances troublantes persistent. Par exemple, au cours de la dernière décennie, des milliers de nouvelles infections par le VIH se sont produites au Canada, et les femmes constituent maintenant 25 % de la population vivant avec cette infection. À titre de comparaison, rappelons que les femmes ne représentaient que 12 % des cas de VIH durant les deux premières décennies de l’épidémie au Canada.

Portrait de trois provinces — résumé

Des chercheurs dans trois provinces — Colombie-Britannique, Ontario et Québec — ont récemment analysé des données de santé recueillies auprès de 5 442 personnes séropositives depuis l’an 2000. Les chercheurs ont découvert que les femmes commençaient généralement la TAR dès un âge plus jeune que les hommes et étaient plus susceptibles de dévoiler qu’elles s’injectaient des drogues. Toutefois, peu importe leurs antécédents de consommation de drogues injectables, les femmes figurant dans cette étude étaient moins susceptibles que les hommes d’obtenir une charge virale en VIH de moins de 50 copies/ml. De plus, même si elles réussissaient à faire baisser leur charge virale sous la barre des 50 copies, les femmes étaient plus susceptibles de connaître une telle maîtrise virologique de façon temporaire, car leur charge virale finissait par dépasser de nouveau les 1 000 copies/ml.

Réduire la quantité de VIH dans le sang (charge virale) jusqu’au niveau le plus faible possible et le maintenir ainsi est l’objectif principal de la TAR. Une telle réduction de la production de VIH permet au système immunitaire de se réparer partiellement et favorise habituellement une amélioration de la santé générale des patients.

Détails de l’étude

Les chercheurs ont analysé les données de santé recueillies auprès de 5 442 personnes séropositives dont la répartition selon le sexe était la suivante :

  • hommes – 4 322
  • femmes – 1 120

Les renseignements des participants ont été ajoutés à la base de données lorsqu’ils ont commencé la TAR. Cette base de données particulière s’appelle la CANOC, et elle recueille de l’information auprès de cliniques importantes en Colombie-Britannique, en Ontario et au Québec.

Les chercheurs travaillant avec la base de données CANOC ont recherché des différences entre la réponse à la TAR chez les hommes et les femmes.

Résultats

En général, avant de commencer la TAR, les femmes avaient tendance à être plus jeunes (36 ans) que les hommes (41 ans) et avaient une charge virale plus faible (40 000 copies/ml chez les femmes contre 79 000 chez les hommes). De plus, davantage de femmes (44 %) que d’hommes (29 %) affirmaient avoir utilisé des drogues injectables. Les femmes étaient plus susceptibles d’être co-infectées par le virus de l’hépatite C (VHC) que les hommes.

Consommation de drogues ou pas

Qu’elles aient dévoilé ou pas des antécédents de consommation de drogues injectables, les femmes étaient susceptibles de répondre moins favorablement à la TAR que les hommes. Autrement dit, leur charge virale était moins susceptible de passer sous le seuil de détection de 50 copies/ml.

De plus, les femmes qui réussissaient à faire supprimer leur charge virale sous la barre des 50 copies étaient plus susceptibles que les hommes de voir celle-ci remonter au-dessus des 1 000 copies/ml.

Malgré ces observations, les chercheurs n’ont pas réussi à détecter aucune différence entre la survie des hommes et celle des femmes.

Raisons des différences

Les chercheurs ont fondé leur étude sur les dossiers médicaux sauvegardés dans la base de données CANOC. Comme les dossiers de ce genre sont relativement incomplets, ils ne peuvent donner de raison précise pour les différences observées. On peut néanmoins avancer quelques explications possibles :

1. Cette étude portait sur un nombre relativement élevé de femmes ayant des antécédents d’utilisation de drogues injectables. Cela est probablement attribuable au recrutement de nombreuses femmes en Colombie-Britannique, province où les taux d’utilisation de drogues parmi les personnes séropositives sont généralement plus élevés qu’ailleurs au Canada.

2. L’étude CANOC a des limitations — les données ont été recueillies et analysées dans trois provinces. De plus, les données collectées en Colombie-Britannique incluaient toutes les personnes séropositives recevant un traitement dans cette province, alors que les données des autres provinces ont été recueillies dans des cliniques sélectionnées.

3. Aucune information concernant l’observance thérapeutique de la TAR n’a été fournie.

4. Certains dossiers médiaux étaient peut-être incomplets, surtout en ce qui concerne les éventuels antécédents de consommation de drogues injectables des patients.

5. Les dossiers médicaux ne reflétaient pas tous les décès survenus parmi les participants.

Mise en perspective

Malgré ses limitations, cette étude révèle clairement que certaines femmes séropositives recevant des soins ne connaissent pas les meilleurs résultats possibles de la TAR. Il est probable que de nombreux facteurs influençaient la santé des femmes séropositives figurant dans cette étude, y compris la violence conjugale, la priorisation des soins des autres membres de la famille, l’isolement social et ses conséquences (anxiété et dépression). Quelles que soient les raisons sous-jacentes des différences entre les sexes observées dans cette analyse, les résultats ont découvert un enjeu troublant. Il faut que d’autres études soient menées au niveau clinique dans au moins les trois provinces ayant contribué à cette étude afin d’évaluer les raisons pour la réponse virologique moins favorable obtenue par les femmes. De telles études pourraient servir de point de départ à une stratégie visant à améliorer la santé des femmes séropositives du Canada.

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCE :

Cescon A, Patterson S, Chan K, et al. Gender differences in clinical outcomes among HIV-positive individuals on antiretroviral therapy in Canada: a multisite cohort study. PLoS One. 2013 Dec 31;8(12):e83649.