L’étude Saturn : la rosuvastatine à faible dose chez les personnes séropositives

L’infection au VIH est associée à un risque accru de maladies cardiovasculaires, y compris la crise cardiaque et l’accident vasculaire cérébral ou AVC. Ce risque est sans doute alimenté par plusieurs facteurs, dont le VIH lui-même, des changements dans le système immunitaire et l’inflammation. La prise d’une combinaison de médicaments anti-VIH puissants (couramment appelée thérapie antirétrovirale ou TAR) peut réduire considérablement l’inflammation liée au VIH et améliorer l’état de santé général, mais des mesures additionnelles sont nécessaires pour réduire le risque de maladies cardiovasculaires. Pour en savoir plus, consultez le feuillet d’information de CATIE intitulé « Le VIH et la maladie cardiovasculaire ».

Des études menées dans le passé auprès de milliers de participants ont permis de constater que les taux élevés de certaines protéines dans le sang étaient associés à un risque accru de complications graves et de mortalité parmi les personnes séropositives. Les protéines en question incluent les suivantes :

  • protéine C-réactive de haute sensibilité (hsCRP)
  • interleukine-6 (IL-6)
  • D-dimère

De nombreuses équipes de recherche étudient actuellement des façons de réduire l’inflammation excessive chez les utilisateurs de la TAR.

Chez les personnes séronégatives, l’utilisation de certains médicaments contre le cholestérol appelés statines, tels que l’atorvastatine (Lipitor) et la rosuvastatine (Crestor), s’est révélée utile pour réduire le taux de protéines sanguines associées à l’inflammation et à l’activation immunitaire.

Des chercheurs à Cleveland, aux États-Unis, mènent actuellement une étude appelée Saturn. Cette dernière a été conçue pour évaluer l’impact de la rosuvastatine à faible dose (10 mg/jour) contre un placebo chez des personnes séropositives ayant un taux normal de cholestérol mais un taux élevé d’inflammation ou d’activation immunitaire.

Les résultats provisoires de l’étude Saturn n’indiquent aucun signe de méfaits causés par l’exposition à la faible dose de rosuvastatine. Cela ne devrait étonner personne, car la rosuvastatine à faible dose est généralement bien tolérée. De plus, les participants qui recevaient la rosuvastatine ont bénéficié d’une baisse considérable de leur taux de mauvais cholestérol (LDL-C). Toutefois, le taux de la plupart des protéines et marqueurs associés à l’inflammation et à l’activation immunitaire n’ont pas changé de façon appréciable. L’étude Saturn se poursuit, et d’autres résultats sont attendus dans les années à venir.

Détails de l’étude

Les chercheurs ont inscrit des adultes séropositifs présentant un taux de LDL-C normal mais des taux élevés d’inflammation et d’activation des cellules T déterminés par tests sanguins. Tous les participants suivaient une TAR et ont été affectés au hasard à deux groupes pour recevoir l’un des traitements suivants :

  • 72 personnes : rosuvastatine 10 mg (une pilule par jour)
  • 75 personnes : rosuvastatine factice (placebo, une pilule par jour)

Le profil moyen des participants au début de l’étude était le suivant :

  • âge : 47 ans
  • 78 % d’hommes, 22 % de femmes
  • compte de cellules CD4+ : 613 cellules/mm3
  • charge virale en VIH de moins de 50 copies/ml : 76 %
  • durée de l’infection au VIH : 12 ans

Résultats

À la 24e semaine de l’étude, le taux de LDL-C avait baissé de 28 % chez les utilisateurs de la rosuvastatine, comparativement à une augmentation de 4 % chez les personnes recevant le placebo.

Les mesures des taux de lipides sanguins couramment évalués, tels que le bon cholestérol (HDL-C) et les triglycérides, n’ont révélé aucune différence significative entre les participants traités par rosuvastatine et les participants recevant le placebo.

Les chercheurs ont trouvé que la rosuvastatine aidait à ralentir considérablement le déclin de la capacité des reins de filtrer le sang, comparativement au placebo. Ce résultat concernant la préservation de la fonction rénale est important. Quand la rosuvastatine faisait ses débuts il y a plus d’une décennie, les patients en prenaient des doses bien plus élevées qui nuisaient à la santé rénale. Cependant, la présente étude et d’autres essais récents ont confirmé l’innocuité globale de la rosuvastatine à faible dose.

Inflammation

Les chercheurs ont effectué de nombreuses analyses des protéines sanguines et des marqueurs associés à l’inflammation et à l’activation immunitaire. Chose surprenante, aucune différence significative n’a été constatée entre le groupe rosuvastatine et le groupe placebo quant aux changements dans ces marqueurs. Notons que des études antérieures de plus faible envergure menées auprès de personnes séropositives avaient révélé de faibles changements dans ces marqueurs.

Un marqueur inhabituel

Ayant échoué à découvrir des changements dans les évaluations habituelles de l’inflammation et de l’activation immunitaire, les chercheurs se sont concentrés sur une protéine peu utilisée appelée phospholipase A2 associée aux lipoprotéines (Lp-PLA2). Le taux de cette protéine a chuté de 10 % parmi les utilisateurs de la rosuvastatine, comparativement à 2 % chez les personnes recevant le placebo; cette différence est significative du point de vue statistique. D’autres chercheurs ont toutefois remis en question l’éventuel impact de cette différence sur la santé des patients. Autrement dit, ce changement avait-il une signification clinique quelconque? Notons que le taux de Lp-PLA2 n’est pas évalué de façon routinière, ni le cadre des soins et du traitement des personnes séropositives, ni dans les essais cliniques sur le VIH.

À propos de la Lp-PLA2, il vaut la peine de mentionner que le médicament expérimental darapladib a été évalué chez des personnes séronégatives dans un essai clinique contrôlé contre placebo appelé Stability. Ce médicament réduit le taux Lp-PLA2, et les chercheurs avaient espéré qu’il aurait un impact sur les événements cardiovasculaires comme la crise cardiaque, l’AVC et d’autres. Malheureusement, le darapladib n’a pas eu l’effet souhaité sur les événements cardiovasculaires lors de l’étude Stability. Il faut donc faire preuve de prudence lorsqu’on évalue les changements dans le taux de Lp-PLA2 et que l’on tente de prévoir la santé future des patients en fonction de ces changements.

Vers l’avenir

Comme nous l’avons mentionné, l’étude Saturn se poursuit, et les chercheurs prévoient d’autres analyses, notamment des échographies des artères du cou. Les évaluations de ce genre permettent de mesurer le rétrécissement des artères attribuable aux maladies cardiovasculaires et constituent donc une méthode soigneusement validée pour prévoir le risque d’événements futurs comme l’AVC.

Même si l’essai Saturn et d’autres études révèlent à la longue que les statines ne suppriment pas significativement l’inflammation liée au VIH, elles auront fourni des données précieuses. Ces données inciteront peut-être les chercheurs à s’interroger sur la source de l’inflammation excessive chez les personnes séropositives et à mener d’autres expériences pour aborder les questions suivantes :

  • L’inflammation excessive est-elle liée aux cellules T ou à d’autres cellules immunitaires telles les monocytes et/ou les macrophages?
  • L’inflammation excessive est-elle causée directement par le VIH ou ses protéines et leurs effets sur le système immunitaire?
  • Y a-t-il d’autres microbes, particulièrement les virus de l’herpès, qui jouent un rôle dans l’inflammation excessive observée chez les personnes séropositives?

—Sean R. Hosein

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