La pandémie de la COVID-19 a entraîné que de nombreux prestataires de services aient à adapter la manière dont ils assurent les prestations de leurs programmes en matière de réduction des méfaits, d’hépatite C et de VIH en raison des mesures requises comme la distanciation physique. Par la même, ceci a engendré des répercussions à la fois sur la manière dont le personnel dispense ses services et sur celle dont les clients les reçoivent.
Nous avons demandé à des prestataires de services de nous décrire comment ils ont adapté leurs activités durant la pandémie de la COVID-19, les leçons qu’ils ont pu tirer sachant qu’ils ont dû s’adapter rapidement et les enseignements qu’ils conserveront une fois que les mesures sont assouplies :
- Bruce Rankin, directeur des services aux clients et Lila Desjardine, gestionnaire des soins en résidence, Le John Gordon Home, Regional HIV/AIDS Connection (RHAC)
- Sonja Burke, directrice de la réduction des méfaits, Le service de consommation et de traitement Carepoint, Regional HIV/AIDS Connection (RHAC)
- Gerard Yetman, directeur général et Alexe Morgan, coordonnatrice du projet de réduction des méfaits, Comité SIDA de Terre-Neuve-et-Labrador
Bruce Rankin et Lila Desjardine
Le John Gordon Home (JGH) fournit du soutien à des personnes qui vivent avec le VIH/sida et l’hépatite C et qui ont des besoins immédiats en soins de santé; il les aide à atteindre des résultats positifs de santé et de bien-être grâce à des soins transitoires, de répit et de fin de vie.
Comment avez-vous adapté vos programmes et services aux clients, dans le contexte de la COVID-19?
L’introduction de nouvelles lignes directrices pour les milieux collectifs a alourdi la charge de travail de chacun. Les nettoyages/désinfections ainsi que le suivi de l’état des personnes (prise des signes vitaux, etc.) sont plus fréquents et les documents requis sont plus nombreux. La nécessité d’enfiler et d’enlever correctement l’équipement de protection individuelle (EPI), de désinfecter les surfaces et objets, et de se laver les mains constamment sont des tâches supplémentaires qui peuvent ralentir les choses.
La plupart de nos programmes pour les clients s’effectuent maintenant de façon virtuelle, de sorte que les clients accèdent désormais à leurs rendez-vous médicaux et aux services de soutien en matière de VIH par téléphone, SMS, Zoom ou d’autres applications en ligne.
Les mesures de distanciation physique affectent l’environnement de type résidentiel du JGH. Par exemple :
- Seulement deux personnes peuvent s’asseoir à une grande table pour manger.
- Il n’y a plus de service de « style familial » aux repas (p. ex., bol de fruits où chacun se sert, plateau de pâtisseries ou bol de friandises).
- Le personnel porte de l’EPI (p. ex., masque, lunettes de protection ou visière, gants) pour toute interaction avec les résidents, ce qui crée une atmosphère « clinique » ou « institutionnelle ».
- Une politique interdisant les visites personnelles de gens de l’extérieur a accru l’isolement social de certains; et le personnel effectue plus fréquemment des « rondes de visites » pour voir comment les clients se portent.
Nous avons fourni de nouvelles ressources aux résidents, sur les adaptations des pratiques de réduction des méfaits afin d’aider à prévenir la COVID-19; cependant, ces pratiques peuvent être difficiles à mettre en œuvre dans la communauté. Par exemple, de nombreuses personnes ne pratiquent pas la distanciation physique lorsqu’elles consomment des drogues et l’achat/commerce de drogues est une activité à risque élevé dans le contexte de la COVID-19. Nous avons également constaté une augmentation du commerce/partage de drogues dans l’immeuble, puisque certains résidents qui devaient mendier pour acheter des drogues ont subi une perte soudaine de revenus.
Comment ces changements ont-ils affecté vos clients ou comment ceux-ci y ont-ils réagi?
Nous avons reçu des commentaires très positifs de la part des résidents, exprimant leur gratitude pour les mesures prises dès le début de la pandémie afin de prévenir l’infection à COVID-19 et d’assurer la sécurité de tous.
La transition vers des programmes et rendez-vous virtuels peut poser des difficultés à de nombreuses personnes qui n’ont pas l’expérience et/ou les compétences techniques nécessaires pour utiliser des appareils électroniques. La plupart des résidents ne possèdent pas de téléphone, de tablette ou d’ordinateur, et ont besoin d’une assistance technique du personnel pour accéder à leurs rendez-vous. En conséquence, un employé participe souvent avec eux aux rendez-vous, ce qui les rend moins privés.
La plupart de nos résidents vivent avec des comorbidités (par exemple, VIH, hépatite C, problèmes respiratoires) qui les rendent plus vulnérables devant la COVID-19; donc le personnel leur rappelle fréquemment de prendre des précautions contre la COVID-19. Cela finit par être perçu comme un harcèlement et a affecté les relations entre le personnel et les clients.
Quels apprentissages tirés de cette expérience éclaireront votre travail futur, une fois les restrictions assouplies?
Nous avons constaté que les résidents continuent à faire preuve de résilience en dépit des circonstances. Nous avons vu également nos effectifs maintenir leur courage et leur dévouement envers leurs professions, malgré l’incertitude; la direction de l’organisme a d’ailleurs reconnu et récompensé ces bonnes dispositions. Il est cliché de dire que « surmonter l’adversité nous rend plus forts », mais l’expérience de cette pandémie a rendu notre équipe plus forte et plus résiliente.
Nous avons également appris qu’il est possible de réaliser des économies et des gains d’efficacité en passant à des rendez-vous et programmes virtuels. Par exemple, le besoin de transport et de ressources pour se rendre à des rendez-vous a diminué.
Les inégalités en matière de soins de santé sont mises à nu, lors d’une pandémie. Certaines personnes peuvent se permettre de rester chez elles et de faire livrer à leur porte tout ce dont elles ont besoin. Ce n’est pas le cas des personnes vivant dans la pauvreté, ou en logement précaire ou sans-abri. L’un des outils les plus importants pour accéder à des soins de santé est à présent le téléphone portable, mais de nombreuses personnes avec lesquelles nous travaillons n’en possèdent pas.
Enfin, les prestataires de services de London (Ontario) se sont réunis et ont collaboré de manières nouvelles pour résoudre des problèmes et partager des ressources. Avec l’initiative du Service de prévention de l’itinérance de la ville de London, un certain nombre d’intervenants se réunissent chaque semaine. Ensemble, ils ont créé et doté en personnel de nouveaux « espaces d’isolement » pour les personnes mal logées qui ont besoin de s’auto-isoler, redéployé du personnel pour le fonctionnement de ces espaces, et partagé l’EPI entre organismes lorsque l’approvisionnement était insuffisant. Les relations de travail dans la communauté sont renforcées et nous sommes mieux préparés pour la prochaine crise.
Sonja Burke
Le service de consommation et de traitement (SCT) Carepoint offre un espace où des personnes peuvent consommer des drogues en toute sécurité et accéder à des services de rétablissement.
Comment avez-vous adapté vos programmes et services aux clients, dans le contexte de la COVID-19?
Nous avons adapté considérablement nos services, de diverses façons, notamment par des changements pratiques pour mieux protéger le personnel et les clients contre la COVID-19 et par des modifications à la prestation des services pour mieux soutenir nos clients.
Les changements pratiques incluent :
- mise en place d’un outil de dépistage de la COVID-19 pour tous les clients en contact avec le personnel
- réduction du nombre de places disponibles dans la salle d’attente et dans les aires d’injection et de soins post-consommation
- marquage de l’espace au ruban adhésif pour assurer la distanciation physique dans la salle d’attente, les aires de distribution de seringues/aiguilles et la réception
- abandon de l’utilisation d’oxygène comme première réponse aux surdoses, vu le risque accru de transmission de la COVID-19
- port du masque et de la visière par le personnel à tous les points d’interaction
- port d’une blouse et de gants (en plus d’un couvre-visage) par le personnel lors de la réponse à une surdose ou de l’évaluation d’une plaie
- mise en place de postes d’équipement de protection individuelle (EPI) pour le personnel à proximité des aires de service aux clients et des toilettes
- formation du personnel sur les techniques appropriées pour enfiler et enlever l’EPI
- distribution aux clients de masques en tissu à emporter et/ou à porter lors de l’accès aux services
- adaptation des activités de proximité en réduction des méfaits afin de respecter la distanciation physique et de maintenir les services pendant l’épidémie de COVID-19
- distribution de trousses de fournitures déjà préparées (plutôt que de laisser les clients se servir eux-mêmes)
- espace désigné pour la confection des trousses, où les employés peuvent respecter la distanciation physique
Les changements additionnels liés aux mesures de soutien pour les clients incluent :
- processus de transfert convivial vers le London InterCommunity Health Centre pour le dépistage de la COVID-19, et recommandation directe à des « espaces d’isolement » en cas de résultat positif à la COVID-19
- fourniture aux clients d’informations à jour sur les services locaux qui sont ouverts (p. ex., refuges, programmes alimentaires) et les nouveaux services
- livraison de matériel de réduction des méfaits à des individus dans les « espaces d’isolement » nouvellement créés par le service de prévention de l’itinérance de la ville de London
- modification des services de la banque alimentaire pour assurer la livraison
- conversion en formule virtuelle des groupes de soutien en personne, du soutien individuel et des services éducatifs
- collaboration avec d’autres prestataires de services pour la distribution à plus grande échelle du matériel de réduction des méfaits
- augmentation du volume de fournitures données aux prestataires de services partenaires qui distribuent du matériel de réduction des méfaits
- établissement de partenariats avec d’autres organismes pour la distribution de dîners préparés
Comment ces changements ont-ils affecté vos clients ou comment ceux-ci y ont-ils réagi?
Nous avons constaté une diminution du nombre de clients ayant recours au SCT Carepoint. Plusieurs ne peuvent pas s’y rendre, car ils sont dans des espaces d’isolement. Les personnes qui se trouvent dans des lieux d’autosurveillance ou des espaces d’isolement gérés par la ville sont plus loin du site et le transport vers celui-ci peut être un défi.
Les clients qui fréquentent l’espace ressentent une plus grande frustration en raison des temps d’attente plus longs qu’à l’habitude. Ils perçoivent les services comme étant plus « cliniques » ou plus « froids » et expriment un sentiment de déconnexion par rapport aux employés, qui portent tous des couvre-visages.
Cependant, des clients ont dit avoir apprécié la rapidité avec laquelle nous avons apporté les changements nécessaires pour prévenir la transmission de la COVID-19 et pour assurer que notre service demeure ouvert.
Quels apprentissages tirés de cette expérience éclaireront votre travail futur, une fois les restrictions assouplies?
À l’avenir, nous continuerons d’offrir des stations de désinfection des mains dans le SCT Carepoint et de rappeler aux clients l’importance du lavage des mains. Nous prévoirons par ailleurs une plus grande réserve d’EPI.
Cette expérience nous a appris quelles procédures fonctionnent bien en situation de pandémie. À l’avenir, nous appliquerons ces connaissances de manière optimisée. En ce qui a trait à l’aménagement futur, nous opterions pour un plus grand espace lorsque cela est possible afin de limiter l’interruption des services en cas de pandémie.
Dans l’ensemble, cette expérience nous a rappelé l’importance de la connexion humaine et son rôle crucial dans la prestation de nos services; nous nous sommes efforcés de la préserver autant que possible en ces temps difficiles.
Gerard Yetman et Alexe Morgan
Le Comité SIDA de Terre-Neuve-et-Labrador est un organisme provincial engagé à prévenir la propagation du VIH, de l’hépatite C et d’autres infections transmissibles sexuellement et par le sang. Il soutient les personnes qui vivent avec ces maladies, sont affectées par elles ou à risque de les contracter et il milite pour le changement par un réseautage provincial, régional, national et international.
Comment avez-vous adapté vos programmes et services aux clients, dans le contexte de la COVID-19?
Pendant la pandémie de COVID-19, le bureau du Comité est fermé au public. La coordonnatrice des services provinciaux en VIH et VHC travaille de son domicile, fournit du counseling aux clients et répond aux demandes par téléphone. Le programme Safe Works Access (SWAP, notre service de distribution de seringues) demeure ouvert, les services étant désormais assurés par interphone. Le matériel est commandé par interphone, emballé et placé à l’extérieur pour que le client puisse le récupérer.
Tout au long de la pandémie, tout en respectant la distanciation physique, le Comité a continué de livrer du matériel pour la consommation plus sécuritaire de drogues en bordure du trottoir à des personnes qui ne pouvaient pas se rendre au bureau pour diverses raisons. Nous expédions également des fournitures par Postes Canada afin que toutes les personnes qui consomment des drogues aient accès à du matériel plus sécuritaire partout dans la province. Nos sites satellites qui distribuent du matériel dans la communauté ont également maintenu l’accès à ces services.
Notre programme de logement supervisé et notre refuge d’urgence affichent tous deux complet. Le Comité dispose de six unités de logement supervisé sur place et gère un refuge de quatre chambres du Tommy Sexton Centre. Les deux programmes s’adressent aux personnes vivant avec le VIH et/ou l’hépatite C, affectées par ces maladies ou considérées comme étant à risque. Le personnel du programme de logement et du refuge maintient un environnement de travail fonctionnel en respectant les consignes de santé publique liées à la COVID-19, comme la distanciation physique, la désinfection accrue et le lavage fréquent des mains. De plus, des contrôles réguliers sont effectués auprès des résidents des deux programmes afin de vérifier leur état de santé, et un soutien téléphonique leur est offert au besoin.
Comment ces changements ont-ils affecté vos clients ou comment ceux-ci y ont-ils réagi?
La province a réagi relativement tôt par des consignes liées à la COVID-19 et les organismes se sont adaptés rapidement pour continuer à fournir des services de la manière la plus sécuritaire possible.
Les commentaires sur le fonctionnement de nos services pendant la pandémie sont positifs. En tant qu’organisme, nous sommes contents de pouvoir continuer d’offrir nos services quotidiens, avec quelques changements mineurs. Les clients ont bien réagi et plusieurs sont satisfaits des changements apportés, car cela leur permet de continuer d’accéder aux services tout en pratiquant la distanciation physique ou l’isolement dans le contexte de la COVID-19.
Initialement, le programme SWAP a connu une baisse d’achalandage et la demande liée à notre service de distribution par la poste et de livraison a été nettement plus forte qu’à l’habitude. Toutefois, la demande pour ces services semble reprendre son cours normal avec le temps.
Quels apprentissages tirés de cette expérience éclaireront votre travail futur, une fois les restrictions assouplies?
Une leçon sort du lot : une grande partie de notre travail nécessite des interactions individuelles et de groupe pour être aussi efficace et utile que possible.
Les services du Comité offrent aux individus un espace sûr et sans jugement pour discuter de leur consommation de drogues, de leur santé sexuelle et de leur bien-être général avec leurs pairs et le personnel. Au fil des années, nous avons appris que les conversations informelles et les contacts sont parfois ce qui compte le plus pour nos utilisateurs. En ce moment, en raison des consignes liées à la COVID-19, les interactions individuelles se déroulent principalement à la porte. Elles sont très brèves et le manque d’intimité rend difficiles les conversations plus personnelles.
Le manque d’interactions individuelles avec nos clients signifie également que le personnel a peu d’occasions de prendre le pouls de ce qui se passe dans la communauté par le biais de personnes ayant une expérience vécue; ces informations qui pourraient autrement nous échapper sont toutefois importantes pour notre travail.
Nous continuons d’apprendre à mesure que la pandémie évolue. Lorsque les restrictions seront levées et que les employés ne travailleront plus de la maison, nous examinerons l’impact de la COVID-19 sur le personnel et la clientèle.