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CATIE

Depuis une décennie, plusieurs rapports laissent croire que certaines personnes séropositives courent un risque accru de problèmes de santé liés au vieillissement, dont les suivants :

  • crise cardiaque
  • accident vasculaire cérébral (AVC)
  • certains cancers
  • lésions et dysfonctions organiques graves
  • fractures

Cette situation a poussé certains chercheurs à suggérer qu'il existe un lien entre l'infection au VIH et l'accélération du vieillissement.

Une équipe de chercheurs au Danemark réfléchit à l'effet potentiel du VIH sur le processus de vieillissement. S'il est vrai que le VIH accélère ce processus, les chercheurs danois croient que les risques de maladies graves liées à l'âge augmentent au fur et à mesure que la vie des personnes séropositives se prolonge.

Pour explorer la question du VIH et du vieillissement, l'équipe danoise a analysé des données de santé recueillies sur une période de 20 ans auprès de personnes séronégatives et séropositives. Elle a trouvé que, même si les maladies liées à l'âge étaient relativement courantes parmi les personnes séropositives, la prévalence globale des complications graves liées à l'âge était faible. L'équipe a donc conclu que le vieillissement accéléré n'était pas lié au VIH. Nous explorons cette conclusion plus loin dans cet article de Nouvelles CATIE, ainsi que les limitations éventuelles de l'étude danoise.

Détails de l'étude

Le Danemark a créé plusieurs grandes bases de données pour capter de l'information portant sur la santé des citoyens et résidants du pays. Les chercheurs qui étudient divers problèmes de santé peuvent analyser l'information dans ces bases de données. Notons que les chercheurs danois sont reconnus pour leur surveillance étroite de l'épidémie du VIH dans leur pays.

Aux fins de la présente étude, l'équipe danoise a analysé des données recueillies auprès de personnes séropositives entre janvier 1995 et juin 2014. Les personnes qui ont reçu un diagnostic de complications liées au vieillissement avant le début de l'étude ont été exclues de l'analyse.

Les chercheurs se sont concentrés sur les tendances. Spécifiquement, ils ont tenté d'établir le temps que l'une des complications liées au vieillissement qu'ils surveillaient mettait à se produire. Ils se fiaient aux hôpitaux et aux cliniques pour poser le diagnostic et le documenter. Dans les cas où un participant était décédé, l'équipe a également analysé les certificats de décès.

L'équipe s'est concentrée sur les maladies suivantes :

  • crise cardiaque
  • accident vasculaire cérébral
  • cancers d'origine virale, dont le lymphome, le sarcome de Kaposi (SK), le cancer du foie et les cancers de l'anus, du col de l'utérus, du pénis et de la vulve
  • cancers liés au tabagisme, dont les cancers du poumon, de la tête, du cou et de la vessie
  • autres cancers
  • dysfonction cérébrale chronique
  • dysfonction rénale chronique
  • dysfonction hépatique chronique
  • fractures dues à l'ostéoporose

Les chercheurs ont analysé les données recueillies auprès de 5 897 personnes séropositives qui avaient le profil moyen suivant au moment de leur admission à l'étude :

  • 76 % d'hommes, 24 % de femmes
  • âge : 37 ans
  • voies de transmission du VIH courantes (la somme des pourcentages n'est pas 100 parce que les chiffres ont été arrondis) : hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes : 46 %; personnes qui s'injectent des drogues : 10 %; contact hétérosexuel : 37%; autres voies : 6 %
  • co-infection au virus de l'hépatite C : 15 %
  • compte de cellules CD4+ : 300 cellules/mm3

Les données se rapportant aux personnes séropositives ont été comparées à celles recueillies auprès de 53 073 personnes séronégatives. En d'autres mots, les données portant sur chaque personne séropositive ont été comparées à celles recueillies auprès de neuf personnes séronégatives.

Résultats : vue d'ensemble

En général, les personnes séropositives étaient plus susceptibles que les personnes séronégatives de présenter plusieurs maladies liées au vieillissement. Voici la répartition des maladies spécifiques surveillées par l'équipe de recherche :

Crise cardiaque

  • personnes séropositives : 3 %
  • personnes séronégatives : 2 %

Accident vasculaire cérébral

  • personnes séropositives : 4 %
  • personnes séronégatives : 3 %

Dysfonction rénale chronique

  • personnes séropositives : 2 %
  • personnes séronégatives : 0,7 %

Dysfonction hépatique chronique

  • personnes séropositives : 2 %
  • personnes séronégatives : 0,7 %

Dysfonction cérébrale chronique

  • personnes séropositives : 2 %
  • personnes séronégatives : 0,4 %

Fractures liées à l'ostéoporose

  • personnes séropositives : 8 %
  • personnes séronégatives : 6 %

Cancers d'origine virale

  • personnes séropositives : 5 %
  • personnes séronégatives : 0,5 %

Cancers liés au tabagisme

  • personnes séropositives : 2 %
  • personnes séronégatives : 1 %

Autres cancers

  • personnes séropositives : 3 %
  • personnes séronégatives : moins de 4 %

L'analyse statistique a révélé que le risque relatif de certains événements et maladies était généralement plus élevé parmi les personnes séropositives que parmi les personnes séronégatives, comme suit :

  • crise cardiaque : deux fois plus de risques
  • AVC : deux fois plus de risques
  • cancers d'origine virale : 14 fois plus de risques
  • cancers liés au tabagisme : deux fois plus de risques
  • autres cancers : augmentation de 17 % des risques
  • problèmes neurocognitifs chroniques : cinq fois plus de risques
  • dysfonction rénale chronique : quatre fois plus de risques
  • dysfonction hépatique chronique : quatre fois plus de risques
  • fractures liées à l'ostéoporose : deux fois plus de risques

En lisant ces résultats, on peut constater que la prévalence et les risques liés à la majorité des maladies spécifiques étaient élevés parmi les personnes séropositives. Notons toutefois que, dans l'ensemble, les proportions de personnes séropositives souffrant de cas graves de ces maladies étaient relativement faibles.

Tendances au fil du temps

Dans l'ensemble, les chercheurs ont constaté que le risque des maladies étudiées n'a pas continué d'augmenter lorsque les personnes diagnostiquées séropositives ont commencé à prendre une combinaison de médicaments anti-VIH puissants (couramment appelée TAR).

Voici une autre façon d'interpréter ce résultat : en tant que groupe, une fois la TAR commencée, les participants n'ont pas connu d'augmentation de la fréquence des maladies étudiées à mesure qu'ils vieillissaient.

Ces résultats et d'autres ont poussé l'équipe danoise à tirer les conclusions suivantes :

« [À l'époque actuelle], l'effet cumulatif de l'inflammation chronique induite par le VIH sur [le] risque de maladies liées à l'âge est faible et ne soutient pas la notion voulant que le vieillissement accéléré soit un problème majeur pour les personnes infectées par le VIH ».

Points à considérer

1. Recherche auprès d'anciens combattants américains

On a obtenu des résultats largement semblables à ceux de l'étude danoise lors d'une étude par observation menée aux États-Unis sous le nom de VACS (Veterans Aging Cohort Study : Étude de cohorte sur le vieillissement des anciens combattants). Lors de celle-ci, les chercheurs ont analysé des données recueillies auprès de 100 000 participants (31 % de participants séropositifs et 69 % de participants séronégatifs). Les participants ont été suivis entre 2003 et la fin de 2011. Les chercheurs ont constaté que les personnes séropositives étaient plus susceptibles de présenter des maladies liées au vieillissement que les personnes séronégatives. Toutefois, lorsque les maladies en question étaient diagnostiquées, elles se produisaient chez des personnes d'âge semblable, peu importe leur statut VIH.  Ce dernier résultat laisse croire que le VIH n'est pas généralement associé à l'accélération du vieillissement.

2. Limitations de la présente étude

Des chercheurs œuvrant dans le principal centre de recherche d'Australie, soit le Kirby Institute de Sydney, ont revu les résultats de l'équipe danoise. Ils ont déclaré ceci : « Les causes des aboutissements cliniques à long terme chez les personnes séropositives relèvent d'un mélange complexe [des facteurs suivants] » :

  • infection au VIH
  • TAR
  • co-infections comme le virus de l'hépatite B et/ou C
  • tabagisme
  • consommation d'alcool et/ou de drogues

Les chercheurs australiens ont également souligné que ces trois derniers facteurs (les co-infections et l'usage de substances particulières) étaient en moyenne « beaucoup plus [courants] parmi les personnes séropositives que chez les personnes n'ayant pas le VIH ».

Selon les chercheurs australiens, la conception de l'étude danoise faisait en sorte qu'il était difficile de discerner lequel des cinq facteurs mentionnés ci-dessus contribuait à l'augmentation du risque de comorbidités graves liées à l'âge parmi les personnes séropositives étudiées. Ce problème survient lors de nombreuses études qui tentent d'explorer et de comprendre le vieillissement et le VIH.

Pour remédier à cette situation, ont affirmé les chercheurs australiens : « On a besoin de données d'études de cohorte prospectives comptant des participants séropositifs et séronégatifs bien jumelés qui fournissent des données détaillées sur le VIH, le traitement, les co-infections et les facteurs sociaux, comportementaux ou de mode de vie, afin de pouvoir déterminer lequel de ces facteurs fait augmenter le risque de comorbidités liées à l'âge; de telles études nécessiteraient cependant un grand nombre de participants et un suivi de longue durée. » Une telle étude coûterait très cher.

3. Une source potentielle de biais

Les chercheurs australiens ont souligné un autre enjeu, soit « une tendance constante au déclin du risque relatif de comorbidités liées au vieillissement coïncidant avec l'augmentation de l'âge ». Selon l'équipe, l'explication la plus probable de ce phénomène était le « biais de survie », un terme qu'elle a expliqué comme suit :

« Les patients séropositifs les plus à risque [de souffrir de maladies graves liées à l'âge] ne survivent pas jusqu'à un âge avancé. » Et d'ajouter les chercheurs : « Ces patients ont tendance à être des personnes qui ne répondent pas bien au traitement antirétroviral et qui ont une charge virale détectable et un faible compte de cellules CD4+, lesquels sont associés à un risque accru de mortalité, toutes causes confondues ».

4. Aujourd'hui et pour un avenir en santé

Les chercheurs australiens ont également réfléchi aux implications éventuelles du vieillissement de la population séropositive sur les services de santé, autant aujourd'hui qu'à l'avenir, et ont fait plusieurs déclarations à ce propos, dont la suivante :

« Pour de nombreuses personnes, l'infection au VIH est devenue une maladie chronique gérable, et le défi actuel consiste à prévenir et à prendre en main les maladies chroniques qui se produisent plus fréquemment. »

Il est donc essentiel de faire de la recherche sur le vieillissement des personnes séropositives. Le genre d'étude réclamé par les chercheurs australiens, qui recueillerait des informations détaillées auprès de dizaines de milliers de personnes séropositives et qui durerait de nombreuses années dans le seul but d'évaluer les changements dans la santé liés à l'âge, coûterait sans doute très cher. Une telle étude ne sera pas financée dans un proche avenir à cause des contraintes liées aux coûts. Reconnaissant implicitement cette réalité, les chercheurs australiens ont proposé la prescription suivante aux médecins, aux infirmiers, aux pharmaciens et aux systèmes de santé afin qu'ils puissent la mettre en œuvre dès aujourd'hui :

« Les principales mesures permettant d'assurer le vieillissement en santé des personnes séropositives sont les suivantes :

  • amorce précoce de la TAR
  • obtention et maintien d'une charge virale indétectable
  • réduction des nombreux facteurs de risque traditionnels associés aux problèmes de santé liés à l'âge »

En particulier, les chercheurs australiens encouragent vivement les médecins et infirmiers à aider leurs patients à  cesser de fumer parce qu'ils considèrent cette habitude comme l'élément le plus nuisible à la santé au sein de cette population. Ce conseil est bien fondé car une étude danoise antérieure avait révélé que les non-fumeurs séropositifs ne couraient aucun risque accru de crise cardiaque.

À mesure que les populations des pays à revenu élevé vieillissent, les recherches sur l'âge deviendront plus urgentes. De nouvelles manières d'évaluer le vieillissement émergeront, et une partie de cette recherche pourrait être appliquée aux personnes séropositives avant qu'elles commencent à présenter des signes/symptômes de vieillissement. Alors, pour le moment, cette étude danoise n'a pas le dernier mot en ce qui concerne le vieillissement accéléré et le VIH. Il reste de nombreuses recherches à faire.

Ressources

Quantification of biological aging in young adults

Management of Human Immunodeficiency Virus Infection in Advanced AgeJournal of the American Medical Association

L'infection au VIH à long terme et la qualité de vie liée à la santéNouvelles CATIE

Des médecins néerlandais explorent le rapport entre le vieillissement et le VIHNouvelles CATIE

Prévalence fréquente de syndromes gériatriques chez certaines personnes séropositivesNouvelles CATIE

HIV and Aging: State of Knowledge and Areas of Critical Need for Research. A Report to the NIH Office of AIDS Research by the HIV and Aging Working Group

Programme de recherche des IRSC sur la comorbité liée au VIH –Instituts de recherche en santé du Canada

Programme de recherche des IRSC sur la comorbité liée au VIH : secteurs de recherche pertinents –Instituts de recherche en santé du Canada

Le VIH et le vieillissement – Conseils pour vivre en santé à l'intention des personnes séropositives de 50 ans et plus – CATIE

VIH et problèmes cérébrauxTraitementSida 204

Santé mentale – Santé et Services sociaux Québec

Feuillets d'information sur le VIH et le vieillissement – Société canadienne du sida

Evidence-informed recommendations for rehabilitation with older adults living with HIV: a knowledge synthesis – Groupe de travail canadien sur le VIH et la réinsertion sociale

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

  1. Rasmussen LD, May MT, Kronborg G, et al. Time trends for risk of severe age-related diseases in individuals with and without HIV infection in Denmark: a nationwide population-based cohort study. Lancet HIV. 2015; in press.
  2. Petoumenos K, Law M. HIV-infection and comorbidities: a complex mix. Lancet HIV. 2015; in press.
  3. Gill MJ, Costagliola D. Myocardial infarction in HIV-infected persons: Time to focus on the silent elephant in the room? Clinical Infectious Diseases. 2015 May 1;60(9):1424-5.
  4. Rasmussen LD, Helleberg M, May M, et al. Myocardial infarction among Danish HIV-infected individuals: Population attributable fractions associated with smoking. Clinical Infectious Diseases. 2015 May 1;60(9):1415-23.
  5. Helleberg M, May MT, Ingle SM, et al. Smoking and life expectancy among HIV-infected individuals on antiretroviral therapy in Europe and North America. AIDS. 2015 Jan 14;29(2):221-9.
  6. Belsky DW, Caspi A, Houts R, et al. Quantification of biological aging in young adults. Proceedings of the National Academy of Sciences USA. 2015; in press. Disponible à l’adresse : http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26150497