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par Renée Masching, Doris Peltier, Tracey Prentice et Randy Jackson
au nom du RCAS
Le VIH a de profondes répercussions sur les femmes et les jeunes des communautés autochtones du Canada. C’est une tendance inquiétante qui exige une intervention robuste, immédiate et soutenue. Le présent article souligne l’importance de déployer des efforts ciblés en fait de prévention du VIH afin de mobiliser les femmes autochtones en tant que leaders, ainsi que l’ensemble de la communauté, en vue de combler les besoins des femmes et de maximiser leur santé. Nous pouvons et devons prévenir l’exposition au VIH et empêcher la progression souvent trop rapide vers le sida chez les personnes vivant avec le VIH.
Selon les résultats du recensement de 2006, près de 1,2 million de personnes s’identifient comme étant membres d’une Première Nation, Inuits ou Métis (Autochtones), soit 3,8 % de la population canadienne.1 Les peuples autochtones partagent une histoire commune de colonisation et une vision commune du monde ancrée dans les relations qu’ils entretiennent entre eux et avec le monde naturel. Cependant, on observe également une grande diversité d’un océan à l’autre. Nous parlons plus de 55 langues appartenant à onze grands groupes de langues;2 il existe 615 bandes autochtones officielles, 2 284 réserves, 52 communautés inuites3 et d’innombrables colonies métisses. Un peu plus de la moitié (51,2 % ou 600 700 sur 1 172 790) de tous ceux qui s’identifient comme Autochtones sont des femmes. De plus, près de la moitié (48 %) de la population autochtone du Canada est âgée de moins de 24 ans, comparativement à 31 % de l’ensemble de la population canadienne.1 Ces chiffres ne sont qu’un pâle reflet de la diversité de la population autochtone du Canada. Nous avons des traditions et des rituels différents; nous vivons dans des milieux urbains, ruraux et isolés, et en ce qui concerne les répercussions de la colonisation sur la santé, nos défis (y compris l’accès à des professionnels de la santé et à de l’information sur la santé) varient considérablement.4,5
Les peuples autochtones représentent peut-être seulement 3,8 % de la population mais, en 2008, nous représentions 8 % de toutes les personnes vivant avec le VIH et environ 12,5 % de toutes les nouvelles infections au VIH au Canada. Trois décennies après le début de l’épidémie, les femmes autochtones supportent une trop grande partie du fardeau de l’infection au VIH. Entre 1998 et 2008, les femmes représentaient 48,8 % de tous les résultats positifs des tests de dépistage du VIH chez les peuples autochtones, comparativement à seulement 20,6 % chez les femmes d’autres groupes ethniques.6 Il faut noter que les statistiques sur le VIH selon l'origine ethnique pour l’Ontario et le Québec ne sont pas rapportées à l’échelle nationale, bien que ces deux provinces affichent une prévalence élevée de VIH et hébergent une proportion significative de la population autochtone.6
Les taux d’infection au VIH chez les femmes autochtones continuent de grimper avec l’apparition de nouvelles épidémies en Saskatchewan7 et au Manitoba.8 Cette réalité affecte tous les membres de nos communautés, y compris les hommes autochtones et l’unité familiale de façon générale.9 Étant donné le jeune âge de notre population, la possibilité pour les femmes en âge de procréer d’être exposées au VIH est une grande source de préoccupation.
Nous savons que la prévention au sein de la communauté autochtone au Canada est plus efficace et plus réaliste lorsqu’elle est issue de la communauté et qu’elle respecte les particularités culturelles.10 Pour être fructueuses, les initiatives de prévention doivent :
Une approche holistique en matière de prévention du VIH est conforme à la vision autochtone du monde selon laquelle tous les peuples de la création coexistent les uns avec les autres dans un tout dynamique.14 Lorsqu’une partie du cercle va mal, tout le cercle en est affaibli et se porte mal. Ce principe permet de mieux comprendre ce que représente la bonne santé pour l’individu et pour la communauté.
Les déterminants sociaux de la santé des Autochtones doivent être pris en compte si l’on veut placer les réalités autochtones en contexte. En plus de la sécurité du revenu, l’emploi, l’éducation, la nourriture et le logement, ces déterminants comprennent aussi la colonisation, le racisme, l’exclusion sociale, l’autodétermination et la continuité culturelle (le degré de cohésion sociale et culturelle au sein d’une communauté).12,13 Au lieu de privilégier des initiatives de prévention axées sur les comportements individuels – qui ont parfois tendance à « blâmer la victime » – cette approche met l’accent sur les déterminants structurels des inégalités en matière de santé, qui reconnaissent l’incidence du contexte politique et socio-historique dans la création d’« environnements de risque » qui façonnent et restreignent le comportement d’un individu.
Les approches qui visent une prévention précoce en s’attaquant aux causes profondes des comportements risqués15 susceptibles de se produire à un stade avancé de la vie contribuent à améliorer le bien-être général des femmes. La sécurité et le bien-être des filles et des jeunes femmes qui grandissent avec des modèles solides et des renseignements fiables pour maintenir une bonne santé sont des éléments clés de notre avenir. La recherche sur la violence sexuelle révèle des liens entre des sévices sexuels subis par les femmes autochtones dans l’enfance et le cycle soutenu de violence qui peut mener à une exposition au VIH,16 ce qui confirme les avantages des interventions précoces en matière de prévention.
Les initiatives de prévention seront plus efficaces si elles visent à réduire les torts potentiels et à rendre les activités plus sécuritaires — par exemple, promouvoir le sécurisexe au lieu de l’abstinence; encourager les utilisateurs de drogues à réduire leur consommation au lieu de leur dire de ne pas consommer du tout, et évaluer dans quelle mesure les communautés sont prêtes à adopter une telle approche.17
La prévention du VIH chez les femmes autochtones consiste à prévenir de nouvelles infections et à empêcher la progression rapide de la maladie chez les femmes séropositives. Cela encourage ces dernières à prendre leur propre santé et leur propre bien-être en main, diminue le risque d’exposition à des souches multiples de VIH et réduit le risque de transmission du VIH à d’autres personnes (« prévention positive »).
L’une des nouvelles priorités pour les femmes autochtones du Canada est de mettre l’accent sur le côté positif : à la fois les personnes séropositives et un point de vue positif qui favorise la bonne santé. Kecia Larkin, une militante autochtone qui lutte depuis longtemps contre le sida a forgé l’acronyme PAW qui correspond à « positive Aboriginal women » pour capter ce concept de façon explicite. Le mot PAW (qui signifie « patte ») a également une forte connotation culturelle puisque les ours ont une place de choix dans de nombreuses cultures et histoires autochtones. De récents travaux de recherche fondés sur les arts ont démontré que la prévention « PAWsitive » qui mise sur les forces que possèdent déjà les femmes autochtones est utile, pertinente et contribue à renforcer le rôle central des femmes dans la communauté.18 Dans cette optique, le RCAS a pris des mesures à la suite des recommandations du rapport de recherche intitulé Our Search for Safe Spaces16 en élaborant une « PAW-litique » sur le besoin de créer des espaces sécuritaires. Éduquer les filles, prendre soin de nos femmes et mobiliser nos hommes, nos jeunes et les Aînés d’une façon saine sont des éléments clés de la prévention du VIH.
Voici certains éléments et approches clés susceptibles d’amener les femmes autochtones séropositives à participer activement à la prévention du VIH :
Les initiatives mises de l’avant par les organismes autochtones de lutte contre le sida s’appuient sur la recherche. De plus, nos efforts de lutte contre le VIH consistent principalement à élaborer des politiques et à effectuer de la planification stratégique. Le document fondateur résumant toutes ces initiatives s’intitule Environments of Nurturing Safety (EONS) et a été produit par le RCAS après avoir consulté plus de 300 femmes autochtones de partout au Canada.19 EONS offre un contexte et un historique, cerne les besoins des femmes autochtones et énonce une stratégie quinquennale visant à combler ces besoins.
En partenariat avec l’Association des femmes autochtones du Canada, l’énoncé de « PAW-litique » du RCAS traite de la création d’espaces sécuritaires, tels que les « PAW Dens » (tanières). L’énoncé est conçu de manière à ce qu’un organisme puisse facilement adapter et approuver la politique afin de démontrer son soutien et son engagement. Au cœur de la politique, « CAAN recommande de créer des milieux où les femmes autochtones séropositives peuvent s’épanouir et d’aménager des espaces pour discuter de l’incidence des traumatismes et de la violence. Ensemble, les hommes, les femmes, les enfants et les Aînés peuvent appuyer les femmes autochtones séropositives et leurs enfants dans chaque région de l’Île de la Tortue. »
Une robuste campagne de prévention du VIH doit tenir compte du fait que les infrastructures des communautés et des organismes autochtones sont limitées. Les peuples autochtones résident souvent à l’extérieur des grands centres urbains, ce qui limite leur accès à des services de santé et oblige les organismes à fournir des ressources et des services de sensibilisation allant de séances d’information à du soutien. Des partenariats solides avec les organismes qui ont des mandats semblables et l’intégration innovatrice de messages sur le VIH dans divers secteurs rehausseront la visibilité des initiatives de prévention dans ce domaine. Des investissements accrus et soutenus dans les relations de soins avec les Autochtones vivant avec le VIH et le sida et leurs communautés favoriseront une santé améliorée.20
En 2011, le thème de la Semaine de sensibilisation au sida chez les Autochtones (1er au 5 décembre) était « Il faut une communauté entière pour appuyer le changement. » Chaque personne, chaque famille, chaque communauté et chaque nation peut faire sa part. La prévention est ancrée dans l’action communautaire appuyée par des politiques et dans l’engagement direct des dirigeants. Les femmes autochtones sont les fournisseuses de soins pour leurs familles et leurs communautés. Notre comportement à l’égard de nos femmes influencera l’évolution de nos communautés. Se renseigner sur les risques de transmission du VIH et la réduction de ces risques et examiner comment les actions sont mises en contexte et étiquetées aidera à réduire le risque en favorisant la compréhension et en diminuant la stigmatisation liée au VIH. Les alliés, les personnes et les organismes non autochtones peuvent participer à cette intervention. Nous avons tous d’innombrables occasions d’intervenir en répondant de manières simples ou en agissant dans un contexte plus vaste comme les services et les politiques.
Références
Le Réseau canadien autochtone du sida (RCAS) est un des organismes à la tête d’un effort communautaire concerté de lutte contre le VIH et le sida. Notre travail est guidé par nos membres et appuyé par un réseau d’organismes partenaires locaux, régionaux, provinciaux et nationaux. Le RCAS participe à de nombreuses campagnes et, de concert avec nos alliés, nous avons élaboré ou participé à des initiatives stratégiques et efficaces visant à prévenir l’infection au VIH dans nos communautés.