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Depuis quelques décennies, le Canada et d’autres pays à revenu élevé ont accompli des progrès considérables en ce qui a trait à la réduction du risque de transmission mère-enfant du VIH. Selon le Programme de surveillance périnatale du VIH au Canada, la transmission mère-enfant du VIH est extrêmement rare de nos jours au Canada.
Un élément crucial de la réduction de ce risque consiste à supprimer le plus possible la quantité de VIH (charge virale) dans le sang de la mère aussitôt que possible durant la grossesse et à la maintenir ainsi. Les combinaisons de médicaments anti-VIH puissants (couramment appelées TAR) ont donc un rôle essentiel à jouer pour aider à réduire la transmission mère-enfant du VIH. En suivant les étapes ci-dessous, on peut réduire le risque de transmission mère-enfant du VIH jusqu’à moins de 1 % :
Selon des médecins aux États-Unis, « malgré les efforts énormes déployés par la santé publique… [la transmission mère-enfant du VIH] se produit encore, souvent parmi des femmes qui [recherchent] des soins tard dans la grossesse et qui ont une charge virale élevée à cause de problèmes de résistance médicamenteuse [à défaut de prendre la TAR tous les jours en suivant les consignes], ou dont les soins du VIH commencent tardivement. »
Dans les cas où une femme enceinte a une charge virale élevée près du moment prévu de l’accouchement, les médecins et les infirmières ont peu d’options pour minimiser le risque d’infection pour le nouveau-né :
Les inhibiteurs de l’intégrase sont une classe de médicaments anti-VIH qui, lorsqu’ils sont utilisés dans le cadre d’une TAR, peuvent réduire plus rapidement la charge virale que les TAR ne comportant pas d’inhibiteur de l’intégrase. Voici quelques exemples d’inhibiteurs de l’intégrase :
Des médecins œuvrant dans 11 cliniques hospitalières majeures aux États-Unis ont analysé des données recueillies auprès de femmes séropositives enceintes, en comparant notamment l’utilisation de combinaisons TAR incluant des inhibiteurs de l’intégrase aux combinaisons sans inhibiteur de l’intégrase. Les médecins ont constaté que les régimes comportant des inhibiteurs de l’intégrase pouvaient réduire de dix fois (un log) la charge virale en une période aussi courte qu’une semaine. En guise de contraste, notons que les régimes sans inhibiteur de l’intégrase mettaient plus de temps, soit entre trois et six semaines, à exercer un effet semblable sur la charge virale.
À la lumière de ce résultat, les médecins responsables de cette étude soulignent que les TAR à base d’inhibiteur de l’intégrase ont potentiellement un rôle important à jouer dans la réduction de la charge virale chez les femmes qui recherchent des soins à un moment tardif de leur grossesse.
Les médecins ont passé en revue des informations provenant de la base de données de chaque clinique. Les données ont été collectées entre juillet 2009 et juillet 2015. En tout, les chercheurs ont analysé des données recueillies auprès de 101 femmes séropositives enceintes.
Le profil moyen des femmes était le suivant au début de l’étude :
Sur les 101 femmes séropositives enceintes, 76 % ne suivaient pas de TAR au début de l’étude. Cependant, une fois inscrites à l’étude, certaines femmes recevaient les régimes suivants, entre autres :
Parmi les 24 % de femmes qui suivaient une TAR au début de l’étude, la plupart recevaient un régime fondé sur un inhibiteur de la protéase potentialisé. De nos jours, lorsqu’on utilise un médicament appartenant à la classe des inhibiteurs de la protéase, il faut le prendre avec une faible dose d’un autre médicament, soit le ritonavir (Norvir) ou le cobicistat. Ces deux médicaments font en sorte que la concentration de l’inhibiteur de la protéase principal augmente et reste élevée, ce qui permet de le prendre une seule fois par jour. De nos jours dans les pays à revenu élevé, les inhibiteurs de la protéase potentialisés qui sont utilisés couramment par les femmes séropositives enceintes incluent les suivants :
En plus de leur inhibiteur de la protéase potentialisé, ces femmes prenaient deux analogues nucléosidiques.
D’autres femmes prenaient une combinaison à doses fixes vendue sous le nom de Complera, qui contient les médicaments suivants :
Au cours de l’étude, 18 femmes ont complètement changé leur régime. Dans la plupart des cas, les femmes ont changé pour un régime à base d’inhibiteur de l’intégrase.
Chez sept autres femmes, on a ajouté un inhibiteur de l’intégrase (raltégravir ou dolutégravir) au traitement afin d’intensifier l’activité anti-VIH du régime en cours.
L’intervalle moyen entre l’amorce ou l’intensification de la TAR et l’accouchement a été de deux mois.
La plupart (85 %) des femmes qui ont commencé ou modifié une TAR au cours de l’étude ont vu leur charge virale chuter d’au moins dix fois (un log), selon le dernier test sanguin effectué avant l’accouchement. La charge virale était inférieure à 40 copies/ml (limite inférieure où il était possible de quantifier précisément la charge virale) chez seulement 35 % des participantes avant l’accouchement.
Aucune anomalie sanguine ou complication causée par la TAR n’a été signalée parmi les femmes. On a recensé un très faible nombre d’anomalies congénitales apparentes. Comme cette étude était de faible envergure et n’a pas été conçue pour évaluer les anomalies congénitales éventuelles, nous ne pouvons être certains de la cause de telles anomalies.
Un bébé a été diagnostiqué séropositif à l’aide de tests conçus pour rechercher et reconnaître le matériel génétique du VIH dans son sang après l’accouchement. La mère du bébé en question avait été diagnostiquée séropositive pendant sa grossesse. Elle souffrait également de dépression. Elle avait commencé son régime initial, soit Kaletra + AZT + 3TC, lorsqu’elle était déjà enceinte de 31 semaines. Juste avant de commencer la TAR, sa charge virale était d’environ 22 000 copies/ml. Son test de la charge virale suivant a été effectué à la 37e semaine de sa grossesse et a donné un résultat de 2 171 copies/ml. Notons que la femme avait aussi une infection herpétique active des organes génitaux. À la 37e semaine, les médecins ont effectué une césarienne pour accoucher le bébé. Ils croyaient toutefois que le bébé avait été infecté plus tôt au cours de la grossesse.
Le plus récent des inhibiteurs de l’intégrase s’appelle le dolutégravir. Comme il est relativement nouveau par rapport au raltégravir, les médecins s’intéressent à l’impact du dolutégravir sur les aboutissements de la grossesse : prévention réussie de la transmission du VIH, santé générale du nouveau-né et présence de signes possibles d’anomalies congénitales. Toutefois, lors des petites études comme celle-ci, les possibilités d’évaluer statistiquement la cause des anomalies congénitales potentielles sont minces. Notons aussi que les anomalies congénitales sont généralement rares.
Dans la présente étude, seules quatre femmes utilisaient un des trois régimes à base de dolutégravir suivants :
Selon les médecins, ces quatre femmes ont commencé tardivement la TAR pendant le dernier trimestre de leur grossesse. Aucun effet secondaire n’a été signalé par les mères, et aucun bébé n’est né avec le VIH.
Lors de la récente Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes (CROI), des chercheurs américains ont présenté des données préliminaires se rapportant à l’innocuité du dolutégravir chez les femmes enceintes et leurs bébés. Nous signalons à nos lecteurs que les informations suivantes sont préliminaires et proviennent d’une étude en cours où les traitements n’ont pas été accordés de façon aléatoire. Rappelons que tous ces facteurs font en sorte qu’il est difficile de tirer des conclusions solides concernant l’innocuité du dolutégravir. Pour un essai clinique appelé IMPAACT 1026s qui se poursuit, on a recruté 21 mères séropositives qui utilisaient ou qui utilisent encore un régime à base de dolutégravir. Jusqu’à présent, on dispose de données portant sur neuf bébés, dont quatre présentant différentes anomalies congénitales. En raison des précautions que nous venons de mentionner, il n’est pas clair si ces anomalies sont attribuables à l’exposition de la mère au dolutégravir (ou à d’autres médicaments) pendant la grossesse.
Une chose est claire cependant : il faut recueillir et analyser beaucoup plus de données sur l’innocuité du dolutégravir pendant la grossesse et chez le fœtus. Ces données proviendront peut-être en partie d’études rigoureusement conçues qui sont prévues ou en cours, telles que l’étude ougandaise dolPHIN1 et une autre appelée Aria qui se poursuit au Canada, aux États-Unis, en Argentine, en Europe, au Mexique, en Afrique du Sud et en Thaïlande.
Cette étude américaine sur les inhibiteurs de l’intégrase est une étude rétrospective. Cela veut dire que les médecins ont analysé des données recueillies pour une raison particulière qu’ils ont ensuite interprétées sous un autre angle. Les études conçues de cette manière peuvent amener les chercheurs à tirer par inadvertance des conclusions faussées à cause de données manquantes ou d’autres facteurs. Ainsi, les résultats des études rétrospectives ne sont pas définitifs. Il n’empêche que ces études coûtent relativement peu cher à mener et constituent souvent une première étape utile dans le processus de recherche. On peut utiliser les résultats d’une étude rétrospective pour aider à concevoir une étude plus rigoureuse sur le plan statistique.
Comme la présente étude était relativement petite et n’était pas randomisée, il lui manquait la substance statistique nécessaire pour analyser la cause d’événements rares (telles les anomalies congénitales) et elle ne pouvait établir de distinction entre l’efficacité des différents régimes comportant des inhibiteurs de l’intégrase.
Cette étude fournit néanmoins les fondations nécessaires pour concevoir une étude d’envergure future sur l’usage des régimes à base d’inhibiteurs de l’intégrase chez les femmes enceintes vivant avec le VIH.
Lors d’une étude différente, des médecins d’Atlanta, en Géorgie, ont passé en revue les dossiers médicaux établis dans un hôpital majeur entre 2005 et 2012. Ils ont recensé 27 cas de transmission mère-enfant du VIH. L’enquête menée par les médecins leur a permis de constater que « 24 transmissions sur 27 étaient attribuables à des échecs sur le plan de la prestation et de l’utilisation des soins de santé ». Selon les médecins, il est très probable que les facteurs sous-jacents suivants ont joué un rôle dans ces transmissions :
Afin de prévenir les cas futurs de transmission mère-enfant du VIH, les médecins ont fait la déclaration suivante :
« Le dépistage vigilant du VIH pendant la grossesse et des ressources pour soutenir les mères séropositives enceintes doivent être en place pour éliminer [la transmission mère-enfant du VIH]. »
Les médecins américains encouragent les autres médecins à « se tenir au courant des ressources et des modifications apportées aux [lignes directrices sur le VIH se rapportant aux femmes enceintes] ». De plus, les médecins soulignent que l’inhibiteur de l’intégrase raltégravir « est maintenant un agent préféré » pour les combinaisons anti-VIH utilisées durant la grossesse. Jusqu’à présent, il est le seul inhibiteur de l’intégrase à se voir accorder ce statut dans les lignes directrices thérapeutiques des États-Unis.
Comme le raltégravir fut le premier inhibiteur de l’intégrase approuvé dans les pays à revenu élevé, les médecins ont une plus grande expérience de l’usage de ce médicament que des autres, y compris auprès des femmes enceintes. Bien que l’on soit censé prendre le raltégravir deux fois par jour, les données d’essais cliniques (pas encore publiés) laissent croire qu’une nouvelle version de ce médicament en voie de développement peut être prise une fois par jour sans danger. Il faudra cependant étudier davantage cette nouvelle version et sa posologie éventuelle chez des femmes enceintes. Il est probable que cette nouvelle version uniquotidienne du raltégravir sera disponible au Canada et dans d’autres pays à revenu élevé au cours des deux prochaines années. Notre prochain bulletin de Nouvelles CATIE rendra compte de la recherche effectuée par une équipe canadienne qui a évalué rigoureusement les données se rapportant à l’innocuité et à l’efficacité du raltégravir chez les femmes enceintes vivant avec le VIH.
Remerciement
Nous tenons à remercier Jason Brophy M.D. du Children’s Hospital of Eastern Ontario Research Institute pour notre discussion utile, son assistance à la recherche et l’expertise prêtée à la révision de cet article.
Ressources
Société des obstétriciens et gynécologues du Canada
Lignes directrices canadiennes en matière de planification de la grossesse en présence du VIH
Recommendations for Use of Antiretroviral Drugs in Pregnant HIV-1-Infected Women for Maternal Health and Interventions to Reduce Perinatal HIV Transmission in the United States (en anglais seulement)
Renseignements à l'intention des femmes ayant reçu un diagnostic de VIH pendant leur grossesse
Renseignements à l'intention des nouvelles mamans qui sont séropositives
Prevention of vertical HIV transmission and management of the HIV-exposed infant in Canada in 2014 – Canadian Paediatric and Perinatal AIDS Research Group (en anglais seulement)
—Sean R. Hosein
RÉFÉRENCES :