Les derniers billets du blogue
Avec l’avènement de nouveaux traitements fortement efficaces, l’un des principaux défis de la réponse à l’épidémie d’hépatite C concerne le dépistage et l’arrimage aux soins. On estime que plus de 220 000 personnes au Canada ont l’infection chronique au virus de l’hépatite C et que plus de 40 % d’entre elles ne sont pas au courant de leur infection.1 Des innovations et des progrès en matière de dépistage et d’arrimage aux soins sont essentiels afin de répondre à l’épidémie d’hépatite C. Une de ces innovations est le test de dépistage rapide des anticorps au virus de l’hépatite C au point de service. Un test de dépistage a été approuvé par Santé Canada.
Dans le présent article, nous examinons comment le dépistage au point de service peut contribuer à améliorer le dépistage et l’arrimage aux soins; survolons la littérature scientifique concernant le test rapide approuvé par Santé Canada; et examinons en détail si ce test et d’autres peuvent avoir un impact sur l’épidémie d’hépatite C au Canada et comment.
Le dépistage de l’hépatite C au Canada comporte généralement deux étapes : un dépistage d’anticorps effectué en laboratoire, puis un test de confirmation. Ces tests de dépistage et de confirmation réalisés en laboratoire sont très précis.2 Le dépistage initial des anticorps au virus de l’hépatite C (VHC) est effectué dans un échantillon de sang envoyé à un laboratoire; le résultat est livré en une à trois semaines. Un résultat positif aux anticorps au VHC indique que la personne a été exposée au virus. Ceci ne signifie pas qu’elle a une hépatite C active, puisque des anticorps demeurent dans le sang de la personne même si elle a été guérie par un traitement ou si son système immunitaire a éliminé l’infection.
Si une personne reçoit un résultat positif au dépistage des anticorps, elle passe à la deuxième étape du processus, qui nécessite une deuxième prise de sang. Un autre test de laboratoire est utilisé afin de confirmer la présence d’une hépatite C active. Il existe deux types de tests de confirmation. Le test d’ARN de l’hépatite C mesure la présence de matériel génétique du VHC (son ARN) afin de vérifier la présence du virus dans le corps de la personne. Si une personne reçoit un résultat positif au test d’ARN du virus de l’hépatite C, cela signifie qu’elle a une hépatite C active. Un troisième rendez-vous est alors nécessaire pour recevoir le résultat de son test de confirmation.
Le second type de test de confirmation n’est pas répandu, au Canada. Il s’agit du test de dépistage de l’antigène du noyau du virus de l’hépatite C – une protéine qui fait partie du VHC. Si une personne reçoit un résultat positif au dépistage de l’antigène du noyau du VHC, cela signifie qu’elle a une hépatite C active (il existe cependant un risque de résultat « faux-négatif »). Ce test peut être effectué dans le même échantillon de sang qui a servi au dépistage initial des anticorps au VHC. Par conséquent, le nombre de visites requises pour le processus peut parfois être réduit.
Le dépistage au point de service est l’utilisation d’une technologie de test rapide qui permet au client de se faire dépister et de connaître le résultat lors d’une seule visite. Plutôt que d’être effectués en laboratoire, ces tests de dépistage sont réalisés à l’endroit même où le patient reçoit ses soins. Des dépistages au point de service peuvent être réalisés et interprétés par des non-spécialistes, comme des médecins de famille et des infirmières praticiennes, voire du personnel non médical comme des intervenants de première ligne et des pairs.3 Ils peuvent également être réalisés dans divers lieux, y compris des lieux non médicaux, comme des bureaux d’organismes communautaires.3,4,5
Le dépistage au point de service pour l’hépatite C peut simplifier le processus du dépistage, tout en réduisant la possibilité que la personne ne fasse pas l’objet d’un suivi après le test de confirmation; ainsi, elle pourrait demeurer arrimée aux soins.6,7,8,9 Le dépistage au point de service peut également conduire à une augmentation du nombre de personnes dépistées, puisqu’il peut être effectué et interprété à l’extérieur des établissements médicaux ainsi qu’en région éloignée.9,10,11,12,13,14 Ceci est particulièrement important pour les populations qui n’ont pas un accès équitable aux soins de santé.
Le système actuel de dépistage de l’hépatite C conduit à un diagnostic exact, mais son processus à deux étapes réalisées en laboratoire peut faire en sorte que des personnes tombent entre les mailles du filet avant le test de confirmation. La cascade du traitement de l’hépatite C, parfois appelée « continuum des soins », peut être utile pour évaluer l’efficacité de nos pratiques actuelles de soins en matière d’hépatite C. Il n’existe pas de statistiques canadiennes concernant la cascade du traitement de l’hépatite C, mais un modèle des États-Unis a été publié en 2014. Ce modèle a permis d’estimer qu’aux États-Unis, seulement 50 % des personnes vivant avec une hépatite C chronique sont au courant de leur infection; que seulement 27 % ont eu un test de confirmation avec résultat positif; et que seulement 16 % ont reçu une ordonnance de traitement.15 Ces données sont semblables aux estimations canadiennes – plus de 220 000 personnes au Canada vivent avec l’infection chronique à VHC et seulement 56 % d’entre elles sont au courant de leur infection.1 Ces données indiquent que nous n’en faisons pas assez, en particulier en matière de dépistage, et que nous devons adopter de nouvelles approches pour joindre les personnes non diagnostiquées. Ceci peut inclure de nouvelles approches programmatiques et l’utilisation de nouvelles technologies.
Plusieurs des populations prioritaires les plus affectées par l’hépatite C au Canada rencontrent d’importants obstacles au dépistage. Des études réalisées dans ces populations ont conclu que des obstacles logistiques, comme le manque de temps pour se faire dépister10, 16 et le manque de transport pour aller dans des établissements de test,10 empêchaient des personnes de se faire dépister pour l’hépatite C. Des obstacles individuels ont également été identifiés, notamment le manque de connaissances concernant l’hépatite C en général16, 17 et son dépistage en particulier,17 l’estimation personnelle erronée de leur risque,17 un manque de compréhension des voies de transmission16 et la peur du résultat.10,18 Des études ont également cerné des obstacles liés au système des soins de santé, y compris le manque de confiance à l’égard des soins16,17,18 et le manque de services culturellement appropriés.16
Le processus à deux étapes pour le dépistage de l’hépatite C peut également poser des obstacles, vu la nécessité de visites multiples et de prises de sang répétées ainsi que la confusion qu’il cause aux fournisseurs de soins de santé et aux patients.6,19,20,21
Depuis les années 1990, plusieurs tests de dépistage de l’hépatite C au point de service ont été développés; ils détectent la présence de l’anticorps à l’hépatite C dans le sang ou dans la salive. La performance varie grandement de l’un à l’autre.22
L’un de ces tests a été développé par la société OraSure Technologies, aux États-Unis. Ce fabricant a développé un test rapide de dépistage des anticorps au VHC dans la salive et dans du sang prélevé au bout d’un doigt, appelé OraQuick. OraQuick HCV est un test de dépistage à usage unique au point de service, pour les anticorps au VHC. Le test Oraquick HCV peut être effectué avec de la salive ou avec du sang entier prélevé par piqûre au bout d’un doigt; il peut détecter les anticorps à tous les génotypes de l’hépatite C.23 D’après l’efficacité comparative des divers tests qui existent, OraQuick est celui qui présente le potentiel le plus élevé d’être utilisé pour le dépistage rapide de l’infection à hépatite C.24
Le test OraQuick HCV pour l’utilisation avec du sang prélevé au bout d’un doigt a été homologué par Santé Canada en janvier 2017. Il a aussi été approuvé par la Food and Drug Administration et par le marquage de conformité CE de l’Union européenne (Conformité européenne), ce qui signifie que le produit satisfait aux exigences essentielles de la législation européenne pertinente en matière de santé et d’innocuité.
Afin d’évaluer la précision du test OraQuick HCV, plusieurs études ont mesuré sa sensibilité (la proportion des cas positifs correctement identifiés) et sa spécificité (la proportion de cas négatifs correctement identifiés). Onze études ont démontré que le test OraQuick HCV présente une sensibilité et une spécificité qui sont toutes deux très fortes.25
Tableau 1. Sensibilité et spécificité des tests OraQuick HCV pour différents fluides
|
Sensibilité (%) |
Spécificité (%) |
Salive |
90,8 – 99,2 |
92,1 – 100,0 |
Sang entier |
94,4 – 100,0 |
98,8 – 100,0 |
Sang prélevé au bout d’un doigt |
95,9 – 100,0 |
99,9 – 100,0 |
Comparativement au type de dépistage des anticorps au VHC le plus utilisé en laboratoire (c.-à-d. le dosage immuno-enzymatique de troisième génération), la sensibilité et la spécificité du test OraQuick HCV par piqûre au bout d’un doigt sont légèrement inférieures, mais sensiblement comparables. Cependant, la sensibilité et la spécificité de l’utilisation du test avec la salive sont plus faibles. Les tests immuno-enzymatiques de troisième génération ont des taux de sensibilité et de spécificité dépassant les 99 %.25
Les programmes de dépistage rapide de l’hépatite C au point de service peuvent accroître le taux d’arrimage aux soins parmi les personnes dont le dépistage est réactif (positif). Dans une étude réalisée au Connecticut en 2012 et 2013, on a observé que, des personnes dont le résultat du dépistage des anticorps au VHC était positif, celles qui ont choisi le dépistage rapide étaient considérablement plus susceptibles d’être arrimées à des soins spécialisés pour l’hépatite C, en comparaison avec celles qui ont choisi le test conventionnel en laboratoire (respectivement 93,8 % et 18,2%).12
Dans une autre étude offrant le dépistage rapide de l’hépatite C aux clients d’une clinique spécialisée dans les infections transmissibles sexuellement, on a constaté que 98 % des clients recevant un résultat positif au dépistage des anticorps retournaient à la clinique pour le test de suivi. De ceux qui avaient une infection chronique et qui sont retournés pour connaître leur résultat, 85 % ont été dirigés vers des soins et 52 % se sont présentés à un rendez-vous avec un spécialiste.9
Dans un programme offrant le dépistage rapide de l’hépatite C en milieu communautaire dans un quartier à forte prévalence de Philadelphie, 87 % des personnes dont le résultat au dépistage des anticorps était positif sont retournées pour un test de confirmation. Parmi les clients ayant une infection chronique à hépatite C et qui avaient un fournisseur de soins de santé primaires, 75 % ont été dirigés vers des soins spécialisés et 91 % de ceux-ci se sont présentés à leur premier rendez-vous.7
Un essai contrôlé randomisé comparant le dépistage rapide et les tests sanguins conventionnels pour l’hépatite C, le VIH et l’hépatite B a conclu que, dans l’ensemble, 90 % des clients qui recevaient un résultat positif dans le volet du dépistage rapide étaient arrimés à des soins, comparativement à 83 % dans le volet du dépistage conventionnel. Bien que ceci puisse être significatif sur le plan clinique, ça ne l’était pas du point de vue statistique.26
Peu de recherches ont comparé le rapport coût-efficacité du dépistage rapide de l’hépatite C et du dépistage standard en laboratoire. Une étude a conclu que les coûts du dépistage rapide et du dépistage standard en laboratoire étaient comparables.27 Une autre a comparé deux stratégies coût-efficacité dans le contexte du traitement de la toxicomanie; elle a conclu qu’il était plus rentable d’offrir le dépistage rapide de l’hépatite C sur les lieux que de diriger les clients vers un dépistage dans la communauté.28
Les tests de dépistage de l’hépatite C au point de service semblent acceptables pour les clients. Lorsqu’on les a interrogés sur cette question, les participants à des études ont mentionné le plus souvent la réception du résultat le même jour, pour expliquer leur préférence.26
Une étude basée sur une enquête auprès de personnes consommant des drogues, qui a évalué l’acceptabilité des dépistages rapides de l’hépatite C, a permis d’observer que 85 % des répondants trouvaient ce type de dépistage acceptable.29 Une autre étude, chez des clients n’ayant pas d’assurance maladie et fréquentant une clinique gratuite, a observé une préférence à l’égard des dépistages rapides, comparativement aux dépistages effectués en laboratoire. Elle a conclu que 76 % des clients préféraient un dépistage rapide à un dépistage en laboratoire, pour l’hépatite C et d’autres infections transmissibles par le sang.26
Certains fournisseurs de services préfèrent les dépistages de l’hépatite C au point de service.
Une étude a conclu à une préférence marquée à l’égard du test OraQuick HCV pour le dépistage au point de service, de la part d’intervenants en milieu communautaire servant des populations prioritaires dans la ville de New York. Dans cette étude, 99 % des fournisseurs de services ont déclaré préférer le dépistage au point de service au test standard en laboratoire.6 Cinq de ces organismes communautaires ont pour clientèle des personnes s’injectant des drogues, et deux servent des populations d’immigrants de pays où l’hépatite C est endémique. Les bienfaits déclarés incluaient la facilité de prélever l’échantillon en milieu communautaire, une diminution du nombre de blessures avec des aiguilles, une visite unique pour le dépistage des anticorps et le résultat (ce qui a conduit à un nombre accru d’orientations pour des tests de confirmation) et la possibilité d’effectuer un nombre accru de dépistages.6
Les tests de dépistage de l’hépatite C au point de service offrent le potentiel d’augmenter le nombre de personnes qui sont dépistées et qui sont arrimées à des soins. Ces tests de dépistage d’anticorps, qui sont simples à réaliser et relativement non invasifs, peuvent s’utiliser facilement dans des circonstances qui ne sont pas celles du milieu classique des soins de santé. Ceci peut accroître l’accessibilité du test, en particulier pour les populations qui ne fréquentent pas souvent ou assidûment les services de santé grand public.
Ces dépistages de l’hépatite C au point de service sont très prometteurs en ce qui concerne l’accessibilité accrue du dépistage et l’amélioration de l’arrimage aux soins parmi les populations prioritaires, certes, mais leur utilité et leur impact dépendent au bout du compte de la qualité de l’intégration de cette technologie dans des programmes complets en matière d’hépatite C pour l’ensemble du continuum des soins. Bien que ces dépistages au point de service constituent une méthode de test relativement simple et rapide, il demeure nécessaire de procéder à des tests de confirmation. À proprement parler, il demeure crucial d’effectuer le suivi auprès des patients et de trouver des moyens de soutenir ceux-ci afin qu’ils retournent s’informer le résultat du test et continuent de recevoir des soins. Les dépistages au point de service réduisent le nombre de visites médicales nécessaires pour confirmer le statut sérologique d’un patient positif pour l’hépatite C, mais plusieurs visites demeurent nécessaires. Il est crucial de trouver des moyens pour rendre les rendez-vous accessibles et également d’explorer des moyens créatifs pour soutenir les clients afin qu’ils se présentent aux rendez-vous – y compris un soutien au transport, des rappels et un accompagnement. Le développement de services culturellement sécuritaires et centrés sur le client peut également éviter que des clients tombent entre les mailles du filet du suivi.
Le dépistage est une étape essentielle du continuum des soins, mais l’arrimage des clients à des soins spécialisés est crucial également. Des traitements abordables et des programmes appropriés, développés par et pour les populations prioritaires, sont des éléments critiques du processus, en plus des technologies et programmes de prévention. Les dépistages au point de service offrent le potentiel de diagnostiquer un nombre accru de Canadiens. La clé sera de relier ces populations à des soins et traitements appropriés, abordables, complets et en temps opportun, avant et après le dépistage.
Une clinique de Vancouver a démontré l’impact que ceux-ci peuvent avoir dans des communautés à faible prévalence. La clinique des maladies infectieuses de Vancouver utilise le dépistage rapide de l’hépatite C dans ses initiatives de cliniques communautaires éphémères, comme un moyen de dépister et de diagnostiquer des personnes qui sont exposées à l’hépatite C de façon continue, puis celles dont le dépistage des anticorps à l’hépatite C livre un résultat positif sont reliées à des services de test de confirmation et à des soins.
Références
Suzanne Fish est courtière en connaissances dans les Programmes de santé communautaire liés à l’hépatite C de CATIE. Suzanne détient une maîtrise en économie politique et participe depuis 10 ans à des initiatives d’équité en santé et de mobilisation communautaire dans une gamme d’organismes de services sociaux, d’organismes communautaires et de groupes populaires de la société civile dans plusieurs pays. Dans sa recherche et son travail en matière de justice sociale, elle vise surtout à centrer les perspectives acquises de l’expérience vécue et des interventions fondées sur des données probantes dans les sphères de développement des projets, des programmes et des politiques.