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Grâce à la grande accessibilité des combinaisons de médicaments anti-VIH puissants (couramment appelées thérapies antirétrovirales ou TAR), de nombreuses personnes séropositives vivent plus longtemps de nos jours, et les chercheurs s’attendent de plus en plus à ce que certaines d’entre elles atteignent un âge avancé. À mesure que les personnes séropositives vieillissent, il est probable que leur risque de diabète et d’autres complications liées à l’âge augmente. La résistance à l’insuline (insulinorésistance) est le précurseur du diabète de type 2. Nous en parlons ci-dessous.

L’hormone insuline aide à transporter le sucre (glucose) du sang aux cellules. À l’intérieur des cellules, le sucre est converti en énergie. Un approvisionnement relativement stable de sucre sanguin est nécessaire pour assurer le fonctionnement optimal des organes du corps. Chez certaines personnes, les cellules deviennent moins sensibles à l’insuline; on parle alors d’insulinorésistance. Pour compenser, le pancréas produit davantage d’insuline et ses efforts réussissent pendant quelque temps, voire plusieurs années dans certains cas. Toutefois, le problème peut s’aggraver au fil du temps, à moins que l’on prenne des mesures pour corriger l’insulinorésistance avec l’aide de son médecin. À la longue, malgré la production accrue d’insuline, la résistance aux effets de cette hormone prend le dessus et le diabète de type 2 se déclare.

Dans le cadre d’une étude portant le nom d’ANRS HEPAVIH CO-13, des chercheurs de Marseille et d’ailleurs en France ont suivi l’état de santé d’adultes séropositifs co-infectés par le virus de l’hépatite C. Les chercheurs ont recueilli des données auprès des participants au moyen de questionnaires, de prélèvements sanguins et d’évaluations nombreuses. Certaines des questions posées aux participants se rapportaient à la consommation de diverses substances, notamment la marijuana.

Les chercheurs ont constaté un lien statistique entre l’utilisation de la marijuana et la possibilité d’une baisse du risque d’insulinorésistance.

Détails de l’étude

L’étude a porté sur un total de 1 324 personnes. Cependant, les chercheurs ont exclu de l’analyse finale les personnes atteintes de diabète et celles au sujet desquelles ils disposaient de données insuffisantes. Par conséquent, l’analyse finale a porté sur 703 participants qui avaient le profil moyen suivant au moment de commencer l’étude :

  • 68 % d’hommes, 32 % de femmes
  • âge : 44 ans
  • la plupart des participants (69 %) avaient un compte de CD4+ supérieur à 350 cellules/mm3
  • la plupart des participants (72 %) avaient une charge virale inférieure à 50 copies/ml

Résultats

Le questionnaire demandait aux participants d’indiquer s’ils consommaient de la marijuana et, le cas échéant, à quelle fréquence.

Selon les chercheurs, lors de la première consultation, 46 % des participants ont dévoilé avoir utilisé de la marijuana au cours des quatre semaines précédentes, comme suit :

  • utilisation occasionnelle : 21 %
  • utilisation régulière : 12 %
  • utilisation quotidienne : 13 %

Après avoir tenu compte de plusieurs facteurs, les chercheurs ont constaté que les participants qui utilisaient de la marijuana étaient moins susceptibles de présenter l’insulinorésistance.

Les chercheurs ont également constaté que le café était associé à un moindre risque d’insulinorésistance.

Point à retenir

Nous rendons compte ici d’une étude par observation. Les études de ce genre ne permettent pas de tirer de conclusions fermes quant à l’existence d’un lien de cause à effet. Autrement dit, cette étude ne peut pas prouver que la consommation de marijuana a bel et bien réduit le risque d’insulinorésistance. Lors d’une étude par observation, on ne peut jamais écarter la possibilité qu’un facteur non mesuré fausse l’interprétation des données et mène à des conclusions erronées. Il est donc important d’interpréter les résultats de cette étude avec prudence. Il reste que cette étude constitue un bon point de départ vers l’établissement d’un lien possible entre l’usage de marijuana et une réduction du risque d’insulinorésistance chez les personnes séropositives. Il était nécessaire de mener une telle étude parce que certaines données observationnelles recueillies auprès de personnes séronégatives aux États-Unis avaient également établi une association apparente entre l’exposition à la marijuana et un risque réduit d’insulinorésistance. Des médecins québécois travaillant avec des Inuits ont également constaté, toujours dans le cadre d’une étude par observation, que la marijuana semblait réduire le risque d’insulinorésistance. Malgré ces résultats, notons que d’autres études par observation menées après de personnes séronégatives n’ont trouvé aucun lien bénéfique entre la marijuana et l’insulinorésistance.

Besoin de bonnes données

Les médecins qui traitent les personnes atteintes d’insulinorésistance ont besoin de données fiables pour formuler des recommandations sur l’innocuité de la marijuana et son potentiel pour la prise en charge de cette affection. Il reste de nombreuses questions pertinentes nécessitant une réponse en ce qui concerne l’insulinorésistance, dont les suivantes :

  • Quel effet la marijuana exerce-t-elle sur le métabolisme humain pour réduire le risque d’insulinorésistance?
  • Quels composés de la marijuana seraient à l’origine de la réduction du risque d’insulinorésistance?
  • À quelle fréquence devrait-on utiliser la marijuana pour aider à réduire le risque d’insulinorésistance?
  • Quelle substance réduit plus efficacement le risque d’insulinorésistance, le café ou la marijuana?
  • La marijuana est-elle aussi efficace que la metformine, un médicament largement utilisé et relativement abordable qui accroît la sensibilité à l’insuline? (Notons que la metformine est elle aussi dérivée d’un extrait de plante, soit le galéga officinal.)
  • Sous quelle forme devrait-on prendre la marijuana (vaut-il mieux la fumer ou l’ingérer?) pour exercer le meilleur effet contre l’insulinorésistance?
  • La marijuana pourra-t-elle aider toutes les personnes aux prises avec l’insulinorésistance?
  • La marijuana interagit-elle avec d’autres médicaments utilisés pour traiter l’insulinorésistance?
  • La marijuana est-elle sans danger pour les personnes atteintes d’insulinorésistance et d’autres maladies coexistantes comme les maladies cardiovasculaires et pulmonaires, etc.?

Cette étude française n’a pas été conçue pour répondre à ces questions importantes. On pourrait toutefois concevoir des essais cliniques rigoureux pour répondre à ces questions et à d’autres concernant l’usage médical de la marijuana. De tels essais coûteraient sans doute cher, et la mise sur pied et l’interprétation des données prendraient beaucoup de temps. Entre-temps, il est possible de contrôler et d’atténuer l’insulinorésistance et de réduire le risque de diabète de type 2 en travaillant avec son médecin, en modifiant son alimentation, en faisant régulièrement de l’exercice et en prenant des médicaments sur ordonnance.

Ressources

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

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  3. Thompson CA, Hay JW. Estimating the association between metabolic risk factors and marijuana use in U.S. adults using data from the continuous National Health and Nutrition Examination Survey. Annals of Epidemiology. 2015; in press.
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  5. Penner EA, Buettner H, Mittleman MA. The impact of marijuana use on glucose, insulin and insulin resistance among US adults. American Journal of Medicine. 2013 Jul;126(7):583-9.
  6. Muniyappa R, Sable S, Ouwerkerk R, et al. Metabolic effects of chronic cannabis smoking. Diabetes Care. 2013 Aug;36(8):2415-22.
  7. Walsh Z, Callaway R, Belle-Isle L, et al. Cannabis for therapeutic purposes: patient characteristics, access and reasons for use. International Journal on Drug Policy. 2014 Jul;25(4):691-9.