Taux plus élevés de pertes osseuses après la ménopause chez des femmes séropositives

La majorité de la recherche sur les changements dans la densité minérale osseuse des femmes séropositives a été menée auprès de femmes n'ayant pas encore atteint la ménopause. À cause des changements hormonaux qui surviennent lors de la ménopause, les femmes qui arrivent à cette phase de leur vie courent des risques plus élevés d'amincissement osseux.

Une équipe de recherche du Columbia University Medical Center de New York a étudié la densité osseuse de femmes séronégatives et séropositives dont la ménopause avait commencé. En moyenne, le taux annuel d'amincissement osseux était deux fois plus élevé chez les femmes séropositives que chez les femmes séronégatives. Les diminutions de la densité minérale osseuse de cette ampleur exposent les femmes séropositives à un risque accru d'ostéopénie, d'ostéoporose et de fractures à mesure qu'elles vieillissent.

Détails de l'étude

Les chercheurs ont fait état des résultats obtenus auprès de 55 femmes séronégatives et 73 femmes séropositives qu'ils décrivaient comme « postménopausées ». Les femmes n'avaient plus de règles et leur taux d'estrogène était relativement faible. Aucune des femmes ne suivait d'hormonothérapie et aucune d'entre elles n'avait d'antécédents de densité osseuse réduite avant de s'inscrire à l'étude. Notre rapport s'intéresse surtout aux femmes séropositives.

Le profil moyen des femmes séropositives était le suivant au moment de leur admission à l'étude :

  • âge – 56 ans
  • temps écoulé depuis le début de la ménopause – 10 ans
  • durée de la séropositivité – 9 ans
  • diagnostic antérieur de sida – 47 %
  • compte de CD4+ le plus bas jamais observé – 195 cellules
  • compte de CD4+ actuel – 474 cellules
  • thérapie anti-VIH en cours (TAR)– 78 %
  • carence en vitamine D – 50 %
  • co-infection au VHC – 21 %
  • prise d'un supplément de calcium – 23 %

En moyenne, les femmes sont restées 18 mois dans l'étude.

Résultats – niveaux de base

Au début de l'étude, les femmes séropositives avaient les os plus minces que les femmes séronégatives. Compte tenu de leur indice de masse corporelle (IMC — évaluation relative du volume des graisses reposant sur une formule basée sur le poids et la taille), les femmes séropositives avaient des os considérablement plus minces dans les endroits suivants :

  • colonne vertébrale
  • hanches
  • avant-bras

Résultats – renouvellement des os

Bien que les tissus osseux semblent épais et durs au toucher, ils sont en fait très dynamiques au niveau cellulaire, car des fragments minuscules d'os sont constamment réabsorbés pour être réparés. On donne à ce processus de dégradation et de réparation le nom de renouvellement des os.

Lors de l'étude en question ici, les chercheurs ont analysé des échantillons de sang pour mesurer les taux de signaux chimiques associés au renouvellement des os. Ils ont découvert un déséquilibre entre les signaux chimiques favorables à l'absorption des os chez les femmes séropositives. Ce résultat porte à croire que les femmes séropositives couraient des risques plus élevés d'ostéopénie et d'ostéoporose.

Changements dans les os au fil du temps

Les chercheurs ont calculé que les femmes séropositives avaient perdu près de deux fois plus de tissus osseux dans la colonne, la hanche et l'avant-bras que les femmes séronégatives.

Liens avec les pertes osseuses

Après avoir tenu compte des facteurs de risque usuels de pertes osseuses, les chercheurs ont déterminé que des facteurs comme la race/ethnie, l'âge, le poids et l'IMC n'étaient pas associés à des pertes osseuses. Ils ont cependant constaté un lien considérable entre l'infection au VIH et l'amincissement des os.

En ce qui concerne les facteurs liés au VIH, aucun des suivants n'a été associé à la perte de tissus osseux :

  • compte de CD4+ le plus bas jamais observé
  • compte de CD4+ au moment de l'admission à l'étude
  • diagnostic antérieur de sida

Multithérapie et pertes osseuses

Dans l'ensemble, le recours à une multithérapie était associé à des pertes osseuses moins importantes dans la colonne vertébrale mais pas dans la hanche ou l'avant-bras. Les raisons de cette différence ne sont pas claires.

On n'a constaté aucune différence dans les taux de pertes osseuses entre les femmes recevant une multithérapie à base d'inhibiteurs de la protéase (28 femmes) et celles recevant un traitement à base d'analogues non nucléosidiques ou INNTI (20 femmes).

Selon les chercheurs, les taux de pertes osseuses dans la colonne ou l'avant-bras étaient de deux à quatre fois plus élevés parmi les 12 femmes recevant une combinaison à base de ténofovir (vendu sous le nom de Viread; présent aussi dans le Truvada, l'Atripla et le Complera) que chez les femmes qui ne prenaient pas de ténofovir. Même compte tenu de facteurs comme l'IMC, l'âge, la race/ethnie, le compte de CD4+ et les taux de vitamine D, d'hormone parathyroïde et de phosphore, etc., le taux de pertes osseuses dans la colonne des patientes sous ténofovir était environ le double de ce qu'il était chez les femmes ne recevant pas ce médicament. Cette différence est significative du point de vue statistique, mais il faut interpréter ce résultat avec prudence. Nous y reviendrons plus tard dans ce rapport.

La prise du ténofovir ne semblait pas avoir d'effet sur la densité de l'os de la hanche.

Fractures

Dans l'ensemble, il n'y avait pas de différence statistiquement significative entre les taux de fractures des femmes séropositives (10 %) et séronégatives (8 %).

L'évaluation de la gravité des fractures a révélé que les femmes séropositives étaient plus susceptibles (3 %) de subir des fractures de gravité modérée ou sévère que les femmes séronégatives (0 %). Toutefois, vu la proportion relativement faible de fractures, cette différence n'a pas atteint la signification statistique. De plus, lorsque les chercheurs ont estimé le risque de fractures au cours des 10 prochaines années pour toutes les femmes inscrites à l'étude, le taux était légèrement plus faible pour les femmes séropositives (5 %) que pour les femmes séronégatives (6 %).

Mise en perspective

1. Dans l'ensemble, l'équipe de recherche a déterminé que les femmes séropositives postménopausées étaient plus à risque de subir des « pertes osseuses excessives » dans la colonne vertébrale et l'avant-bras, comparativement aux femmes séronégatives postménopausées.

2. Les femmes séropositives qui suivaient une multithérapie n'ont pas perdu autant de densité minérale osseuse que les femmes séropositives qui ne prenaient pas de multithérapie. Ce résultat laisse croire que, en général, la multithérapie exerce des effets favorables sur la densité minérale osseuse.

3. Il est probable que le déclin accéléré de la densité minérale osseuse observé durant cette étude était attribuable aux effets combinés de la baisse du taux d'estrogène et de l'infection au VIH. Les femmes séropositives avaient en effet considérablement moins d'estrogène que les femmes séronégatives durant cette étude, même si les femmes séropositives étaient plus jeunes d'environ trois ans.

4. La plupart des études sur les changements dans la densité minérale osseuse ont surtout porté sur la colonne vertébrale et la hanche; les chercheurs ont élargi la portée de cette étude pour inclure l'avant-bras. Le fait que les femmes séropositives perdaient de la densité minérale osseuse dans l'avant-bras laisse soupçonner un risque accru de fractures dans cette partie du corps.

5. Même si les chercheurs ont trouvé que la prise du ténofovir était associée à une diminution de la densité minérale osseuse, ce résultat doit être interprété avec prudence pour les raisons suivantes :

  • Comme il ne s'agit pas ici d'un essai clinique randomisé, l'interprétation des données risque d'être faussée par des facteurs dont les chercheurs n'ont pas tenu compte. Par exemple, nous ne savons pas pourquoi les médecins prescrivent le ténofovir à certaines femmes mais pas à d'autres.
  • Cette étude n'a pas été conçue spécifiquement pour évaluer l'impact du ténofovir sur les changements dans la densité minérale osseuse.
  • Le nombre de femmes recevant le ténofovir était relativement faible.

Quoi qu'il en soit, ces résultats se rapportant au ténofovir sont intrigants et laissent croire qu'il serait pertinent de mener des essais cliniques conçus spécialement pour évaluer l'impact du ténofovir sur des femmes séropositives postménopausées. Un tel essai devrait porter sur de nombreuses femmes et durer plusieurs années.

6. Comme l'étude n'a pas été conçue pour évaluer le risque de fractures, il n'est pas possible de tirer des conclusions fermes à cet égard à partir des données disponibles.

Quoique novatrice grâce à l'importance accordée aux femmes séropositives postménopausées, cette étude établit clairement la nécessité de mener un essai de plus grande envergure et de plus longue durée auprès de cette population. Une telle étude aura d'autant plus d'importance que les femmes séropositives ne cessent de vieillir et que tout le monde — chercheurs, médecins et femmes vivant avec le VIH — ont besoin d'en savoir plus sur l'interaction entre le VIH et le vieillissement.

— Sean R. Hosein

RÉFÉRENCE :

Yin MT, Zhang CA, McMahon DJ, et al. Higher rates of bone loss in postmenopausal HIV-infected women: a longitudinal study. Journal of Clinical Endocrinology and Metabolism. 2012 Feb;97(2):554-62.