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Recommandations organisationnelles

Les recommandations suivantes décrivent les approches et les mécanismes à l’échelon organisationnel qui sont des facteurs clés dans l’élaboration de modèles de soins intégrés accessibles, pertinents et efficaces pour aborder l’hépatite C.

Recommandation organisationnelle no 1 : Ancrer les partenariats interagences et intersectoriels pour les programmes liés à l’hépatite C dans la poursuite d’une vision et de buts communs

Un facteur de succès clé pour assurer l’intégration et la collaboration entre les agences consiste à élaborer une vision commune et des buts communs. Les organismes qui se concertent et élaborent une vision commune et une méthode pour évaluer le succès sont plus motivés et ont le soutien structurel nécessaire pour travailler de façon cohésive à l’atteinte d’un objectif commun. Le programme hépatite C de Toronto est un bon exemple de la manière dont diverses agences ont élaboré une vision unificatrice et des mécanismes partagés de reddition de comptes.

Élaborer des buts partagés est non seulement utile pour les partenariats entre les spécialistes et les organismes de soins primaires, mais c’est aussi important pour les partenariats entre un large éventail de secteurs, y compris les services correctionnels. La collaboration et les partenariats avec les services correctionnels et les organismes qui accompagnent les anciens détenus après leur libération et la réinsertion sociale sont essentiels pour desservir la population carcérale – une population prioritaire qui est actuellement mal desservie.

Recommandation organisationnelle no 2 : Créer, pour les services liés à l’hépatite C, des structures et des partenariats organisationnels en vue de promouvoir une approche pluridisciplinaire axée sur des équipes et centrée sur les clients

Un facteur de succès clé dans la mise en œuvre de services complets et centrés sur les clients en matière d’hépatite C est d’assurer un accès homogène à des soins pluridisciplinaires. Il est important de travailler avec un éventail complet de fournisseurs de services provenant d’une variété de disciplines et de spécialités, mais cela ne suffit pas pour élaborer des modèles d’équipe cohérents et intégrés. Il peut également être utile de structurer intentionnellement une approche d’équipe pluridisciplinaire grâce à des partenariats organisationnels ou en demandant à du personnel de différents secteurs de travailler à partir d’un modèle de cas partagé. Il peut aussi être bénéfique d’organiser des échanges d’apprentissage et autres activités d’équipe internes afin d’accroître le sentiment de culture partagée et de travail partagé.

Le programme hépatite C de Toronto est fondé sur une approche d’équipe interdisciplinaire en matière d’hépatite C. Les gestionnaires de cas ont maintenant des dossiers intégrés et gèrent des équipes pluridisciplinaires.

Recommandation organisationnelle no 3 : Élaborer des structures de gouvernance communautaire et inclure l’équité en matière de santé dans les valeurs organisationnelles

Un élément de succès essentiel dans l’élaboration de modèles intégrés et centrés sur les clients pour les soins liés à l’hépatite C est la capacité organisationnelle de faire preuve de souplesse et de pouvoir répondre aux besoins de la communauté. Les organismes élaborent souvent des approches et des programmes fondés sur un besoin dans la communauté, mais les besoins et les réalités communautaires peuvent changer avec le temps. Il est donc impératif d’avoir les capacités organisationnelles nécessaires pour modifier les priorités et les approches afin de demeurer pertinent et efficace.

Les processus invitant une évaluation soutenue de la pertinence et de l’efficacité organisationnelles intègrent le changement et la souplesse dans les structures organisationnelles et permettent la mise en place de programmes souples. Le fait d’avoir une mission organisationnelle liée à l’équité en matière de santé permet aux organismes d’être souples et de changer avec le temps en fonction des besoins et des ressources de la communauté. Semblablement, le fait d’être ancré dans la communauté et d’être gouverné par cette dernière par l’entremise de conseils et comités consultatifs communautaires favorise l’adaptabilité aux besoins de la communauté.

ASK Wellness Centre

Un organisme très réceptif aux besoins changeants de la communauté : redéfinir le continuum de soins

Le ASK Wellness Centre à Kamloops, en Colombie-Britannique, anciennement un organisme de lutte contre le VIH, est un exemple de modèle organisationnel intégré qui aborde les déterminants plus larges de la santé. Cet organisme a élargi ses services et son mandat pour combler les besoins changeants de ses utilisateurs de services; il constitue maintenant un carrefour pour les personnes qui ont des problèmes de santé mentale et d’utilisation de substances et qui sont souvent sans abri. L’organisme ne concentre plus ses efforts sur les infections transmissibles par le sang de façon isolée et dessert maintenant toute personne qui a besoin de services de logement et de santé mentale. Le logement, l’emploi et l’éducation font maintenant partie du continuum de soins de ASK. Des services de prévention, de dépistage et de traitement de l’hépatite C (et du VIH)  sont fournis au besoin, mais ne sont plus le point d’entrée aux services.

Recommandation organisationnelle no 4: Investir dans le renforcement des systèmes communautaires[fn]Le renforcement des systèmes communautaires est une approche qui favorise la création de communautés et d’organismes, de groupes et de structures communautaires informés, capables et coordonnés, et permet aux organismes communautaires d’être des partenaires égaux et efficaces dans la production de résultats en matière de santé.[/fn]

« Les milieux urbains et non urbains se fient tous deux à la bonne volonté plutôt qu’à de bons systèmes pour faire bouger les choses. Nous n’avons pas d’approche axée sur les systèmes. Nous nous fions à cette tradition d’approche caritative en raison des communautés dont nous parlons et parce qu’elles ne sont pas perçues comme étant méritoires. C’est la lutte que nous menons collectivement. » – Participant à la réunion
« Tous les modèles présentés montraient des personnes animées d’une grande passion et prêtes à repousser les limites. Quand nous parlons de modèles et de transférabilité, nous devons reconnaître que certains modèles ne fonctionnent que grâce à l’engagement exceptionnel des personnes qui repoussent les limites. » – Participant à la réunion

Les organismes et les personnes qui prodiguent des soins intégrés, centrés sur les clients et sur l’équité en matière de santé pour l’hépatite C le font en grande partie par bonne volonté et non parce qu’ils sont appuyés et habilités à le faire au sein du système de santé. Il est précaire et peu viable de dépendre de la persistance de quelques personnes dévouées qui sont disposées à travailler dans un milieu où il y a peu de ressources et de soutien. Il est également difficile d’élargir la portée de ces approches et de reproduire des modèles qui fondamentalement nécessitent un engagement exceptionnel sans un soutien structurel/systémique.

Recommandation organisationnelle no 5 : Explorer d’autres sources de financement qui permettent une distribution interne des ressources et des structures d’incitatifs qui favorisent l’intégration et l’équité en matière de santé

Un des avantages qu’il y a à élaborer des modèles intégrés et complets pour les soins liés à l’hépatite C est que cela donne l’occasion de solliciter des fonds auprès de sources qui, traditionnellement, ne financent pas les services de santé, y compris les bailleurs de fonds qui appuient les services de logement, l’emploi, les arts, la culture, etc. Tel que l’a décrit un des participants à la réunion : « Un des avantages de l’intégration est la diversification des stratégies de financement. On peut chercher à obtenir un financement auprès d’un éventail de bailleurs de fonds et mieux parer aux changements dans l’octroi de financement. »

Le financement de l’industrie pharmaceutique est l’une des options possibles pour augmenter les ressources de financement et jouir d’une certaine latitude et d’une certaine créativité quant à la structure de paiement et à l’allocation interne des ressources. Il y a cependant des considérations d’ordre éthique qui doivent être prises en compte lorsqu’on tente d’obtenir des fonds auprès de compagnies pharmaceutiques et d’autres industries dont l’incidence et l’approche fondamentales peuvent être contraires à l’équité et à la justice. Il est important pour les organismes de comprendre les répercussions d’une collaboration avec l’industrie et de s’assurer que des stratégies internes intentionnelles soient axées sur elles.

Le financement public comporte son propre lot de défis et de dilemmes éthiques. Les fonds publics sont souvent liés à des limites d’usages spécifiques définies par des paramètres très étroits. L’acceptation de fonds publics peut limiter la capacité d’un organisme de s’adonner à des activités de défense des intérêts politiques pour les questions touchant l’équité en matière de santé. Comme l’a exprimé l’un des participants à la réunion : « Nous traversons une véritable crise parce que ce sont les bailleurs de fonds publics auxquels nous nous fions pour faire ce travail qui tirent les ficelles et qui nous forcent – comme si nous étions des marionnettes – à aborder l’intégration de façon holistique alors qu’ils n’ont pas la même compréhension nouvelle du terme holistique. Le financement dépend de nos modèles axés sur la maladie et nous la qualifions d’approche axée sur la population. »

Un des facteurs clés de succès consiste à investir dans la résolution des problèmes systémiques sous-jacents du système de santé qui découragent le travail avec les populations marginalisées et la création de modèles de soins intégrés et centrés sur le client. Cela exige que les organismes investissent dans les capacités nécessaires pour résoudre les problèmes systémiques et élaborent des stratégies pour le changement, les forçant ainsi à devenir des experts  en renforcement des systèmes communautaires.[fn]The Global Fund to Fight Aids, Tuburculosis and Malaria. Community systems strengthening framework. Edition révisée. 2014.[/fn] Le personnel peut ne pas posséder les compétences requises pour l’analyse des systèmes et le changement systémique. Investir dans ces compétences et aptitudes et forger des partenariats avec des organismes qui les possèdent déjà est essentiel pour préparer une intervention durable, résiliente et cohérente face à l’épidémie d’hépatite C.

Recommandation organisationnelle no 6 : Déployer des efforts en vue d’instaurer une structure de rémunération fondée sur le salaire et investir des ressources dans la rémunération équitable des pairs et autres fournisseurs de soins de santé non traditionnels

Un facteur clé de succès à l’échelon organisationnel consiste à investir des ressources pour permettre une rémunération adéquate et offrir des incitatifs aux fournisseurs de services et aux équipes pour les encourager à consacrer le temps nécessaire pour assurer une approche coordonnée et détaillée aux soins centrés sur les clients. Bien qu’il y ait eu des innovations dans l’élaboration de stratégies et de modèles intégrés, complets, pluridisciplinaires, culturellement sécuritaires, axés sur l’équité en matière de santé et qui tiennent compte des traumatismes pour l’hépatite C, les modèles traditionnels de financement des soins de santé ne se sont pas nécessairement adaptés pour refléter ces virages. Par conséquent, certaines des structures de financement plus traditionnelles limitent la capacité d’offrir des soins intégrés, pluridisciplinaires et axés/centrés sur les clients. Par exemple, le modèle traditionnel de rémunération à l’acte limite la quantité de temps que les fournisseurs de soins de santé peuvent passer avec leurs clients ou à forger des partenariats avec d’autres organismes de services communautaires. Dans ces cas, un modèle de paiement fondé sur les salaires pourrait être mieux indiqué pour les programmes centrés sur les clients.

Les structures de financement traditionnelles peuvent avoir des ressources limitées pour les pairs et/ou les fournisseurs de santé non traditionnels tels que les guérisseurs et aînés autochtones. Il est important d’investir dans les ressources afin de pouvoir offrir une rémunération adéquate à ces personnes et leur permettre d’appuyer une équipe véritablement pluridisciplinaire.

Recommandation organisationnelle no 7 : Faire participer un large éventail d’intervenants aux changements organisationnels

L’adoption d’une approche intégrée, axée sur l’équité en matière de santé et centrée sur les clients pour les soins liés à l’hépatite C entraînera des changements organisationnels significatifs. Pour certains organismes de santé communautaire, le bassin de population peut demeurer le même, mais les partenaires spécifiques et le processus d’intégration peuvent être nouveaux. Dans le cas des organismes de lutte contre le VIH qui incluent l’hépatite C dans leurs programmes et services, les populations prioritaires peuvent changer et le niveau de soins intégrés peut également être nouveau. Chaque organisme subira des changements spécifiques, que ce soit dans leur bassin de population, la dotation en personnel, l’approche à la prestation de programmes et services ou les buts. Un vaste processus d’engagement des intervenants qui invite les utilisateurs de services, les personnes ayant une expérience vécue, des membres du personnel et de la direction à partager leurs préoccupations, à explorer les occasions entourant le changement et à élaborer un plan unifié est une étape critique dans les stratégies de gestion du changement visant à permettre d’élaborer des programmes adaptables en matière d’hépatite C.

Intégration de l’hépatite C dans les organismes de lutte contre le VIH

Quand il s’agit d’intégrer l’hépatite C dans la prestation de programmes et de services des organismes de lutte contre le sida, il faut de l’espace pour explorer et aborder – au moyen d’un processus d’engagement des intervenants – les nombreux défis et préoccupations qui surviennent. Tel que l’a exprimé un participant à la réunion : « Une des choses que nous devons reconnaître est la crainte que ressentent les organismes de lutte contre le VIH quant à ce qui va se passer. Avec l’hépatite C, les simples chiffres font peur aux personnes qui vivent avec le VIH. Que va-t-il se passer? Va-t-on mettre l’accent sur le VIH? Les services liés au VIH vont-ils souffrir? Comment allons-nous honorer les différences chez les gens? Il y a beaucoup de points communs et de co-infections, mais il s’agit de deux clientèles différentes – surtout si on parle de guérison. Si nous avons un remède, nous voulons que les gens terminent le traitement et abandonnent progressivement nos services, tandis qu’avec le VIH, il s’agit d’un engagement à vie dans les services. Je veux que tout le monde soit au courant de l’anxiété croissante que nous ressentons quand on envisage de reconcevoir les programmes et de les mettre en œuvre. » Ces types de questions peuvent être explorées dans le cadre d’un processus d’engagement des intervenants et il est également important de partager les solutions avec les autres organismes de lutte contre le VIH.

Recommandation organisationnelle no 8 : Aborder les déterminants sociaux de la santé grâce à des partenariats intersectoriels

« Les pilules traiteront l’hépatite C, mais ne traiteront pas les déterminants sociaux des facteurs de risque. C’est là que toute la question de la réinfection entre en jeu. D’après ces modèles, à moins de fournir des soins propices et d’élargir la portée des services de réduction des méfaits et de traitement des dépendances, nous ne pourrons pas renverser la vapeur de l’hépatite C chez les personnes qui s’injectent des drogues ou qui appartiennent au groupe où la transmission se produit activement. C’est là que l’intégration des services devient un important morceau du casse-tête. » – Participant à la réunion
« La chose qui était réellement importante pour nous était de bâtir une certaine compétence culturelle au sein de notre personnel et d’examiner quels étaient nos partenariats à l’intérieur de notre modèle de prestation des services. Plusieurs des propriétaires du secteur privé avec lesquels nous travaillions expulsaient les locataires autochtones parce que des membres de leurs familles restaient avec eux. Nous avons parlé aux propriétaires de ce que la famille représente et nous avons travaillé avec les clients pour défendre leurs droits et leurs besoins. » – Participant à la réunion.

Un modèle intégré et centré sur les utilisateurs de services tient compte des déterminants sociaux plus larges en matière de santé dans la vie d’un individu. Grâce à des collaborations de programme avec d’autres services et des partenariats intersectoriels, beaucoup de modèles intégrés aident les utilisateurs de services à avoir accès aux services et soutiens sociaux plus larges dont ils ont besoin, y compris le logement, l’emploi, la stabilité du revenu et l’accès à des aliments sains, des services d’établissement, juridiques, culturels et autres mentionnés par les clients.

Recommandation organisationnelle no 9 : Combattre le racisme, la stigmatisation et la discrimination grâce à des pratiques d’embauche axées sur l’équité, la formation anti-oppression, le changement des structures de pouvoir internes et la sensibilisation du public

« Le degré de racisme dans notre communauté est un obstacle majeur aux soins. » – Participant à la réunion

Une approche organisationnelle antiracisme et anti-oppression est essentielle pour créer des services appropriés pour les personnes les plus touchées par l’hépatite C et, éventuellement aborder les causes profondes du manque d’équité en matière de santé. Il est important d’embaucher une main-d’œuvre diversifiée et représentative de la communauté desservie et/ou de s’allier à des organismes dirigés par et pour les personnes les plus touchées. Il peut aussi être important de fournir une formation antiracisme et anti-oppression au personnel et de modifier les relations et les structures de pouvoir de manière à ce que les utilisateurs de services et les personnes marginalisées qui font face à un racisme personnel et systémique soient dotés d’un pouvoir décisionnel au sein de l’organisme.

Il est également important d’investir dans des efforts visant à combattre et à éliminer le racisme, la discrimination et l’oppression en dehors de l’organisation et dans l’ensemble de la communauté. Pour s’attaquer à l’ensemble des causes profondes systémiques de l’iniquité, il faut des activités de sensibilisation du public, de défense des intérêts politiques et d’établissement de relations inter-mouvements pour la décriminalisation, la décolonisation et les initiatives axées sur l’équité.

S’attaquer au racisme interpersonnel et systémique contre les peuples autochtones

Dans le contexte de la lutte contre le racisme interpersonnel et systémique à l’endroit des peuples autochtones, il est important pour les organismes d’accorder une attention particulière à l’apprentissage des réalités de la colonisation, des traumatismes intergénérationnels subis dans les pensionnats, du génocide culturel et des mauvais traitements systémiques et d’aborder ces enjeux. Des initiatives et des stratégies en matière d’hépatite C dirigées par des personnes autochtones sont essentielles. Dans le cas des organismes qui ne sont pas dirigés par des personnes autochtones, cela peut signifier de forger des partenariats avec des organismes et des stratégies autochtones, d’y investir, d’intervenir en leur nom et d’écouter leurs conseils.[fn]Conseil canadien de la santé. Empathie, dignité et respect : Créer la sécurisation culturelle pour les Autochtones dans les systèmes de santé en milieu urbain. Toronto. Conseil canadien de la santé. 2012.[/fn]