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Le cobicistat est un médicament utilisé pour augmenter le taux d’un autre médicament dans le sang et le maintenir ainsi. On appelle les médicaments utilisés à cette fin des agents de potentialisation (pharmacocinétique). Depuis 15 ans dans l’histoire de la médecine liée au VIH, les agents de potentialisation sont utilisés relativement couramment parce que cette stratégie permet de prendre certains médicaments moins fréquemment, soit une fois par jour dans plusieurs cas.

Le premier agent de potentialisation à être utilisé à grande échelle fut le ritonavir (Norvir et dans Kaletra). Le cobicistat est un analogue du ritonavir, c’est-à-dire que les deux médicaments ont une structure semblable. Le cobicistat est présent dans les deux médicaments suivants :

  • Stribild : elvitégravir + cobicistat + ténofovir + FTC
  • Genvoya : elvitégravir + cobicistat + TAF + FTC

Dans ces comprimés, le cobicistat a pour fonction d’augmenter et de maintenir le taux d’elvitégravir à un niveau élevé dans le sang afin que l’on puisse prendre le régime intégral une seule fois par jour. En tant qu’agent de potentialisation, rappelons que le cobicistat a le potentiel d’augmenter les concentrations d’autres médicaments dans le sang.

Une équipe de médecins, d’infirmières et de pharmaciens à Chicago ont récemment fait état d’une interaction entre le cobicistat et le tacrolimus (Advagraf, Prograf) survenue chez une personne recevant Stribild (le tacrolimus est un médicament immunosuppresseur prescrit aux receveurs de greffes d’organes). Cette équipe de transplantation exhorte les autres médecins, infirmières et pharmaciens à être conscients de l’interaction potentielle entre ces médicaments.

Détails du cas

Un homme de 50 ans a été envoyé à la clinique des maladies infectieuses du Chicago Medical Center pour recevoir des soins à la suite d’un diagnostic récent de VIH. Le patient avait des antécédents d’hypertension et de lésions rénales même s’il avait subi deux greffes de rein. Il prenait les médicaments suivants pour supprimer partiellement son système immunitaire (et assurer la survie des reins transplantés) :

  • tacrolimus : 2 mg par voie orale toutes les 12 heures
  • prednisone : 5 mg par voie orale toutes les 24 heures

Cette dose et cette posologie avaient pour objectif d’empêcher le tracrolimus de baisser sous la barre des 4 à 6 ng/ml.

Lors de sa première visite à la clinique, une analyse de sang a révélé ce qui suit :

  • lésions rénales modérées avec un DFGe (débit de filtration glomérulaire estimé) de 52 minutes/ml
  • charge virale en VIH : 103 000 copies/ml
  • son VIH était résistant ou partiellement résistant à une classe de médicaments anti-VIH appelés analogues nucléosidiques (INTI)

Le résultat du test de dépistage de l’hypersensibilité à l’abacavir n’était pas prêt lors de cette première visite. Rappelons que l’on doit passer ce test avant de prendre des médicaments contenant de l’abacavir parce que ce dernier peut provoquer une réaction d’hypersensibilité grave chez les personnes qui y sont sujettes. L’abacavir (Ziagen) est présent dans les médicaments suivants :

  • abacavir + 3TC
  • Trizivir : abacavir + 3TC + AZT
  • Triumeq : dolutégravir + abacavir + 3TC

Parmi ces trois formulations à doses fixes, Triumeq est unique dans la mesure où il s’agit d’un régime intégral offert dans un seul comprimé que l’on prend une fois par jour, et les interactions médicamenteuses potentielles sont peu nombreuses.

L’homme a dit à son médecin qu’il s’intéressait à commencer un traitement anti-VIH et souhaitait prendre un régime intégral en un seul comprimé. Tenant compte des souhaits de son patient et des résultats de tests de laboratoire disponibles, le médecin a prescrit Stribild. L’équipe de transplantation a demandé que l’homme passe des tests sanguins chaque semaine afin qu’elle puisse surveiller le taux de tacrolimus dans son sang.

Une semaine plus tard

Une semaine après le début du traitement par Stribild, l’homme est retourné à la clinique de transplantation pour son suivi régulier. Pendant la visite, il a signalé les symptômes suivants au personnel de la clinique :

  • maux de tête
  • problèmes de sommeil
  • douleur d’estomac
  • baisse du volume des urines

Les tests de laboratoire effectués ce jour-là ont révélé des taux élevés de potassium et du produit de déchets créatinine dans son sang. De plus, son taux de tacrolimus était élevé et se situait initialement à 53 ng/ml. Le lendemain, le laboratoire a répété l’analyse et constaté un taux de tacrolimus de 111 ng/ml.

Compte tenu des symptômes et des résultats de laboratoire du patient, les médecins ont conclu qu’il souffrait très probablement d’une toxicité au tacrolimus. Ils lui ont dit de cesser de prendre le tacrolimus et Stribild jusqu’à ce qu’ils comprennent le problème et qu’ils trouvent une solution.

Subséquemment

Pendant les deux semaines suivant l’arrêt de la prise de Stribild et du tacrolimus, l’homme a visité la clinique deux fois par semaine pour continuer son suivi et passer d’autres tests sanguins.

Le taux de tacrolimus dans le sang du patient a mis environ 15 jours à baisser jusqu’à un niveau à peu près normal, soit 4 ng/ml. Toutefois, l’homme avait encore un taux élevé de créatinine dans son sang (indice possible de lésions rénales). À ce moment-là, on avait reçu un résultat négatif au test de dépistage de l’hypersensibilité à l’abacavir. Ce résultat permet de croire que l’homme courrait un risque relativement faible d’hypersensibilité si les médecins lui prescrivaient un médicament contenant de l’abacavir (tel Triumeq).

Vingt-sept jours après le début du traitement par Stribild, le taux de créatinine dans le sang du patient était revenu dans la fourchette de valeurs normale. Lorsque cela s’est produit, les médecins lui ont prescrit Triumeq une fois par jour. Comme ils ne s’attendaient pas à des interactions entre les ingrédients de Triumeq et le tacrolimus, les médecins ont de nouveau prescrit ce dernier à raison de 2 mg par voie orale, toutes les 12 heures. Des tests sanguins subséquents ont révélé des concentrations stables et sûres de tacrolimus ainsi que l’absence de problèmes rénaux ou autres.

Selon les équipes de transplantation et des maladies infectieuses, à mesure que le nombre de combinaisons à doses fixes contenant le cobicistat augmente, « les cliniciens devraient se rappeler les nombreuses interactions médicamenteuses [qui lui sont associées] ». De plus, ils ont ajouté que l’on « devrait éviter l’usage de cobicistat » chez les personnes séropositives ayant reçu une greffe d’organe qui prennent le tacrolimus ou des composés apparentés (telle la cyclosporine).

 —Sean R. Hosein

RÉFÉRENCE :

Han Z, Kane BM, Petty LA, et al. Cobicistat significantly increases tacrolimus serum concentrations in a renal transplant recipient with human immunodeficiency virus infection. Pharmacotherapy. 2016; in press.