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Il existe maintenant des données fort probantes indiquant que les antiviraux à action directe (AAD) peuvent guérir la vaste majorité des personnes atteintes d'hépatite C et que les résultats sont favorables dans toutes les populations, y compris chez les personnes qui s'injectent des drogues et les personnes co-infectées par le VIH. Ces progrès ont fait naître l'espoir qu'il sera possible d'éradiquer l'hépatite C comme menace pour la santé publique.
Il faut toutefois souligner que les AAD n'offrent aucune protection contre la réinfection. Même si une personne est guérie de l'hépatite C ou qu'elle se débarrasse spontanément du virus, elle peut être réinfectée si elle est exposée de nouveau au virus. Pour cette raison, la possibilité que la réinfection puisse compromettre les bienfaits des AAD et constituer un obstacle à l'éradication de l'hépatite C commence à en préoccuper plusieurs. Certains cliniciens et décideurs de politiques hésitent à dépenser les sommes élevées nécessaires pour traiter des gens qu'ils croient susceptibles de se faire réinfecter. Au Canada, nous commençons à peine à élargir l'accès aux AAD, et il reste à voir comment l'enjeu de la réinfection sera abordé dans les politiques et les programmes. De plus, les recherches sur la réinfection dans le contexte des AAD sont très limitées. Dans cet article, nous examinons la réalité des taux de réinfection au sein de deux populations prioritaires et explorons des réponses efficaces.
Les antiviraux à action directe peuvent guérir la vaste majorité des personnes ayant l'hépatite C chronique.1,2,3 Lors de l'introduction des AAD, certains craignaient que ces médicaments soient moins efficaces, moins sûrs et moins tolérables chez certaines populations prioritaires, notamment les personnes qui s'injectent des drogues et les personnes co-infectées par le VIH. Or, il existe maintenant des données probantes indiquant que les AAD donnent des résultats favorables dans toutes les populations, les taux de guérison étant semblables à ceux de la population générale.2,3
L'efficacité des AAD a suscité de l'optimisme quant à la possibilité d'éradiquer l'hépatite C. Cependant, les efforts visant le traitement à grande échelle des populations prioritaires se heurtent maintenant à l'inquiétude naissante concernant la réinfection. Même si une personne se débarrasse du virus (que ce soit sous l'effet d'un traitement ou spontanément), elle pourra être réinfectée si elle est exposée de nouveau au virus.2,4,5 Certains croient que ce problème pourrait constituer un obstacle à l'éradication du virus.3,4,5,6,7,8,9 Ces préoccupations font en sorte que certains médecins et décideurs de politiques hésitent à traiter les populations chez lesquelles le risque de réinfection est élevé.4
Au Canada, les deux principales voies de transmission de l'hépatite C sont le partage d'aiguilles/seringues et d'autre matériel servant à la consommation de drogues et les activités sexuelles à risque élevé parmi les hommes séropositifs ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes (HARSAH). Il s'ensuit donc que les personnes qui s'injectent des drogues et les HARSAH sont les deux populations prioritaires en ce qui concerne le risque de réinfection par l'hépatite C. Dans les sections suivantes, nous explorons les taux de réinfection au sein de ces deux populations.
Le partage de matériel servant à la consommation de drogues est la principale cause de la transmission de l'hépatite C au Canada. La prévalence de l'hépatite C est plus élevée chez les personnes qui s'injectent des drogues que dans n'importe quel autre groupe.10 Selon les estimations nationales sur l'hépatite C de 2011, 66 % des personnes qui s'injectent des drogues auraient des anticorps contre le virus de l'hépatite C dans leur corps.10
Il est important de noter que les études sur la réinfection à la suite d'un traitement efficace contre l'hépatite C chez les personnes qui s'injectent des drogues ont plusieurs limitations, notamment la faible taille des échantillons, la nature rétrospective des études, le suivi longitudinal incomplet et le manque de méthodes de mesure sensibles. De plus, presque toutes les études ont examiné la réinfection après le traitement par un régime à base d'interféron plutôt qu'un régime à base d'AAD. Même si quelques données commencent à émerger par rapport à la réinfection après le traitement par AAD, elles sont très limitées à l'heure actuelle.11
Dans l'ensemble, les données portent à croire que l'incidence de la réinfection par l'hépatite C est faible parmi les personnes qui s'injectent des drogues.3 Dans cette population, l'incidence à vie de la réinfection est de 0 à 5 par 100 années-personnes.2,3,12 Lors de la première étude publiée sur la réinfection par l'hépatite C post-guérison, on a trouvé que les personnes qui s'injectaient des drogues affichaient un faible taux de réinfection et ce, malgré des rechutes fréquentes dans la consommation de drogues à la suite d'une période d'abstinence coïncidant avec le traitement.13 La plupart des études subséquentes ont également fait état de taux de réinfection faibles, soit entre 0,8 et 4,7 par 100 années-personnes.14 Les auteurs d'une revue examinant des études menées au Canada, en Allemagne, en Norvège, aux États-Unis, aux Pays-Bas et en Australie ont conclu que les taux de réinfection étaient faibles, même parmi les personnes qui continuaient de s'injecter des drogues pendant et après le traitement.14
En Australie, une étude par observation de trois ans qui se poursuit auprès de patients guéris par de nouveaux AAD a permis de constater un faible taux de réinfection, soit 2,3 infections par 100 années-personnes.9,15Les participants à cette étude (y compris ceux qui continuent de s'injecter) étaient inscrits dans un programme de traitement de substitution aux opioïdes. Cette étude est la seule à ce jour à avoir rapporté des données sur la réinfection à l'époque des AAD.
Les recherches révèlent que le risque de réinfection varie en fonction du contexte local de l'épidémie dans lequel vit le groupe de personnes qui s'injectent des drogues.14 Les données indiquent que le risque de réinfection est plus élevé au sein de cette population lorsque la prévalence générale de l'hépatite C est plus élevée dans la communauté plus large. Ce risque accru est attribuable au fait que ces personnes sont plus susceptibles d'être exposées à répétition au virus si elles vivent dans une communauté où la prévalence de l'hépatite C est élevée.
Même si les taux de réinfection sont généralement faibles parmi les personnes qui s'injectent des drogues, plusieurs études ont souligné un risque accru de réinfection parmi certains sous-groupes particuliers de cette population. La catégorie large des « personnes qui s'injectent des drogues » est plutôt hétérogène et inclut des personnes dont les comportements de consommation de drogues et les autres facteurs de risque varient. On trouve dans cette catégorie générale les personnes qui se sont injecté une seule fois, les personnes qui ont cessé de s'injecter et les personnes qui ont consommé des drogues injectables dans un contexte carcéral.3,12,16 Il existe aussi une grande hétérogénéité parmi les personnes qui continuent de s'injecter des drogues. La fréquence des injections peut varier considérablement, et l'accessibilité d'aiguilles stériles et de services de réduction des méfaits, notamment les traitements de substitution aux opioïdes, crée des distinctions additionnelles entre les groupes.2,11
Une revue systématique et méta-analyse examinant les taux de réinfection par l'hépatite C parmi les personnes qui s'injectent des drogues a révélé des taux variables de réinfection.3 Dans l'ensemble du groupe, le risque de réinfection était faible (2,4 par 100 années-personnes), mais il augmentait chez les personnes qui continuaient de s'injecter après la guérison de l'hépatite C (6,4 par 100 années-personnes).3
Malgré cette distinction, il ne semble pas que le dépistage de l'utilisation très fréquente de drogues injectables avant le traitement soit un prédicteur probant de la réinfection16 parce que les comportements d'injection peuvent changer après le traitement.16 Au lieu d'effectuer un dépistage prétraitement, il pourrait être plus important de soutenir les patients après le traitement afin qu'ils aient recours aux services de réduction des méfaits et de soutien qui les aideront à prévenir la réinfection. Certaines études ont trouvé que l'âge plus jeune et un niveau de scolarité plus faible pourraient être des prédicteurs importants de la réinfection.16 En ciblant les efforts autour de ce groupe, il serait peut-être possible de soutenir les comportements à plus faible risque après le traitement.
Une autre sous-population importante est celle des personnes ayant la co-infection au VIH qui s'injectent des drogues. Le risque de réinfection au sein de cette sous-population est de 3,2 par 100 années-personnes.12 Il n'est pas clair si la suppression immunitaire joue un rôle dans la réinfection dans cette population.12
Depuis une décennie, on fait état d'une augmentation de l'incidence de l'infection aiguë par l'hépatite C parmi les HARSAH séropositifs d'Europe, d'Amérique du Nord, d'Australie et d'Asie.16 Une revue systématique a révélé que l'incidence de l'hépatite C aiguë entre 2000 et 2012 était environ quatre fois plus élevée chez les HARSAH séropositifs (0,61 par 100 années-personnes) que chez les HARSAH séronégatifs (0,15 par 100 années-personnes).17 Au Canada, 5 % de l'ensemble des HARSAH avaient des anticorps contre l'hépatite C (2005 à 2007),18 et les HARSAH séropositifs étaient en voie de devenir un groupe plus à risque par rapport à l'hépatite C.5,16,17
Plusieurs facteurs pourraient faciliter la transmission de l'hépatite C parmi les HARSAH. La transmission sexuelle est probablement la voie principale par laquelle les HARSAH contractent l'hépatite C, surtout les HARSAH vivant avec le VIH.16 Comme la charge virale en hépatite C est plus élevée dans le sperme, le sang et les sécrétions rectales des HARSAH ayant la co-infection au VIH,16 cela pourrait augmenter le risque de transmission sexuelle de l'hépatite C.16
Certaines activités particulières peuvent faciliter la transmission sexuelle de l'hépatite C. Les exemples incluent les relations anales sans condom, l'usage d'un lavement rectal avant les relations anales réceptives, les traumatismes rectaux accompagnés de saignements, le fisting et le sexe en groupe.5,6,16,19
L'usage de drogues récréatives au sein des réseaux sexuels, une pratique couramment appelée « chemsex » ou PnP (party and play), est également considérée comme un facilitateur de la transmission de l'hépatite C parmi certains HARSAH.5,6 Le terme « chemsex » désigne l'usage de drogues injectables ou non injectables avant, pendant et après le sexe pour rehausser l'expérience sexuelle et faciliter la prolongation des séances, souvent avec plusieurs partenaires. Ce genre de comportement expose les hommes à un risque élevé d'infection par l'hépatite C et d'autres infections transmissibles sexuellement.5,6,8,19,20,21,22
Même si les comportements à risque sont semblables parmi les HARSAH séropositifs et séronégatifs, l'incidence de l'hépatite C est considérablement plus élevée parmi les HARSAH ayant le VIH.5,16,17 La prévalence de l'hépatite C parmi les HARSAH séronégatifs qui ne s'injectent pas de drogues est comparable à celle de la population générale.16
Les taux d'incidence déclarés de la réinfection post-guérison5,11 sont plus élevés parmi les HARSAH séropositifs que parmi les personnes qui s'injectent des drogues.16 Les études menées auprès d'HARSAH ont permis de calculer un risque de réinfection cumulatif de 12,8 par 100 années-personnes,16 comparativement à 2,4 par 100 années-personnes chez les personnes qui s'injectent des drogues.3 Selon les estimations fondées sur la plus grande cohorte d'HARSAH séropositifs d'Europe occidentale, près du quart (24,6 %) des hommes inscrits auraient été réinfectés dans les cinq ans suivant la guérison de l'hépatite C. Cela correspond à une incidence de 7,3 par 100 années-personnes, la période médiane précédant la réinfection étant de deux ans.6 Cette étude a confirmé les résultats de nombreuses études régionales européennes. Plusieurs de ces études ont souligné l'importance des réseaux sexuels pour les HARSAH, ainsi que le fait que les patrons de réinfection s'observent principalement au sein des réseaux sexuels existants.5,6,8,16,19
Le « chemsex » est maintenant largement reconnu comme facilitateur de la transmission de l'hépatite C au sein de certains réseaux sexuels, qu'il s'agisse de réinfections primaires ou secondaires.5,16,19,21
Au Canada, on a généralement constaté des taux d'infection par l'hépatite C plus faibles parmi les HARSAH (autant séropositifs que séronégatifs) qu'en Europe;7 il n'empêche que les implications pour le contexte canadien sont importantes et méritent d'être prises en considération.
Les HARSAH séropositifs sont un groupe homogène, et il est possible que les taux de réinfection soient plus élevés au sein de certaines sous-populations. Les HARSAH qui s'injectent des drogues courent un risque de réinfection considérablement plus élevé que les HARSAH séropositifs qui ne s'injectent pas.2,6,16 Et il est possible que le risque de réinfection soit plus élevé encore chez les HARSAH séropositifs qui participent au « chemsex ».
Malgré les recherches, les préoccupations concernant la réinfection continuent d'être évoquées comme prétexte pour refuser le traitement aux personnes courant un risque élevé de réinfection. Il existe toutefois des données fort probantes indiquant que l'offre du traitement aux personnes les plus à risque est la façon la plus efficace et la plus rentable d'accomplir l'éradication de l'hépatite C, autant au niveau individuel que de la population.16,19,23
L'approche de santé publique fondée sur le traitement comme prévention est utilisée dans le domaine du VIH et peut être adaptée à l'hépatite C. Il existe pourtant des distinctions importantes entre le VIH et l'hépatite C en ce qui concerne le traitement comme prévention. Le traitement de l'hépatite C offre l'avantage d'être à la fois de courte durée et curatif, ce qui pourrait renforcer les résultats sur les plans de la rentabilité et de la protection de la santé publique.
Le traitement comme prévention n'est pas seulement une approche de santé publique importante dont les avantages potentiels pour le contrôle de l'épidémie sont nombreux. Il est également important en raison de ses bienfaits pour la santé des individus. Il peut être dangereux de traiter les individus en tant que « vecteurs de l'infection », plutôt que comme des personnes dignes de connaître les bienfaits du traitement de l'hépatite C pour leur propre santé et bien-être.
Toute réflexion sur l'intégration d'une réponse à la réinfection dans les programmes et les politiques doit commencer par la reconnaissance du fait que la majorité des personnes traitées pour l'hépatite C ne se font pas réinfecter.2,11 Même si les taux de réinfection ne sont pas alarmants, la dynamique de la réinfection ne peut être ignorée, et il y a des implications importantes pour les programmes et les politiques.
Reconnaissance et acceptation
Comme l'utilisation des AAD deviendra plus répandue grâce à la levée prévue des restrictions à l'accès partout au Canada au cours des prochaines années, il faudra prévoir et reconnaître que certaines personnes continueront d'avoir des comportements à risque après la guérison. Il sera important de reconnaître cette réalité sans discriminer et sans stigmatiser davantage les pratiques à risque élevé en matière de sexe et de drogues. Les fournisseurs de services continueront sans doute de voir des cas de réinfection par l'hépatite C parmi leurs clients qui poursuivront leurs comportements sexuels et de consommation à risque élevé après la réussite du traitement.
Le fait que la réinfection se produit sert de confirmation que les programmes de santé communautaire réussissent à rejoindre les personnes à risque afin qu'elles soient diagnostiquées, orientées vers des soins et traitées. Si aucun cas de réinfection n'est observé, il est probable que nous échouons à rejoindre et à traiter ces clients les plus à risque de contracter l'hépatite C.5,15,16,24
Stratégies individuelles et implications pour les programmes
Pour prévenir la réinfection sur le plan individuel, on devrait adopter des approches semblables à celles employées en prévention primaire. Les clients devraient se voir offrir de l'information accessible et culturellement appropriée, ainsi que de l'éducation et du counseling sur les risques de transmission, d'infection et de réinfection associés à la consommation de drogues et aux pratiques sexuelles.
Références
Melisa Dickie est directrice associée, Échange de connaissances sur l’hépatite C, chez CATIE. Elle fait également partie du comité de direction d’Action hépatites Canada.
Suzanne Fish est courtière en connaissances dans les Programmes de santé communautaire liés à l’hépatite C de CATIE. Suzanne détient une maîtrise en économie politique et participe depuis 10 ans à des initiatives d’équité en santé et de mobilisation communautaire dans une gamme d’organismes de services sociaux, d’organismes communautaires et de groupes populaires de la société civile dans plusieurs pays. Dans sa recherche et son travail en matière de justice sociale, elle vise surtout à centrer les perspectives acquises de l’expérience vécue et des interventions fondées sur des données probantes dans les sphères de développement des projets, des programmes et des politiques.