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Situés au cœur de nos cellules, les chromosomes sont les structures qui contiennent nos données génétiques, c'est-à-dire nos gènes. Les extrémités des chromosomes s'appellent les télomères. Chaque fois qu'une cellule se divise en deux pour faire une copie d'elle-même, les télomères deviennent un peu plus courts. Les chercheurs ont observé que nos télomères raccourcissent à mesure que nous vieillissons, comparativement à ceux des personnes plus jeunes.
Dans le cadre des expériences de laboratoire, les cellules aux télomères raccourcis fonctionnent moins bien que les cellules dotées de télomères plus longs.
Les chercheurs ont découvert des télomères raccourcis chez les groupes suivants lors d'examens des cellules du système immunitaire :
Lors de toute infection, il se produit de l'inflammation, et les cellules du système immunitaire s'activent et se mobilisent. Les cellules T se divisent à plusieurs reprises, créant un grand nombre de cellules pour combattre et contenir l'infection. Chaque fois qu'une cellule T se divise dans le sang pour former de nouvelles cellules, ses télomères raccourcissent et font moins efficacement leur travail, qui consiste à protéger l'organisme contre les infections et les cancers.
Lors des infections virales de courte durée, les télomères des cellules T ne raccourcissent pas de façon significative parce que ces cellules peuvent produire une enzyme (télomérase) qui aide à maintenir la longueur des télomères. Cependant, l'efficacité de la télomérase s'estompe avec le temps et le vieillissement des personnes, et les télomères deviennent plus courts en conséquence.
La télomérase contient une faible quantité d'une enzyme appelée transcriptase inverse (TI). Cette dernière est également utilisée par les cellules infectées par le VIH. Les médicaments appelés analogues nucléosidiques (inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse) et analogues non nucléosidiques interfèrent avec l'activité de la TI. Certains chercheurs croient par conséquent que les analogues nucléosidiques (et possiblement les analogues non nucléosidiques) inhibent l'activité de la télomérase et l'empêchent de maintenir la longueur des télomères dans les cellules du système immunitaire, particulièrement les cellules CD8+. Rappelons que ces cellules constituent les principaux moyens qui permettent à l'organisme de combattre les cellules infectées par des virus et les tumeurs.
L'équipe australienne a obtenu des échantillons de sang auprès de participants séropositifs qui suivaient une multithérapie contenant les analogues nucléosidiques suivants :
Après avoir évalué diverses concentrations de ces analogues nucléosidiques dans des cultures de cellules immunitaires, les chercheurs ont constaté que tous les médicaments inhibaient l'enzyme télomérase. Le ténofovir a toutefois été le seul à le faire lorsqu'il était présent en des concentrations qu'il était possible d'atteindre avec l'administration orale. De plus, les cellules cultivées dans le laboratoire en présence du ténofovir avaient des télomères raccourcis.
Dans les cas où il y a une exposition possible au VIH, les médecins peuvent prescrire une combinaison de médicaments anti-VIH qu'il faut prendre pendant 28 jours consécutifs. On appelle ce traitement la prophylaxie post-exposition (PPE). De façon générale, si l'on commence la PPE dans les 72 heures suivant l'exposition au VIH, elle peut aider à contenir le virus et empêcher que la personne concernée soit infectée. Les combinaisons utilisées en prophylaxie post-exposition varient d'une région à l'autre mais consistent généralement en deux ou trois agents anti-VIH.
L'équipe australienne a recueilli des échantillons de sang avant, pendant et après la PPE auprès de 11 personnes séronégatives qui avaient pris deux des analogues nucléosidiques suivants :
Certains participants ont aussi pris les inhibiteurs de la protéase lopinavir et ritonavir sous forme de co-formulation à dosages fixes appelée Kaletra (une seule pilule contenant les deux médicaments).
Les techniciens n'ont constaté aucune différence significative dans la longueur des télomères avant, pendant ou après la PPE. Cela laisse croire que l'exposition à court terme aux analogues nucléosidiques n'a pas d'impact important sur les télomères.
Lors d'une autre étude menée en Colombie-Britannique, des chercheurs canadiens dirigés par Hélène Côté, PhD, ont évalué l'impact des analogues nucléosidiques sur les télomères d'enfants, tant séropositifs que séronégatifs, nés de mères séropositives. Ils ont ensuite comparé les télomères de ces enfants à ceux d'enfants nés de mères séronégatives. Dans l'ensemble, ils n'ont constaté aucune différence dans la longueur des télomères. En ce qui concerne les bébés exposés à des analogues nucléosidiques durant la grossesse, cela confirme les résultats de l'équipe australienne, à savoir que l'exposition à court terme aux analogues nucléosidiques n'a pas d'impact sur la longueur des télomères.
L'équipe a plus tard évalué la longueur des télomères d'enfants séropositifs âgés de 19 ans ou moins. Ils ont découvert que les enfants ayant une charge virale détectable avaient tendance à avoir des télomères plus courts. Cela porte à croire que c'est le VIH lui-même qui provoque le raccourcissement des télomères et non la multithérapie.
Revenons à l'étude australienne : les chercheurs ont recueilli des cellules immunitaires auprès de 36 personnes séropositives sous multithérapie. Les participants en question suivaient une multithérapie depuis au moins un an, période durant laquelle leur charge virale est restée sous le seuil des 50 copies/ml. Les chercheurs ont également obtenu des cellules immunitaires auprès de 42 personnes séronégatives en bonne santé dont l'âge se comparait à celui du groupe séropositif.
Les chercheurs ont constaté que les personnes séropositives avaient un taux de télomérase plus faible. De plus, les télomères étaient significativement plus courts dans les cellules de ces personnes.
Les chercheurs ont également trouvé que les personnes séropositives âgées avaient des télomères plus courts que les personnes séronégatives d'âge comparable.
1. Vu les limitations inhérentes à la conception de cette étude (il s'agissait d'une étude transversale), les chercheurs australiens n'ont pas été en mesure de prouver que l'exposition aux analogues nucléosidiques, et plus particulièrement au ténofovir, était la cause principale du raccourcissement des télomères dans les cellules immunitaires des personnes séropositives.
2. Lors de certaines expériences, le nombre d'échantillons évalués était relativement faible, alors ces résultats devront être confirmés par une autre étude.
3. Les chercheurs australiens se sont concentrés sur la longueur des télomères. Il faudrait cependant effectuer des tests pour prouver que le raccourcissement des télomères observé chez les personnes sous multithérapie a un impact, comme l'affaiblissement des fonctions des cellules immunitaires, par exemple. Aucune évaluation de ce genre n'a été effectuée par les chercheurs.
4. Les cellules immunitaires évaluées (principalement des cellules T) provenaient de ce que les immunologues appellent la périphérie, c'est-à-dire le sang. Or, la vaste majorité des cellules T de l'organisme se trouvent dans les ganglions et les tissus lymphatiques et pas dans le sang. De plus, les cellules T présentes dans le sang en sont souvent à la fin de leur cycle de vie et risquent de ne pas être entièrement fonctionnelles.
Une expérience plus intéressante (quoique plus longue, plus chère et plus douloureuse pour certains volontaires) aurait consisté à évaluer la longueur des télomères dans des cellules immunitaires extraites de ganglions et tissus lymphatiques, sinon de la moelle osseuse ou du thymus. Comme les cellules situées dans ces endroits sont plus enclines à se répliquer, la longueur des télomères serait très importante pour ces cellules.
5. L'étude n'a pas tenu compte d'autres facteurs qui auraient pu provoquer le raccourcissement des télomères, comme les suivants :
Signalons aussi que les médicaments utilisés pour abaisser le cholestérol (couramment appelés statines) peuvent exercer un effet anti-inflammatoire. Comme de nombreuses personnes séropositives prennent des statines, cela aurait pu influencer l'interprétation des résultats de l'étude.
6. Le ténofovir est disponible dans de nombreux pays à revenu élevé depuis au moins une décennie et est très utilisé dans les multithérapies. Si le ténofovir causait réellement le vieillissement prématuré des cellules du système immunitaire, on s'attendrait à observer des cancers et des infections graves, voire potentiellement mortelles chez une forte proportion des personnes utilisant ce médicament. Or, on n'a pas signalé de problème de ce genre chez les personnes exposées à long terme au ténofovir. Cela constitue peut-être l'argument le plus évident et le plus pratique pour réfuter la recherche australienne.
Étant donné les résultats de l'étude australienne et ses limitations, il n'y a pas de données permettant de recommander la non-prescription du ténofovir ou l'arrêt de son usage par les personnes séropositives déjà utilisant ce médicament important.
Cette étude australienne est intéressante, mais les études futures conçues pour explorer la question du vieillissement, du VIH et de l'exposition aux analogues nucléosidiques et à d'autres médicaments devront viser à faire au moins ce qui suit :
—Sean R. Hosein
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