Intrigante modification observée au niveau des facultés cognitives

Une équipe de chercheurs à l’Université de la Californie à San Diego (UCSD) étudie les problèmes cérébraux liés au VIH depuis de nombreuses années. Lors d’études menées dans le passé, l’équipe UCSD a documenté la présence de déficiences neurocognitives légères liées au VIH chez quelques patients sous thérapie antirétrovirale (TAR). Notons qu’il s’agissait alors généralement d’études transversales, ce qui veut dire que les chercheurs évaluaient les participants à un moment précis dans le temps. Les chercheurs de l’UCSD ont récemment mené une étude plus pertinente. Ils ont fait le suivi des changements neurocognitifs survenus chez plus de 300 personnes séropositives sur une période minimale de quatre ans. L’équipe a constaté que certains participants qui présentaient initialement de légères lésions cérébrales asymptomatiques couraient un risque considérablement accru d’éprouver subséquemment des symptômes de déficience neurocognitive liée au VIH.

Avis aux lecteurs

Nous comprenons que certains de nos lecteurs risquent de trouver ces résultats inquiétants. Sachez cependant que nous expliquons et mettons en contexte les résultats de l’étude de l’UCSD plus loin dans ce rapport. De plus, il est important de souligner que toutes les personnes vivant à l’époque actuelle ne connaîtront pas nécessairement de déficience neurocognitive (causée par le VIH). Aussi dans ce numéro de TraitementSida, nous présentons des données sur les moyens que les chercheurs explorent actuellement dans l’espoir de réparer les lésions cérébrales liées au VIH. Nos lecteurs devraient noter que les résultats préliminaires d’une étude canadienne en cours laissent croire qu’il est possible de renverser le cours du déclin de la fonction neurocognitive qui se produit parfois en présence du VIH. Avant de parler de cette étude-là, cependant, examinons en détail l’étude menée à San Diego.

Détails de l’étude

Les chercheurs ont analysé des données recueillies auprès de 347 participants séropositifs inscrits à une étude par observation d’envergure appelée étude CHARTER (acronyme de l'anglais CNS HIV Anti-Retroviral Therapy Effects Research). Les 347 participants subissaient une évaluation exhaustive de leur fonction neurocognitive tous les six mois, en plus de se soumettre à des évaluations axées sur le VIH et leur état immunologique. De plus, les chercheurs ont effectué des ponctions lombaires afin de recueillir des échantillons de liquide céphalorachidien (LCR – liquide entourant le cerveau et la moelle épinière).

Les participants ont été suivis pendant quatre ans en moyenne.

Au début de l’étude, les 347 participants répondaient aux critères suivants :

  • déficience neurocognitive asymptomatique – 121 personnes
  • état neurocognitif normal – 226 personnes

Les chercheurs ont demandé aux participants de décrire leur capacité à accomplir leurs activités quotidiennes. À la demande des chercheurs, les participants détenant un emploi devaient décrire tout changement dans leur productivité, la précision ou la qualité de leur travail, ainsi que l’effort nécessaire pour accomplir leurs tâches. On utilise le terme auto-évaluation pour décrire ce genre d’analyse effectué par les participants.

Les psychologues savent que l’auto-évaluation n’est pas toujours une méthode fiable pour les raisons suivantes, entre autres :

  • déni
  • perte de perspicacité
  • altération du comportement pour éviter les défis

Comme elle était au courant de ces problèmes, l’équipe de l'étude CHARTER a également conçu ses propres évaluations du fonctionnement quotidien des participants; on appelle celles-ci des mesures basées sur la performance.

Voici le profil moyen des participants au début de l’étude :

  • âge – 43 ans
  • sexe – 82 % d’hommes, 18 % de femmes
  • années de scolarité – 13
  • diagnostic antérieur de consommation de drogues/alcool – 70 %
  • diagnostic antérieur de dépression majeure – 50 %
  • compte de CD4+ – 440 cellules/mm3
  • TAR en cours – 70 %
  • proportion de participants ayant une charge virale dans le sang de moins de 50 copies/ml – 43 %
  • proportion de participants ayant une charge virale dans le LCR de moins de 50 copies/ml – 68 %
  • durée estimée de la séropositivité – 10 ans
  • proportion de participants ayant la co-infection au virus de l’hépatite C (VHC) – 24 %

Résultats — globalement

À la lumière de l’ensemble des mesures — auto-évaluations, mesures basées sur la performance ou une combinaison des deux — les chercheurs ont constaté une association significative entre la présence d’une déficience neurocognitive asymptomatique et un risque accru d’éprouver subséquemment des symptômes d’une telle déficience.

Résultats — participants ayant une faible charge virale

Lorsque les chercheurs ont restreint leur analyse aux personnes ayant une charge virale sanguine de moins de 50 copies/ml, ils ont constaté que le risque de présenter des symptômes de déficience neurocognitive était toujours présent et répondait aux critères de la signification statistique.

Poursuivant leur analyse détaillée des participants ayant une faible charge virale (moins de 50 copies/ml), les chercheurs ont découvert que les auto-évaluations de ce sous-groupe n’atteignaient pas la signification statistique quant à leur capacité de prédire le déclin du cerveau, peut-être pour les raisons déjà mentionnées (voir  la section Détails de l’étude).

Facteurs à signaler

Par ailleurs, ayant tenu compte du QI, du nadir du compte de CD4+ et du nombre d’années de scolarité, les chercheurs ont constaté que la déficience neurocognitive asymptomatique était toujours associée à une augmentation du risque d’éprouver subséquemment des symptômes de ce problème.

Analyse détaillée

Selon l’équipe de recherche, les participants qui ont fini par présenter des symptômes d’une fonction neurocognitive perturbée avaient commencé l’étude avec le statut neurocognitif suivant dans les proportions indiquées :

  • déficience asymptomatique au début de l’étude – 50 %
  • fonction neurocognitive normale – 22 %

De façon générale, les chercheurs ont constaté que les personnes présentant une déficience neurocognitive au début de l’étude étaient plus susceptibles d’éprouver plus tard des symptômes de cette déficience. Certains participants sont même devenus quelque peu handicapés à cause de l’aggravation de leur déficience neurocognitive.

Dans l’ensemble, les chercheurs ont trouvé que les participants dont la fonction neurocognitive s’est détériorée au cours de l’étude avaient tendance à correspondre au profil suivant :

  • « [ils] étaient plus âgés, moins scolarisés, majoritairement des femmes, plus susceptibles [d’avoir reçu un diagnostic] de trouble de consommation [à un moment donné de leur vie] et avaient plus que des comorbidités [minimes]… »

Points à prendre en considération

1. Les résultats de la présente étude révèlent que certaines personnes séropositives qui présentent une déficience neurocognitive initialement asymptomatique courent un risque accru — entre deux et six fois plus élevé — d’éprouver subséquemment des symptômes liés à cette déficience.

2. Quoiqu’importants, les résultats de cette étude ne s’appliquent pas nécessairement à toutes les personnes séropositives pour les raisons suivantes :

  • L’analyse a porté sur un nombre relativement faible de participants.
  • La question de l’incapacité (causée par la déficience neurocognitive) n’a pas été explorée complètement par l’équipe de recherche, et l’étude n’a pas fourni de données indiquant si les symptômes de l’incapacité ont changé au fil du temps ou pas.
  • L’étude principale — CHARTER — a porté spécifiquement sur la maladie neurologique liée au VIH. En raison de cette particularité, il est possible que l’étude ait attiré par inadvertance des participants qui s’inquiétaient des problèmes neurocognitifs ou qui y étaient prédisposés. Une étude de plus grande envergure et de plus longue durée doit être menée dans une région géographique plus diversifiée afin de confirmer les résultats rapportés. En plus d'être coûteuse, une telle étude prendrait de nombreuses années à être complétee et devrait comporter des participants très motivés.

3. Sexe – Durant la présente étude, les femmes étaient près de trois fois plus susceptibles d’éprouver des symptômes de déficience neurocognitive. Cette différence pourrait être attribuable au fait que les femmes inscrites à cette étude étaient moins scolarisées et plus sujettes à la consommation de drogues et d’alcool que les hommes. Les responsables des études futures devront tenir compte des facteurs liés au sexe lorsqu’ils évalueront les facultés neurocognitives des participants.

Que faire?

Forts de leur expérience très importante de l’étude des problèmes cérébraux liés au VIH, les chercheurs de San Diego recommandent que les déficients neurocognitifs asymptomatiques fassent l’objet d’un suivi plus assidu du fait du risque accru d’incapacité encourue liée au VIH.

Les résultats de la présente étude devraient être considérés comme préliminaires et intrigants. De plus, nos lecteurs devraient retenir ceci : bien que 51 % des personnes dont la déficience neurocognitive était initialement asymptomatique aient vu leur état se détériorer, on peut en dire autant des 22 % des participants dont l’état neurocognitif avait été qualifié de normal au début de l’étude.

Point de vue indépendant

Après avoir examiné les données de cette étude, les neuroscientifiques américains Steven Albert, PhD, et Eileen Martin, PhD, se sont posé la question suivante :

« Est-il possible que l’apparition de la déficience neurocognitive et de l’incapacité qui en découle soit une caractéristique de l’infection au VIH en général, malgré la [TAR], la suppression virale et les soins médicaux? »

Lors de l’étude en question, l’âge moyen des participants dont l’état neurocognitif a été qualifié de normal au début était de 43 ans, la majorité avait terminé l’école secondaire et leur QI se situait dans la plage normale.

À la lumière de ces faits, les neuroscientifiques se sont posé la question troublante suivante :

« De pair avec la poursuite du suivi, la majorité des participants à l’étude CHARTER ayant reçu initialement un diagnostic d’état neurocognitif normal va-t-elle finir par éprouver des symptômes de déficience et d’incapacité neurocognitive lorsque ces personnes auront atteint leur quarantaine ou cinquantaine? »

Il n’est par ailleurs pas clair si ou comment les résultats de cette étude s’appliquent à d’autres groupes de personnes séropositives, dont les suivants :

  • les personnes n’ayant pas consommé de drogues/alcool
  • les personnes n’ayant jamais fait l’objet d’un diagnostic de sida

Dans d’autres sections de ce numéro de TraitementSida, nous rendons compte d’interventions que les chercheurs évaluent actuellement dans l’espoir d'en arriver à réduire le risque de déficience neurocognitive ou de corriger celle-ci lorsqu’elle se produit.

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

  1. Grant I, Franklin DR Jr, Deutsch R, et al. Asymptomatic HIV-associated neurocognitive impairment increases risk for symptomatic decline. Neurology. 2014 Jun 10;82(23):2055-62.
  2. Albert SM, Martin EM. HIV and the neuropsychology of everyday life. Neurology. 2014 Jun 10;82(23):2046-7.